Transformation des produits maraîchers au Nord Le maillon faible d’une chaîne en pleine expansion

Depuis belle lurette, la région du Nord a acquis une renommée dans la culture maraîchère. Chaque année, des milliers de tonnes de produits sont déversés sur le marché. Malgré cette réputation, les producteurs profitent très peu des fruits de leurs efforts à cause des pertes post-récolte. La transformation qui devrait intervenir comme une alternative peine aussi à se développer. Les multiples unités qui existent demeurent toujours, pour la plupart, artisanales.

Purée, pulpe ou confiture de tomate, tomate séchée en rondelle ou en lamelle, oignon séché ou en poudre, farine, couscous ou macédoine de pomme de terre… Ce sont là, autant de produits maraîchers transformés que l’on retrouve à Ouahigouya, chef-lieu de la province du Yatenga et de la région du Nord. Ce savoir-faire local est l’apanage de certaines femmes, soucieuses d’apporter une plus-value aux cultures de contre-saison, produites en abondance dans la localité. Mardi 5 avril 2022. La cité de Naaba Kango s’est encore réveillée des bras de Morphée. Les habitants reprennent leur train-train quotidien, parfois avec la hantise de la menace terroriste. Après quelques slaloms entre les labyrinthes des concessions, nous sommes devant le siège de la coopérative Femmes sahéliennes et développement. Bâti sur une superficie d’un hectare (ha) au quartier Fourma, secteur 12, le local fait également office d’unité de transformation de fruits et légumes. Cela fait dix ans que cette congrégation d’une trentaine de femmes s’attelle à donner une autre vie aux produits issus du maraîchage. Les spéculations phares telles que la tomate, l’oignon et la pomme de terre font partie de leurs spécialités. Ces produits sont soit séchés, soit transformés en pulpe, en purée  ou en poudre et conditionnés dans des sachets ou des pots. Il y en a pour toutes les bourses. Ainsi, on y trouve des sachets de 100, 200 et 250 grammes (g) de tomate séchée correspondant à 200, 750 et 1 000 F CFA,  de l’oignon séché de 250g à 1 000 F CFA, de la macédoine de pomme de terre de 400g à 1 250 F CFA, des pots  de pulpe de tomate à 1 000 F CFA… Pour l’obtention de la tomate séchée, la présidente de la coopérative, Téné Haoua Maïga, explique que le produit frais est découpé en lamelle ou en rondelle, puis étalé sur des claies que l’on place dans des séchoirs solaires pendant 72 heures (h). L’oignon, quant à lui, devient sec après seulement 24 h. « On peut aussi frire l’oignon pour lui donner une autre couleur ou odeur ou encore le transformer en poudre pour assaisonner les sauces », ajoute Mme Maïga.

Tô de pomme de terre

Pour la pomme de terre, elle est transformée en couscous ou en fécule qui sert à faire le tô, en association avec la farine de céréales. Le couscous et le tô de pomme de terre, précise-t-elle, sont surtout valorisés par certaines restauratrices lors des pauses-café. Nonobstant la canicule et les effets du jeûne, la présidente de la coopérative Femmes sahéliennes et développement nous fait découvrir son unité. Cinq séchoirs solaires, des moulins, dix séchoirs à gaz pour la transformation de la mangue, des claies, des tables et des ustensiles de cuisine sont, entre autres, les équipements utilisés par les dames. Pour l’instant, les activités sont au ralenti par manque de matières premières, consécutif à l’assèchement des retenues d’eau.

Au secteur 13, un autre groupe de femmes excelle également dans la transformation des spéculations maraîchères. Les produits concernés sont quasi identiques à ceux de la précédente coopérative, avec sensiblement les mêmes prix. Etablie sur une parcelle de 500 mètres carrés (m2), cette unité de transformation est pilotée par le groupement Kibay la bumbu (qui signifie l’information est capitale, en langue mooré), fort de 15 membres. Là également, le matériel est pour le moment rangé dans les magasins, faute de matières premières. A entendre la présidente de l’unité, Assétou Sodré, la dernière production remonte au mois de février 2022. Une information qui peut se vérifier aisément sur les emballages des oignons et tomates séchés. Ces affiches indiquent comme date de production: 15/02/2022, pour une durée de conservation d’un an. Toutefois, on s’active à écouler ce qui est déjà transformé en attendant la reprise normale des activités.

