L’inoxydable métal jaune attire autant d’argent que d’ennuis. Des professionnelles du sexe basées sur les marchés d’or de Sibi, commune rurale de Boromo située à 200 km à l’Ouest de Ouagadougou, vivent d’amères expériences. Viols, coups et blessures, harcèlement et stigmatisation rythment leur quotidien.
Sibi, commune rurale de Boromo, située à 200 Km à l’Ouest de la capitale Ouagadougou, est assiégée depuis 2018 par des orpailleurs. Ils sont venus pour la plupart des anciens sites artisanaux de Houndé, province voisine de Boromo. Ils y ont installé deux marchés d’or sur les berges du fleuve Mouhoun, le plus long cours d’eau du Burkina Faso. Ce fleuve sépare donc Sécaco et le village de Zamo dans le Sanguié où l’or est extrait.
Parallèlement aux activités d’orpaillages, des professionnelles du sexe se sont également installées. Marie Cruz, 18 ans, Nigériane, rabougrie, physique frêle, teint noir, est l’une d’elles. Arrivée par le biais de sa grande sœur, la jeune fille s’est accommodée avec l’activité de prostitution. Nous l’avons retrouvée, dans la mi-journée du 4 juin 2020 au marché d’or du village de Sécaco et ce, après plus de trente minutes de recherche « à la frontière rouge », le quartier général des travailleuses du sexe, un lieu qui abrite des chambres de passe. Et cette professionnelle de sexe trainait toujours avec elle, une blessure au flanc gauche. Avec quatre points de suture encore visibles entre les cotes, la prostituée, très désespérée, a été agressée au couteau par l’un de ses clients après une passe.
A ses côtés, une jeune femme, la vingtaine, l’œil réprobateur, lui ordonne le silence. C’est «sa grande sœur», celle qui l’a fait venir à «la frontière rouge».
Rassurée qu’il ne s’agit point d’une enquête policière, Mary Cruz est finalement autorisée à conter sa mésaventure. «Cette nuit, j’ai reçu le client dans ma hutte. Après l’acte sexuel, il a refusé de payer. A la suite de mon insistance, s’est ensuivie une bagarre violente qui m’a valu ce coup de poignard », confie-t-elle, visiblement encore sous le choc. Ses cris de détresse ont alerté les « koglewéogo », ces groupes d’auto-défense qui assurent la sécurité du «marché de l’or» dudit village. Ce sont eux qui l’ont conduite au Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) de Sécaco. «Je l’ai soignée à 49 500 FCFA. Nous avons réalisé une radiographie et une échographie qui indiquent qu’elle est hors de danger», s’est empressée de lâcher sa «grande sœur».
Mary Cruz n’est pas la seule à avoir été agressée à l’arme blanche. A Boromo, dans le bureau du directeur provincial de la police, les plaintes s’empilent. Des histoires toutes aussi glauques les unes que les autres, comme l’agression sauvage, il y a trois mois, d’une autre prostituée nigériane. « L’agresseur, témoigne le commissaire Zallé, a même incendié la hutte dans laquelle la victime recevait ses clients». Coutumier de ces faits, ce malfaiteur en cavale est recherché, en plus pour mise en danger, et pour destruction de biens d’autrui.
Joyce ne compte pas le nombre d’agressions subies. Exerçant également à Sécaco depuis deux ans, la Nigériane de quarante ans s’attriste des menaces et viols auxquels elle est exposée. «Certains de mes clients me menacent souvent avec un couteau. Ce qui m’oblige à me livrer gratuitement à eux», relate-t-elle. Elle raconte également que certains de ses clients orpailleurs, sous l’effet des stupéfiants, commettent des brutalités pendant l’acte sexuel, occasionnant ainsi des blessures à ses parties intimes.
Elles viennent majoritairement du Nigéria
Soroboly, un autre village de Sibi, a également son marché d’or et aussi ses pratiques hostiles aux travailleuses du sexe. Fina, vingt ans, témoigne : «A plusieurs reprises, des clients reprennent leur argent après l’acte sexuel, prétextant n’avoir pas eu d’orgasme. Les agressions physiques et sexuelles font partie de mon quotidien maintenant», confie-t-elle, le visage crispé. La jeune fille s’exprimait également sous le regard menaçant d’une femme d’environ quarante ans. Elancée, teint grisonnant qui laisse transparaître les stigmates de la dépigmentation sur son corps, cette dame se présente comme la tante de Fina.
Celles qui pratiquent le plus vieux métier du monde dans l’une des communes aurifères des Balé sont de jeunes femmes de dix-huit à quarante ans déclarés mais qui, selon certains témoignages, en ont souvent moins. Leur nombre n’est pas totalement connu, mais les chiffres recueillis auprès du Conseil villageois de développement (CVD) de Sécaco font office de près de 300 professionnelles du sexe en 2019.
