A Bama, dans les Hauts-Bassins, le riz est produit en grande quantité grâce à l’aménagement des périmètres irrigués de la vallée du Kou. Si les riziculteurs n’éprouvaient pas trop de difficultés dans la production, cela n’était pas le cas pour l’écoulement. Pour résoudre cette équation, les femmes des coopératives rizicoles ont décidé de se lancer dans la transformation. Ainsi, depuis plus de dix ans, le riz paddy ne connait plus de mévente à Bama.
En cette matinée du jeudi 23 septembre 2021, le centre d’étuvage de riz de Bama ne grouille pas encore de monde. Seules quelques femmes s’affairent à faire sécher du riz étuvé, étalé çà et là. Dans la vaste cour, se dressent des bâtiments servant de magasins et de bureaux. A côté, trônent deux hangars en tôle. L’un abrite d’imposantes machines dont deux décortiqueuses et l’autre des foyers améliorés. Pour l’instant, les machines sont au repos. Des clients viennent au compte-goutte et repartent avec des sacs de riz sur leur monture. Il y en a de 5, 25 et 50 kilogrammes (kg).
Ce centre d’étuvage a vu le jour en décembre 2008 grâce à l’appui de la coopération canadienne. Selon son gestionnaire, Mahamadi Ouédraogo, il constitue une propriété de l’union des groupements d’étuveuses de riz de Bama. A ce qu’il dit, le centre d’étuvage est né dans un contexte où la filière riz connaissait une traversée du désert au Burkina Faso. « Les producteurs avaient du mal à écouler le peu de riz qu’ils avaient », souligne-t-il. C’est ainsi que, poursuit M. Ouédraogo, le Comité interprofessionnel du riz du Burkina (CIR-B) a, avec le soutien de ses partenaires canadiens, commandité une étude qui a révélé que la vente du riz burkinabè à l’état brut engendrait des pertes énormes pour les producteurs.
« L’étude a aussi révélé qu’avec l’expérience que les femmes ont dans l’étuvage, si elles s’organisent, elles peuvent transformer tout le riz de la plaine de Bama», ajoute le gestionnaire du centre. Partant de ces résultats, le CIR-B a décidé de la mise en œuvre d’un centre exclusivement consacré à la transformation du riz paddy. Cette tâche est entièrement dévolue aux femmes. Compte tenu des difficultés d’accès des femmes à la terre, raconte Mahamadi Ouédraogo, elles ont préféré basculer dans la transformation. Au nombre de 721 actuellement, ces transformatrices sont issues des groupements d’étuveuses logés dans les huit coopératives des producteurs de riz de Bama.
Pour l’exécution du travail, elles sont réparties en sous-groupes de 30 à 40 femmes pour un cycle de trois jours par passage. La corvée consiste à laver le riz paddy pour le débarrasser de ses impuretés, puis à le passer à la vapeur, à le sécher avant de le décortiquer à l’aide de machines semi-modernes. « Dans les trois ou quatre ans qui ont suivi l’opérationnalisation du centre, le problème de la mévente a été résolu. On disait que les femmes de Bama ont sauvé la filière riz à un moment donné », se souvient M. Ouédraogo. Satisfecit des femmes Pour l’approvisionnement de la matière première, le centre bénéficie de l’accompagnement des banques et de la caisse populaire.

d’un vieux souvenir.
Et en début de campagne, des contrats sont signés avec l’union des producteurs de riz pour la livraison. Au fur et à mesure que les femmes transforment, le stock est vendu aux clients. « A la fin de la campagne, on fait un bilan. Les femmes se partagent les bénéfices et le cycle de transformation reprend, puisqu’on en a deux dans l’année », informe le gestionnaire du centre. De quoi réjouir les femmes qui arrivent à tirer leur épingle du jeu. Azèta Ouédraogo, la quarantaine révolue, travaille dans le centre depuis sa création en 2008. Elle estime que le centre lui est bénéfique parce qu’elle arrive à prendre en charge sa famille et à payer la scolarité de ses enfants. « S’il y a de grosses commandes, je peux m’en sortir avec des bénéfices allant de 150 à 200 mille F CFA par campagne », affirme-t-elle, toute fière. Et ce n’est pas tout.
Chaque femme, membre de la coopérative des étuveuses, peut se faire d’autres bénéfices en décortiquant son propre riz au centre à raison de 900 F CFA le sac de 100 kg qu’elle revend sur le marché. « Aujourd’hui, le centre m’a ouvert les yeux. Même si je gagne cinq
millions F CFA, je peux les investir rationnellement dans l’étuvage du riz afin de récolter des bénéfices », se convainc Azèta, la mère de six enfants. Safiata Ganamé (30 ans) et Safi Zonnin (35 ans) sont aussi membres de la coopérative. Ce matin-là, elles font partie du petit groupe de femmes présent au centre.
