Huileries: Les bobolais affectés par la crise du coton 

Le gouvernement a contribué au rachat de 10 000 tonnes d’huile invendues en fin 2018. Au constat, cette mesure ne semble pas avoir eu un impact positif chez tous les huiliers. Entre mévente, endettement et manque de graines, certains huiliers bobolais craignent la banqueroute.

Fatim huilerie est une unité de fabrication artisanale d’huile alimentaire basée à Bobo-Dioulasso. Elle tourne au ralenti, mais refuse d’être avalée par les multinationales. A l’entrée de l’usine, deux vigiles postés à la guérite accueillent et orientent les visiteurs. Ce dimanche 24 février 2019, pas de repos pour les travailleurs de cette entreprise. Des machines vrombissent à l’intérieur d’un des bâtiments. Un petit local attenant à cette salle sert de bureau à Siaka Traoré,  le directeur général. Assis sur un canapé, il a le visage triste. Et pour cause ? Il n’arrive pas à vendre ses produits.

Au constat, il nous conduit dans la salle de production. Des ouvriers revêtus de blouse bleue s’acquittent convenablement de leurs tâches. Des bidons d’huile chaude fraîchement embouteillés sortent l’un après l’autre au bout de la chaîne. Avant de rejoindre les magasins, ils sont d’abord casés dans un angle de la salle.

On aperçoit aussi des aliments pour bétail fourrés dans des sacs et entreposés. Ils sont issus des résidus des graines oléagineuses.

Dans la cour, des graines de coton s’empilent. Un calme plat y règne. Derrière cette morosité se cache une réalité : la mauvaise santé financière de l’entreprise. Nous ne tarderons pas à le découvrir. La mine serrée, Siaka  Traoré se plaint de la mévente de ses produits. Désemparé, il s’en prend à l’Etat. Il estime que l’industrie locale n’est pas suffisamment protégée. Du coup, estime-t-il, les huiliers bobolais en font les frais. Toute chose qui résulte, de son avis, de la libéralisation à outrance du secteur. Conséquence, beaucoup croulent sous le poids des dettes. Des huiliers manquent d’argent pour payer la matière première. D’autres ont purement et simplement fermé boutique.

Fatim huilerie n’est pas un cas isolé. La plupart des huiliers bobolais se portent mal, faute de débouché pour écouler leurs productions. M. Traoré a de quoi s’inquiéter. Les affaires ne marchent plus. Pendant ce temps, il doit payer les salaires, l’eau, l’électricité, entre autres. Des entreprises comme la société industrielle du Faso (SIFA),  SAVANA et plus récemment Winner industrie, ont mis la clé sous le paillasson et n’ont pas pu se relever jusque-là. L’idée de se retrouver dans la même situation hante l’esprit de l’huilier bobolais.

80 000 bidons toujours invendus à la SN-CITEC

Après Fatim huilerie, nous mettons le cap sur la SN-CITEC, située au cœur de la zone industrielle de Bobo-Dioulasso. Cette entreprise spécialisée dans la fabrication d’huile alimentaire au Burkina Faso à base des graines de coton semble faire de bonnes affaires. Des camions attendent leur chargement. Avec près de 376 000 bidons d’invendus en septembre 2018, il ne reste que quelque 80 000 actuellement.

Selon Alassane Ouédraogo, directeur du guichet unique, des efforts ont été consentis par le gouvernement pour aider les huiliers bobolais à vider leurs stocks. Si la question refait surface, assure-t-il, c’est parce que la compétitivité de leurs produits sur le marché pose problème. A l’écouter, il faut désormais que nos opérateurs économiques unissent leurs forces pour créer des unités fiables et compétitives. Ils peuvent, par exemple, évoluer vers des Groupements d’intérêt économique (GIE).

Il pense que le gouvernement a joué sa partition. Il appartient aux huiliers de prendre leur destin en main. D’après lui, la question qu’il faut se poser est de savoir pourquoi c’est à Bobo-Dioulasso que ça ne marche pas ? Selon ses explications, il est difficile de trouver une réponse appropriée à cette problématique parce que les autres huiliers ne connaissent pas de mévente. La mévente touche aussi bien les petites unités que les grandes. Foi de M. Traoré, son entreprise est très loin de ses capacités de production. Le rythme actuel du travail a considérablement baissé, fait-il observer, passant de 9 à 10 mois d’activités à 4 ou 5 mois sur 12 présentement.