Dans une interview accordée à l’Agence nigériane de presse en septembre 2019, l’ex-ambassadrice du Nigéria au Burkina Faso, Ramatu Ahmed, a déclaré que des proxénètes obligent près de 10 000 filles nigérianes à se prostituer notamment dans les mines d’or artisanales au Burkina Faso.
Ces filles de joie sont donc en majorité des Nigérianes. Toutefois, on y dénombre également des Burkinabè venues des villes comme Ouagadougou, Dédougou, Kaya, Bobo-Dioulasso et dans une moindre mesure des Ghanéennes et des Togolaises.
Leurs noms de métier sur ces sites sont: Joyce, Mary Cruz, Pierrette, Fina, Miracle, etc. Généralement, ces filles sont issues de familles modestes.
Fina qui travaille par ailleurs comme serveuse de bar dans la journée accepte de subir toutes ces formes de tortures dans le but de venir en aide à sa famille restée au Nigéria. Le métier nourrit son homme. Elle dit avoir construit une maison pour sa mère. Elle contribue également aux charges familiales et à payer la scolarité de ses frères et sœurs. La travailleuse du sexe confie de ce fait qu’en période de vaches grasses, elle peut recevoir dix à vingt clients par jour et engranger environ 50 mille francs CFA.
Joyce déplore de son côté le fait que tous ses clients ne payent pas. « Je peux avoir dix clients par jour. Mais je me retrouve seulement avec l’argent de cinq clients », déplore-t-elle.
En plus du contrat financier, pas toujours respecté, les filles de joie observent des règles du métier en matière sanitaire pour prévenir les maladies et les grossesses indésirables. Malgré l’exigence du condom, certains clients font leur loi et passent outre.
Violée et enceintée, elle tente de se suicider
C’est ainsi qu’une jeune fille prénommée Miracle est tombée enceinte deux mois après son arrivée sur le site de Sécaco. Teint noir, cheveux coupés, d’une taille d’à peine 1,40 mètre, elle prétend avoir 24 ans, mais en réalité, bien moins. Arrivée du Nigéria en janvier 2020, cette fille portait une grossesse de 4 mois à la date du 4 juin 2020. Victime de viols à plusieurs reprises, elle ne saurait identifier l’auteur de la grossesse.
Surprise de constater sa situation gestationnelle, Miracle a tenté de se suicider à maintes reprises, selon l’un des responsables des « koglweogos ». «Si elle continue avec ses tentatives de suicide, nous allons devoir la référer vers les services de l’action sociale», soutient-t-il.
Pour l’heure, la future maman semble avoir abandonné le projet de mettre fin à ses jours. Elle n’avait toujours pas effectué la moindre consultation prénatale. Néanmoins, Miracle a pris la décision d’accoucher sur le site. En attendant, elle affirme ne pas avoir de nausées, ni de problème particulier avec sa grossesse. Pour l’heure, rien ne l’empêche de continuer ses envolées nocturnes. Aussi, elle n’a toujours pas eu le courage d’effectuer un test de dépistage du VIH-SIDA ni d’aucune autre maladie sexuellement transmissible telle que l’hépatite, la syphilis, la gonococcie…
Dans les marchés d’or de Sibi, les filles de joie côtoient ainsi le danger. D’où le surnom de leur quartier général « Frontière rouge ». Ce quartier malfamé, réputé pour la fréquence de la violence est une zone de non droit où aucun jour ne passe sans que le sang ne soit versé. Les auteurs des agressions sont les orpailleurs, qui en voulant assouvir leur libido même sans argent, déploient tous les moyens pour parvenir à leurs fins. Aussi, des bagarres naissent-elles régulièrement entre proxénètes et prostituées ou entre filles de joie elles-mêmes.
A ce sujet, la direction provinciale de la police de Boromo a reçu une plainte le 1er octobre 2020 d’une travailleuse du sexe de 28 ans, blessée au marché d’or de Sécaco par sa camarade. « L’Incapacité temporaire de travail (ITT) étant de 48heures, il n’y a pas eu de sanction. Et l’affaire a été réglée à l’amiable », a indiqué le 16 octobre 2020, le commissaire central de police de Boromo, Salifou Zallé.
De même, une autre professionnelle du sexe a eu une fracture à la jambe dans la même localité des suites de bagarre violente, selon Salifou Zallé. « L’Incapacité temporaire de travail (ITT) qui a été déterminée à 60 (soixante) jours nous a obligé à déférer l’affaire au tribunal », a-t-il indiqué.