Les visages dégoulinant de sueur, elles affirment également tout le bien que le centre d’étuvage leur procure. Safiata qui y travaille depuis six ans, dit réinvestir ses bénéfices dans l’achat du riz paddy afin de les fructifier. Ce qui lui permet de subvenir convenablement aux besoins de sa famille. Toutefois, les femmes signalent que tout n’est pas toujours rose dans leur activité. Le gros problème demeure l’instabilité du marché où le riz peut parfois manquer de preneur. Outre cela, il y a les retards qu’accusent certains clients dans le paiement de leurs commandes. « Quand certaines structures lancent une grosse commande, le plus souvent, elles mettent du temps avant de nous payer. C’est le cas par exemple de la SONAGESS (Ndlr, Société nationale de gestion des stocks de sécurité alimentaire) qui peut faire un retard de 7 à 8 mois », se désole Azèta.
Une situation qui, pour elle, pénalise les femmes puisqu’elles mobilisent toutes leurs économies pour transformer le riz. Les moyens qu’utilise le centre pour la transformation

de transformation du riz existent à Bama.
du riz paddy sont modestes. En dépit du matériel basique tel que les bassines, les barriques, les brouettes, les couscoussiers…, il dispose aussi d’outils semi-modernes, notamment deux décortiqueuses d’une capacité de 700 à 800 kg par heure et une trieuse capable de diminuer le taux de brisures et de débarrasser le riz de ses impuretés.
Invite à consommer local
Les foyers améliorés utilisés sont alimentés à l’aide du son de riz issu du décorticage et cela, pour résoudre la question du manque de bois de chauffe. Ce matériel jugé de faible capacité par les responsables du centre n’est pas de nature à leur permettre de satisfaire des commandes de près de 2000 tonnes de riz.
Qu’à cela ne tienne, ils disent ne pas baisser les bras. En plus du riz étuvé, le centre transforme aussi le riz blanc en petite quantité pour les besoins de la clientèle. Il (riz blanc comme étuvé) est conditionné dans des sacs de 5, 25 et 50 kg au prix moyen de 2 200, 10 000 et 19 000 F CFA. Les variétés transformées sont celles les plus prisées par les consommateurs, à savoir la TS2, la Orylux6 et la FKR62N. Le gestionnaire du centre, lui, préfère de loin le riz étuvé à celui tout blanc. Puisqu’à l’écouter, lorsqu’on passe le riz à la vapeur, cela augmente non seulement sa valeur nutritive mais aussi son taux de rendement au décorticage.
« Quand on décortique le riz ordinairement avec nos petites machines, on a autour de 62% de taux de rendement en riz blanc, avec beaucoup de brisures. Par contre, si on passe par l’étuvage, on est à près de 70% de rendement », explique Mahamadi Ouédraogo. Après dix ans d’expérience dans l’étuvage du riz, celui-ci dit avoir toujours un pincement au cœur. Pour lui, l’engouement des consommateurs pour le riz local est manifeste mais encore loin d’être satisfaisant. Son constat est que le riz importé concurrence fortement celui burkinabè.
« Il y en a qui estiment que le riz local coûte cher, alors que cela est lié aux coûts de production », note M. Ouédraogo. Il regrette que jusqu’à aujourd’hui, son centre soit encore obligé de passer par les radios et les foires pour faire connaitre son riz. Mais paradoxalement, révèle-t-il, le riz de Bama est beaucoup prisé au Mali, si bien que chaque semaine, des commerçants de ce pays voisin viennent s’approvisionner au Burkina Faso. « Cela ne nous plaît pas mais on n’a pas le choix. On aurait souhaité que ce soit des nationaux qui s’intéressent à nos produits », déclare Mahamadi.
Afin de sauver le riz « made in Burkina », l’Etat a trouvé la parade en permettant aux transformateurs de ravitailler les cantines scolaires. Là également, des difficultés subsistent. « Ça aussi, c’est temporaire et la procédure est très complexe. On peut faire six à huit mois avant d’être payé », soupire le gestionnaire du centre. C’est pourquoi il demande à l’Etat de les soulager en allégeant la procédure. Aux Burkinabè, il les invite à consommer ce que nous produisons car, il y va de leur santé et celle de l’économie nationale.
Mady KABRE