Autre lieu, même constat. Au secteur 4 de la cité de Naaba Kango, le centre Basneree s’est spécialisé dans la transformation de la tomate principalement. Une unité semi moderne y est installée à cet effet. Ce 6 avril 2022, les machines sont au repos pour les mêmes raisons d’absence de matières premières. Mais dans les magasins, un stock de double concentré de tomate est en attente d’être écoulé. Cette purée est conditionnée dans des pots en plastique de 200, 400, 900, 1 750 et 4 500 g. Les prix quant à eux, vont de 300 à 5 000 F CFA. Mois de carême oblige, la plupart des travailleuses sont en congé, selon le représentant de l’unité, Sosthène Balima. A l’entendre, sa structure a commencé la production proprement dite il y a seulement un an, notamment en 2021; les années précédentes ayant été consacrées à la phase expérimentale.

Un savoir-faire local

A l’image de ces trois unités, elles sont nombreuses les femmes qui, individuellement ou collectivement, s’adonnent à la transformation des produits maraîchers au Yatenga et partant, dans la région du Nord. Ce savoir-faire local, elles disent le détenir de feu Bernard Lédéa Ouédraogo, un passionné du monde agricole et fondateur de la Fédération nationale des groupements Naam. « Nous avons commencé la transformation depuis 1989 avec les groupements Naam et c’est Bernard Lédéa Ouédraogo qui nous a formées », affirme Mme Maïga. Pour elle, l’idée même de la pratique du maraîchage au Yatenga est venue de M. Ouédraogo. Ayant constaté que les produits pourrissaient entre les mains des maraîchers, celui-ci a trouvé l’initiative de les faire sécher en vue de les garder pour la période de soudure. Nanties de ces connaissances somme toute capitales, nombre de femmes ont poursuivi leur carrière dans la transformation après le séjour passé au sein des groupements Naam. « Dès que nous avons été mises à la retraite, nous avons continué à transformer les produits depuis 2012 pour ne pas rester inactives. En vue d’assurer la relève, nous avons aussi initié nos sœurs et nos filles », mentionne Mme Maïga. Cette activité, exercée en majorité par des femmes, constitue également une aubaine pour les membres du groupement Kibay la bumbu. « Nous sommes à la retraite et depuis 2002, la transformation nous occupe beaucoup », renchérit sa présidente, Assétou Sodré, par ailleurs vice-présidente de l’Association professionnelle des maraîchers du Yatenga (ASPMY). Cette association fait d’ailleurs partie des structures qui ont pris le relais dans l’accompagnement des transformatrices en termes de formation et d’équipements.

Selon la présidente du groupement Kibay la bumbu, Assétou Sodré, le manque de moyens handicape sérieusement le secteur de la transformation

Au-delà de la saine occupation et des bénéfices engrangés, les acteurs de la transformation rendent un grand service au maillon de la production. Sosthène Balima du centre Basneree relève que la décision de transformer la tomate est venue d’un constat amer fait sur les périmètres maraîchers. En effet, souligne-t-il, la mévente, le pourrissement et le bradage de la tomate à vil prix sur le marché étaient le quotidien des producteurs. Il se souvient avec amertume que ce sont les étrangers qui fixaient les prix des produits selon leurs humeurs. « Les producteurs souffraient beaucoup. On a donc décidé d’installer l’unité pour les soulager », confie M. Balima.

Limiter les pertes post-récolte

Même si la transformation n’est pas encore faite à grande échelle, force est de reconnaître qu’elle contribue à limiter un tant soit peu les pertes post-récolte. « Nous transformons environ 1,5 tonne (t) d’oignon et près de 2t de tomate par an. Nous pouvions faire mieux si nous étions bien équipées », estime Mme Sodré.