Roger André Zoungrana, alors procureur du Faso près le Tribunal de grande instance de Boromo, a également fait cas de la récurrence de bagarres entre proxénètes et prostituées. Selon des témoignages recueillis auprès des filles de joie par ses services, ces dernières subissent de multiples formes de maltraitance de la part de proxénètes. « Certaines sont battues et séquestrées et d’autres subissent des violences morales ou même de la pression de leur famille d’origine »,a déclaré M. Zoungrana le 16 octobre 2020.
Les violences sur ces filles sont même connues des autorités administratives et coutumières. «J’avoue que les prostituées subissent toutes sortes d’agressions physiques et sexuelles», a reconnu le porte-parole des « koglwéogos » du marché de Sécaco, Daouda Nébié le 4 juin 2020. M. Nébié ajoute par ailleurs qu’aucune nuit ne se passe sans qu’une travailleuse du sexe ne soit agressée « à la frontière rouge ».
Le président du Conseil villageois de développement (CVD) de Sécaco, Abdoul Aziz Sankara, a aussi soutenu le 5 juin 2020, que les violences surviennent lorsque ces filles tentent de résister aux tentatives de viols.
Une tenancière de maquis et tutrice de fait des prostituées à Soroboly dont la jeune Fina, souligne que les viols sur ses protégées sont courants et représentent finalement le moindre mal face aux menaces de mort. Elle-même n’en est pas épargnée par la violence. «A la suite d’une altercation avec mes filles, des orpailleurs sont venus casser six de mes chaises la nuit du Ramadan. Cela a occasionné l’intervention des dozos », relate-t-elle. Cette Nigériane avoue avoir déjà été détenue à la police de Boromoà la suite d’une bagarre violente avec une autre de ses compatriotes
Des agressions criminelles gérées à l’amiable
La plupart des agressions contre les prostituées ont fait l’objet de multiples plaintes auprès des « koglwéogos ». C’est la règle des lieux.
« Nous n’avons pas le droit d’aller directement nous plaindre à la police ou à la gendarmerie sans passer par les groupes d’auto-défense. Pourtant, si nous signalons nos agressions à leur niveau, à peine on nous écoute», s’alarme Pierrette, une autre prostituée de Sécaco. Boukari Nébié, porte-parole des « koglwéogos », confirme que les plaintes sont généralement gérées sans se référer aux autorités compétentes sauf les cas les plus sévères. Pour ce faire, sa structure se contente d’entendre les deux parties et tranche à l’amiable. Concernant l’agresseur de Mary Cruz, Boukari Nébié est formel : « Immédiatement après l’agression, nous avons mis la main sur l’agresseur dans le comptoir (chambre de passe) de la fille». Le président du CVD, Abdoul Aziz Sankara, rassure même que le mis en cause est présentement détenu au commissariat de police de Boromo. Pourtant, le commissaire central de police de Boromo, soutient n’avoir pas eu vent de l’affaire. Les camarades de la victime clament que le bourreau a été certes, appréhendé par les « koglwéogos » mais qu’il a été aussitôt remis en liberté dès le lendemain.
Livrées à elles-mêmes, elles s’accrochent à de sombres soutiens
Les jeunes femmes installées sur les marchés d’or à Sibi subissent la loi de la jungle. Profitant de leur vulnérabilité, des voisins intolérants, des clients sans scrupules et des orpailleurs drogués les malmènent à leur guise. Des groupes d’autodéfense et de protection de la nature, les « koglwéogos » et les « dozos », sont censés assurer l’ordre et la sécurité sur les sites. Mais pour des raisons morales, ils ne sont pas favorables à l’activité du commerce du sexe, tout comme la population de Sibi dans son ensemble. Par conséquent, ils veillent sur ces femmes avec le minimum d’attention et souvent à contre-cœur.
«Nous avons même voulu les chasser et ce, à maintes reprises mais les orpailleurs s’y sont farouchement opposés. Donc nous étions obligés de les laisser », révèle un conseiller municipal de la localité.
Leurs soutiens sûrs se résument aux tuteurs/tutrices et des compagnons, d’anonymes personnages vus plutôt comme des proxénètes par les voisins. C’est le cas de la tenancière du maquis sur le site de Soroboly. Elle a fait le trottoir avant d’y mettre fin suites à des violences répétées sur sa personne. De nos jours, elle vit avec un homme qu’elle présente comme son compagnon.
Toutes les pensionnaires de la « frontière rouge » l’appellent «Grande sœur » ou «Tantie». Elle déclare n’être que la protectrice des jeunes femmes. «Elles attirent la clientèle dans mon maquis. Je ne me préoccupe pas de leur business (prostitution, ndlr)», insiste-t-elle.