Avec une capacité journalière de 500 bidons de 20 litres produites, l’entreprise essaie tant bien que mal de maintenir le cap. Mais jusqu’à quand pourrait-elle tenir le coup, s’interroge Siaka Traoré, visiblement déçu. Toutefois, il pointe du doigt aux importations et à la fraude et qu’il suspecte d’être à l’origine de la mévente de l’huile produite au Burkina. En plus de cela, il se lamente sur la multiplicité des taxes. Elles sont nombreuses, atteste-t-il, et influent négativement sur la production. Et que dire du coût très élevé des facteurs de production ? Il se demande comment, au regard de ces obstacles, les huiliers arriveront à s’en sortir sans un coup de pouce de l’Etat. A ce propos, les autorités ne sont pas restées indifférentes face aux souffrances des huiliers.

Ainsi, des rencontres d’échanges ont eu lieu le 21 septembre 2018 sur la problématique avec pour objectif de lever les goulots d’étranglement. Elle a fait l’objet d’une rencontre de concertation entre le gouvernement et des membres du Réseau des importateurs et distributeurs d’huiles alimentaires. Ces rencontres leur ont permis de réunir, dans un mémorandum, quelques propositions de solutions.

Au nombre de ces solutions, on note l’enlèvement de 10 000 tonnes de stock d’huile alimentaire invendus et des aliments de bétail de la SN-Citec et des unités industrielles de production d’huiles alimentaires respectant le cahier de charges des huileries et la règlementation économique en vigueur aux conditions convenues.

Des huiliers complètement terre

A cela s’ajoute la nécessité d’établir un partenariat sous l’égide du ministère du Commerce, entre le Réseau des distributeurs et la SN-Citec pour la promotion de la production et la commercialisation des huiles alimentaires au Burkina Faso. Le réseau a également sollicité du ministère du Commerce, la limitation des autorisations spéciales d’importation d’huile aux seuls membres du présent Réseau. Cette opération a permis de réduire considérablement les stocks d’invendus. M. Traoré demande au gouvernement de revoir les choses, particulièrement en ce qui concerne la protection des industries locales. « Il faut que l’Etat nous protège », suggère-t-il.

De nos jours, souligne-t-il, certains huiliers sont complètement à terre. Ils n’ont plus d’argent pour acheter la matière première, ce qui est compromettant pour le fonctionnement de leurs unités. Le moral en berne, il affirme qu’il a pu néanmoins s’approvisionner pour quelques mois seulement. Là aussi, tout n’est pas rose. Car on peut avoir l’argent et ne pas pouvoir disposer de la graine de coton sur le marché national. A en croire Siaka Traoré, la crise du coton affecte les huiliers bobolais. En effet, poursuit-il, la graine de coton devient de plus en plus rare à cause de la chute de la production du coton. Il explique en outre, que son stock va servir pour deux mois d’activités seulement parce qu’il n’y pas de graine. A la question de savoir s’ils ne peuvent pas se ravitailler à partir du Mali, sa réponse a été on ne peut plus clair. «Au Mali, il est interdit de faire sortir la graine du territoire national », dévoile-t-il.

Au cours de la rencontre avec les autorités, le porte-parole du réseau des importateurs et distributeurs, El hadj Boukaré Ouédraogo, par ailleurs président-directeur général de Sodipra Socom, a fait comprendre que le réseau des distributeurs des huiles alimentaires du Burkina Faso s’inscrit dans une logique d’accompagnement du gouvernement dans la promotion des industries.

Une initiative saluée à sa juste valeur par le ministre en charge du commerce, Harouna Kaboré, qui l’a d’ailleurs qualifiée d’acte patriotique qui vise à résorber la question de mévente dans le secteur. Il a aussi indiqué que la production nationale en huile est estimée à 50 000 tonnes contre un besoin d’environ 100 000 tonnes. D’où l’impérieuse nécessité de réguler les importations pour protéger les industriels nationaux, croit-il savoir. En dépit des multiples entraves, certains continuent de produire sauf qu’ils vendent souvent à perte. Siaka Traoré note avec un brin de regret qu’il est obligé de céder le bidon de 20 litres à 8000 FCFA au lieu de 15 000 FCFA. Comment faire pour survivre ? C’est la préoccupation commune à tous les huiliers bobolais dont certains ont commencé à brader leurs produits sur le marché. « Avec toutes les taxes qu’on paie, on ne peut pas s’en sortir », reconnaît Siaka Traoré.

Ouamtinga Michel ILBOUDO

Omichel20@gmail.com