Modeste Y. Somé: Un jeune burkinabè au cœur du financement international

Maître de conférence à Johannesbourg, économiste à la Banque mondiale puis au Fonds monétaire international, Yirbehogré Modeste Somé, un jeune burkinabè d’à peine 40 ans, passé par l’Université de Ouagadougou, a déposé ses valises au siège des institutions de Brettons Wood. Depuis avril 2018, le FMI a débauché ce natif de Dissin (Ioba) de la Banque mondiale, pour l’intégrer  à son département Stratégie politique et revue. De passage dans son pays, il s’est exprimé sur son parcours et sur les sujets de développement et de l’insécurité au Burkina Faso et au Mali.

L’agriculture est un pilier de l’économie du Burkina Faso mais pourquoi donc elle ne semble pas être un secteur prioritaire aux yeux des institutions de Brettons Wood, c’est l’une des questions qu’on a posées à Modeste Somé, un jeune Burkinabè passé de la Banque mondiale au FMI.

Sa réponse est sans équivoque : «Les institutions ne peuvent pas venir dire à un pays ce qu’il faut faire. Elles peuvent dire ce qu’elles n’acceptent pas. Mais c’est aux pays de soumettre des projets viables. Elles fonctionnent comme des banques. Elles n’injectent des fonds là où elles ne sont pas sûres de récupérer l’argent», coupe-t-il

Natif de Dissin, dans la province du Ioba, Yirbehogré Modeste Somé est, depuis avril 2018, économiste du Fonds monétaire international (FMI) au département Stratégie politique et revue, à son siège de Washington. Son nouveau boulot consiste à examiner et à valider les projets concoctés par les équipes-pays du FMI afin de s’assurer qu’ils sont conformes à la politique du Fonds. Il travaille actuellement sur les dossiers du Mali voisin et non du Burkina, car dit-il, à moins de faire partie de l’équipe-pays, il est mal vu à ce niveau, de s’occuper des affaires de son propre pays.

Le FMI l’a débauché à la Banque mondiale. Dans cette institution de financement mondial du développement, le jeune Somé était engagé de janvier 2016 à avril 2018 au département «Perspectives de l’économie du développement. Il était membre de l’équipe macroéconomique mondiale, collaborant à une publication semestrielle de la Banque mondiale intitulée Global Economic Prospects. «Là-bas, comme économiste, on était chargé des questions de tendances de l’économie mondiale. On regardait la croissance mondiale, la croissance en Afrique, en Asie. On faisait des prévisions pour le monde», a-t-il dit.

De Dissin à Washington, un parcours en flèche

Comment a-t-il fait pour se retrouver au siège de la Banque mondiale et du FMI. Pour lui, c’est un cheminement assez linéaire, qui Dieu aidant, devient l’aboutissement logique. Son parcours se résume ainsi : Dissin et Diébougou pour le cycle primaire et secondaire avec au bout un baccalauréat scientifique. Ouagadougou et Abidjan pour des études de mathématiques, de statistiques et d’économie et enfin Montréal pour ses études doctorales couronnées par un PHD en économie. Avec des compétences en finance internationale, en économétrie, en macroéconomie et en économie monétaire, il est engagé par l’Université de Johannesburg en Afrique du Sud à partir de 2013. Passé maitre de conférence en 2015 et promis à une belle carrière d’enseignant, il décide cependant de quitter les amphis pour rejoindre les buildings de Brettons Wood.

«Je voulais voir, en dehors des modules théoriques que j’enseigne, quelle était la pratique dans les institutions », dit-il en rappelant ceci: «J’ai enseigné 3 ans et je n’étais pas sûr de l’impact de ce que je faisais». Pour lui, son entrée au FMI puis à la Banque mondiale est un «rêve», une «fierté» mais beaucoup plus exactement un «couronnement» de ce qu’il a fait précédemment et qui ne l’a pas ému autant que lorsqu’il venait d’être admis aux études doctorales au Canada. «L’émotion, c’est quand j’ai eu une bourse pour aller étudier au Canada. Le reste était les conséquences de ce que j’ai commencé », résume-t-il.

Et pour le reste, il a postulé simultanément pour la Banque mondiale et pour le FMI en remplissant une plateforme d’offres d’emploi sur le Net, obtenant des réponses positives des deux côtés. La Banque mondiale ayant réagi plus vite, il l’a rejointe en 2016. Mais dit-il, par rapport à son profil, il a fini par s’installer au FMI.

Il compte revenir à Ouagadougou

Après son doctorat au Canada, le jeune Somé entend rejoindre sa famille laissée au Burkina. Son plan était de se rendre en Afrique du Sud où la dynamique économie est intermédiaire à celle des Pays d’Amérique d’une part et d’Afrique d’autre part afin d’«amoindrir le choc des cultures et progressivement revenir au pays».  Mais en se renseignant, il s’est laissé convaincre par les conditions de travail de l’enseignant chercheur au Burkina Faso qu’il fallait rester quelques moments avant de revenir. «Mais tôt ou tard, il faut rentrer (…) je pense qu’un jour je vais enseigner au Burkina», dit-il.