Le chef de service régional de la promotion de l’économie rurale du Nord, Ouango Tiendrebéogo, note qu’il y a une panoplie d’unités de transformation dans la région mais celles-ci restent encore artisanales. Selon la base des données actualisées de son service, le nombre de ces unités est estimé à 51, voire plus. Seulement, son souhait aurait été que ces unités soient semi modernes ou modernes pour booster davantage l’économie de la région. Qu’à cela ne tienne, ces initiatives locales sont bien accueillies par les maraîchers qui ne cessent de les louer. « Grâce à ces unités, nous n’avons plus peur de produire en quantité. Même nos femmes s’essaient aussi au séchage de la tomate à la maison », se réjouit Oumarou Ouédraogo, maraîcher au barrage de Goinré.

Le choix des produits à transformer ne se fait pas au hasard. Il obéit à des normes, selon les acteurs du domaine. De l’avis de la présidente de la coopérative Femmes sahéliennes et développement, l’utilisation des engrais chimiques et des pesticides provoque le pourrissement précoce de la matière première et joue sur les produits séchés. « Quand j’étais au groupement Naam, on a envoyé une commande de tomate séchée en Europe. A la surprise générale, notre produit a été déclassé parce qu’il contenait des substances chimiques », témoigne-t-elle, avant de rappeler que beaucoup de partenaires exigent des produits exclusivement bio. Embouchant la même trompette, Sosthène Balima informe que le centre Basneree ne prend pas n’importe quelle tomate. Parce que, explique-t-il, dans la phase des tests, les responsables ne triaient pas la tomate et finalement, cela n’a pas répondu à leurs attentes. Cette expérience quelque peu amère les a obligés à recourir à des producteurs spécifiques qui font rien que du bio pour ne pas subir des pertes. Une exigence que tous les producteurs ont du mal à respecter pour le moment. A écouter certains, la fumure organique seule ne suffit pas. Il faut compléter avec l’engrais chimique, même s’ils n’hésitent pas à dénoncer non seulement son coût exorbitant mais aussi sa qualité douteuse. « Désormais, nous allons mettre l’accent sur la production du fumier », s’engage Moussa Ouédraogo, maraîcher installé autour du barrage Kanazoé de Ouahigouya.

Les séchoirs utilisés par les transformatrices fonctionnent à l’aide de l’énergie solaire

Hausse des prix des produits

Pour sa part, le Directeur régional (DR) en charge de l’agriculture du Nord, Abdoul Karim Ouédraogo, note une utilisation immodérée des engrais chimiques (Urée et NPK) par les maraîchers à telle enseigne que cela impacte la durée de conservation des produits. « Les intrants que le ministère met à notre disposition pour les producteurs sont conformes. Maintenant, si des gens passent par des voies parallèles pour s’en procurer, il est possible que l’on retrouve des engrais de mauvaise qualité sur le marché », se défend le DR. Pour pallier ces difficultés, il conseille vivement l’utilisation de la fumure organique. A cet effet, informe M. Ouédraogo, sa direction s’investit chaque année dans la formation des agriculteurs des différents villages aux techniques de production du compost.

De l’avis de nombre de transformatrices, la matière première est généralement disponible. Toutefois, elles notent une exception pour cette année. En effet, relate Téné Haoua Maïga, les pluies ont été très insuffisantes dans le Nord durant la campagne agricole passée. Si fait que les maraîchers ont eu des difficultés à produire. La conséquence immédiate, à l’écouter, a été la rareté, voire le manque et la cherté de la matière première sur le marché. Du coup, indique-t-elle, les prix de la tomate, de l’oignon et de la pomme de terre ont connu une hausse vertigineuse. La sexagénaire révèle par exemple que le prix du kilogramme (kg) de pomme de terre a grimpé soudainement en l’espace de quelques mois à Ouahigouya, passant de 250 à 500 F CFA  entre janvier et avril. Ce qui pourrait induire logiquement une révision à la hausse des prix des produits transformés. Les deux barrages (Kanazoé et de Goinré) sur lesquels les maraîchers de Ouahigouya comptaient pour produire sont à sec depuis le mois de mars. « On peut même y jouer au football », ironise M. Balima, avant de signaler que son unité se tourne désormais vers les  maraîchers du barrage de Guitti, à près de 70 km à l’est de Ouahigouya. Dans les zones de Tougou, Titao ou Thiou au nord, fait-t-il remarquer, il est impossible de s’y rendre du fait de la présence des groupes armés terroristes. « Franchement, on travaille avec le courage, sinon ce n’est pas rentable au regard des coûts de production », soupire M. Balima. Des dires du DR en charge de l’agriculture du Nord, une unité de transformation de pomme de terre est installée à Titao mais compte tenu de l’insécurité, elle n’est pas opérationnelle.