Un autre soutien se nomme Bruno. Gérant de kiosque à café sur le site de Sécaco, ce jeune homme s’est présenté en bon samaritain veillant en bénévole selon lui, sur «ses sœurs». Evidemment, il connaît l’histoire de certaines d’entre les prostituées, dupées, selon lui, par des gens qui leur ont promis une destination en Europe. Mais sur la question du proxénétisme, il s’est voulu clair, il n’a rencontré « ses sœurs » que lorsqu’elles sont arrivées à Sibi.
Pourtant, la rumeur court que la tenancière du maquis et lui toucheraient des commissions sur chaque fille et par nuit. Ce réseau de filles dans la localité de Sibi remonterait selon certaines indiscrétions à une gérante de maquis basée à Boromo.
Selon elles, certaines filles expatriées sont contraintes de rembourser les frais du voyage de leur lieu de départ à Sibi, c’est-à-dire le ticket de voyage et les autres dépenses y afférentes.
Victimes de trafic humain et de proxénétisme !
Certaines d’entre elles ont confié au procureur être tenues par des fétiches ou des pactes de sang les obligeant à tenir leur engagement. D’autres sont tenues par leurs papiers, notamment d’identité. Pour le commissaire central de police de Boromo, les filles victimes de proxénétisme ne le savent qu’une fois arrivées sur les lieux où elles se voient pousser dans la prostitution. Ce qui, selon le commissaire de police, n’est que du trafic humain.
Sur cet avis, le procureur confirme : « On a eu une plainte dans la zone de Poura (Boromo) d’une prostituée qui réclamait ses papiers car elle dit avoir été envoyée pour conduire une autre activité et finalement elle a été surprise qu’on la contraignait à se vendre. Donc nous avons interpellé son bourreau qui purge actuellement sa peine ».
La police de Boromo, aux dires de M. Zallé, a également déféré un homme et une femme pour des cas de trafic humain et de proxénétisme au parquet de Boromo en 2019. Il explique en outre que l’homme condamné est le pourvoyeur de ces filles de joie dont l’activité consistait, en collaboration avec un réseau à Ouagadougou, à aller au Nigéria convoyer des filles pour ensuite les envoyer dans les lieux de prostitution notamment dans les sites d’or, moyennant une grosse somme d’argent. A leur tour, les proxénètes envoient ces filles sur le trottoir.
Il poursuit que ses services, en collaboration avec celui de l’action sociale de Boromo et l’ambassade du Nigéria au Burkina, ont mis la main sur un convoi de mineures en partance sur les sites d’orpaillage.
Au niveau du parquet de Boromo, les plaignantes défilent. Et ces plaintes se résument au refus de payement après service, et la détérioration des relations entre prostituées et proxénètes. Mais la majorité des plaintes que reçoivent les services de justice ne sont que de simples déclarations. Ces déclarations sont faites sur la base de fausses identités. «Très souvent, elles ne viennent pas avec leur véritable identité. Et lorsqu’on veut les identifier pour donner une suite judiciaire, on ne sait pas à qui on a à faire. Quand le jugement est programmé, elles ne viennent pas se présenter », regrette-t-il.
Néanmoins, le Tribunal de grande instance de Boromo a traité ces dernières années, cinq dossiers liés au proxénétisme qui ont abouti à des condamnations et à des peines d’emprisonnement allant de 12 à 24 mois.
Pour le cas de Mary Cruz, le procureur a indiqué n’avoir pas été mis au courant. Estimant sa situation suffisamment grave, M. Zoungrana soutient que cela aurait nécessité une instruction judiciaire.
Quid de la législation en la matière ?
Pour André Roger Zoungrana, il n’y a pas une peine prédéfinie en lien avec les violences pour coups et blessures. Les peines sont échelonnées en fonction des paramètres suivants : la détermination et la définition de l’Incapacité temporaire de travail (ITT) par un agent de santé, les dommages corporels et/ou s’il y a eu préméditation ou guet-apens.
Quant à la prostitution, il indique que la législation burkinabè ne la condamne pas. Pourtant, le proxénétisme et le racolage sont des délits passibles de peines. Selon l’article 533-22 du Code pénal, « le proxénétisme est le fait par quiconque de quelque manière que ce soit, d’aider, d’assister, et de protéger la prostitution d’autrui, de tirer profit de la prostitution d’autrui, d’en partager les produits ou de recevoir les subsides d’une personne survivant habituellement à la prostitution, d’embauche ou de détourner une personne en vue de la prostitution ou d’exercer sur elle, pour qu’elle se prostitue ou continue de le faire ». Ce délit est puni d’un emprisonnement de 3 à 10 ans ferme et d’une amende d’un million à six million de francs.
Rabiatou SIMPORE
rabysimpore@yahoo.fr