En attendant, il profite de sa vie américaine avec ses compatriotes et une trentaine de Burkinabè travaillant dans divers pays au compte du FMI et de la Banque mondiale.

Comparant la vie des villes où il a vécu, il ne trouve pas de différence majeure entre Montréal, Washington et Johannesburg, sauf le climat glacial pour la première et l’insécurité pour la dernière. S’il a été victime d’agressions en Afrique du Sud tout comme aux Etats-Unis, il se dit psychologiquement plus en sécurité dans la capitale américaine. Mais à choisir, il dit préférer Ouagadougou pour l’ambiance et la chaleur humaine. Malgré la poussière, il aime «Ouagadougou pour le côté social, il y a beaucoup de choses gratuites et je me sens plus à l’aise, même s’il faut que je tombe malade les premiers jours de l’arrivée». Quant à Abidjan, il retient simplement que la ville a changé depuis.

La chaleur humaine des Burkinabè serait aussi la principale raison pour certains de ses camarades et collègues d’aimer le pays des Hommes intègres. C’est notamment ceux qui ont travaillé au Burkina et qui déclarent leur amour pour notre pays. «J’ai un collègue allemand qui me parle toujours du bien du Burkina, non pas parce que je suis Burkinabè mais à cause de la chaleur des Ouagalais qu’il apprécie», raconte M. Somé.

De même, dit-il, les gens qu’il côtoie et les échos qu’il reçoit permettent de noter que l’insurrection populaire de 2014 a amélioré l’image du pays à l’extérieur.

«Les Blancs voient en cela un progrès, une aspiration à la démocratie»,convaincus que de nombreux dirigeants africains sont des dictateurs indéboulonnables.

Quant à l’Américain moyen, à la limite, ils ignort l’existence du Burkina, n’ayant de vagues connaissances que sur le Ghana ou le Nigeria. Par contre, dit-il en souriant, on rencontre des Américains qui disent avoir peur du Nigeria.

Les cadres ne devraient pas quitter le pays à tout prix

Cette image est écorchée vif par les attaques de type terroriste ; les Burkinabè de l’étranger le vivent au quotidien. «Ça fait mal en tant que Burkinabè, surtout qu’on est dans une période de transition où on espérait pouvoir décoller », geint-il. En économiste, il sait qu’en plus du terrible bilan de perte en vies humaines, les dépenses en sécurité flambent au détriment des investissements productifs. En plus de cela, analyse-t-il, des enfants ne peuvent plus se rendre à l’école, l’Etat perd en taxes non recouvrées. «C’est triste et désolant de voir ce qui se passe », répète le docteur Somé. Il a rappelé aussi le cas du Mali voisin où il a travaillé et où des investissements inscrits dans le budget pour des zones données n’ont pas pu être exécutés. «Ça retarde ces zones», reconnaît-il.

Il espère que la situation changera assez vite et conseille aux jeunes Burkinabè de rester sur place ou de bien se renseigner avant toute aventure au pays de l’Oncle Sam. La première chose qu’ils doivent savoir, selon lui, est de s’assurer qu’on sera mieux ailleurs que chez soi. Il dit avoir rencontré des Burkinabè, qu’il connaissait et qui étaient cadres dans la fonction publique se résoudre à conduire des taxis, à effectuer de tout petits jobs et à courir chaque jour après le bus pour leurs déplacements. Pour lui, ceux qui ont un bas niveau ont plus de chance de réussir aux Etats-Unis que les diplômés, à moins qu’ils oublient leurs diplômes une fois sur place. Car le plus souvent, ces diplômes ne sont pas reconnus et les études supérieures coûtent extrêmement cher.

Les erreurs des institutions financières mondiales

Après avoir encouragé les pays africains à la privatisation à travers des programmes d’ajustement, les institutions de Brettons Wood qui soutiennent aujourd’hui le financement des secteurs sociaux, est-ce une erreur corrigée ou une suite logique ?

«Est-ce une erreur ? Je pense que oui ! Les gens se sont rendu compte des erreurs passées », dit-il tout de go. Pour lui, les grandes réformes sont généralement des mesures impopulaires et il eut fallu financer dans le même temps des politiques d’accompagnement pour que les populations acceptent les changements. Il explique que dans les politiques actuelles du FMI, des mesures sont prises pour préserver les dépenses sociales du pays, surtout lorsque ce pays traverse une crise.  «L’objectif est de s’assurer que si un pays est en difficulté, qu’on ne touche pas aux dépenses sociales».

Pressé de retourner aux Etats –Unis pour préparer une mission sur le Mali, le jeune Burkinabè du FMI a laissé son dernier mot en ces termes: «Je repars tout triste. Si la violence s’est transportée dans les conflits communautaires (Yirgou, ndlr), c’est inquiétant. Il faut tout faire pour contenir ces violences et qu’il y ait moins d’attaques terroristes en 2019».

Aimé Mouor KAMBIRE