Mauvaise qualité des emballages

Outre le manque temporaire de produits cette année, les transformatrices sont aussi confrontées à un problème d’emballages. Hormis le centre Basneree qui dispose d’emballages appropriés, les autres peinent à en trouver. Au niveau de la coopérative Femmes sahéliennes et développement, on évoque la cherté des pots destinés au conditionnement de la purée de tomate, si bien que l’on utilise parfois des bouteilles récupérées en lieu et place. Pour la tomate séchée, des sachets en plastique servent d’emballage. Là aussi, indique la présidente de la coopérative, Téné Haoua Maïga, le produit se noircit après seulement six mois de conservation, surtout en hivernage. « C’est un souci pour nous. Nous avons exprimé nos préoccupations en vain », déplore-t-elle. Même son de cloche au groupement Kibay la bumbu où on pointe le manque de moyens financiers pour acquérir de bons emballages. Or, déclare le DR Ouédraogo, la qualité de l’emballage est très déterminante dans l’écoulement des produits hors du pays. C’est pourquoi il exhorte les transformatrices à suivre les voies indiquées pour l’acquisition de leurs emballages. En tout état de cause, le DR dit avoir foi en la qualité de leurs produits, parce que fabriqués et conservés naturellement. « J’aime beaucoup la tomate séchée. J’en apporte souvent à ma famille », apprécie-t-il. Ouango Tiendrebéogo est du même avis lorsqu’il affirme que ces produits sont bien prisés, sauf que d’autres consommateurs rament toujours à contre-courant en préférant ce qui vient de l’extérieur. « Notre politique est d’encourager  la transformation et de sensibiliser les gens à consommer ces produits », assure le chef de service régional de la promotion de l’économie rurale.

En jetant un coup d’œil dans le rétroviseur, l’on constate que plus de trente ans après, le secteur de la transformation des produits maraîchers peine toujours à décoller dans la région. Il semble encore embryonnaire avec de multiples défis à relever. Il y a d’abord la méconnaissance ou la négligence des produits transformés sur place.

Formation permanente des acteurs

Hormis les sièges des différentes unités, il est difficile d’en trouver dans les rayons des alimentations à Ouahigouya. Ce sont plutôt les foires qui les ont révélés aux consommateurs, à en croire les transformatrices. Ces tribunes ont permis à la coopérative de Téné Haoua Maïga de vendre de la tomate et de l’oignon séchés hors des frontières burkinabè, notamment en Côte d’Ivoire, au Niger, au Togo et au Bénin. Pour sa part, la vice-présidente de l’ASPMY atteste que la transformation se fait en fonction des commandes, surtout au moment de la soudure où les besoins se font pressants. Les moyens financiers et matériels ne sont pas non plus à négliger dans l’essor du maillon de la transformation. Pour Mme Maïga, le secteur a du mal à émerger parce qu’il est animé surtout par des femmes qui n’ont pas accès aux crédits bancaires, faute de garanties. En plus, fait savoir le DR Ouédraogo, le volet transformation ne faisait pas partie des priorités à une certaine époque, à tel point que les maraîchers produisaient juste pour l’écoulement et la consommation. Pour lui, le manque de formation explique aussi son faible niveau actuel. « Maintenant, les gens ont pris conscience et beaucoup se sont spécialisés dans le domaine. C’est pourquoi le ministère et ses partenaires organisent chaque année des activités de renforcement des capacités de ces acteurs », souligne-t-il.

Malgré les difficultés rencontrées, les dames ne comptent pas baisser les bras. Mieux, elles disent tirer leur épingle du jeu. Pour Mariam Ouédraogo, 63 ans, et membre du groupement Kibay la bumbu depuis huit ans, cette activité lui permet de gagner sa vie et de s’occuper de la scolarité de ses enfants. Chez Assétou Sodré aussi, point de découragement : « même si on ne va pas transformer pour vendre, on peut le faire pour sa propre consommation ».

Mady KABRE

dykabre@yahoo.fr