
Les abords du barrage de Tanghin et de l’échangeur du Nord, à Ouagadougou, sont pris d’assaut par des maraichères venues d’horizons divers. Ces femmes, pour la plupart ménagères, cherchent leur pitance quotidienne à travers principalement la culture de l’amarante, communément appelée « Boronbourou » en langues nationales mooré et dioula. Certaines d’entre elles dépassent la soixantaine. Zoom sur ces vieilles dames qui mènent cette activité depuis au moins une quinzaine d’années.
L’amarante fait partie de la famille des Amarantacées très répandues dans toutes les régions tropicales et subtropicales du monde entier. C’est une culture commerciale produite aussi bien en saison sèche qu’en saison des pluies, en milieu urbain comme en milieu rural.

C’est cette plante que de nombreuses femmes ont choisi d’entretenir aux abords du barrage de Tanghin et de l’échangeur du Nord. Les fruits de ce travail servent à entretenir leur famille.
A notre arrivée en cette matinée du 13 juin 2022, aux environs de 10 heures, plusieurs s’attellent déjà à la tâche du côté de l’échangeur du Nord. Certaines défrichent leurs parcelles, d’autres récoltent les feuilles.
Parmi elles, Koudnoaga Ouédraogo y travaille depuis 20 ans. Agée de 63 ans, elle est détentrice d’un terrain d’environ un hectare sur lequel elle cultive l’amarante et le «kénéboudo».
Cette mère de cinq enfants et de quinze petits-fils, dit parcourir environ 15 km pour rejoindre son champ dès 7 heures du matin pour ne repartir qu’à 17 heures.
Elle explique comment obtenir les premières plantes : «Les graines sont semées à la volée sur une planche auparavant fertilisée. La surface utilisée est divisée en petites parcelles de forme rectangulaire dont les dimensions varient d’une femme à l’autre. 7 à 10 m de long sur 1 à 1,5m de large avec des passages de 0,5 m. Au bout de deux jours ou d’une semaine tout au plus, les premières pousses apparaissent. Il faut attendre 3 à 4 semaines pour passer à la récolte ».
Elle dit vendre cinq planches à 20 000 F CFA. Au fur et à mesure qu’elle donne ces explications, elle se dirige vers un seau vert (un bidon de 20 litres à moitié coupé). Celui-ci contient un produit liquide qui dégage une forte odeur piquante.

«C’est pour tuer les vers qui sont nuisibles aux plantes», dit-elle. Ledit liquide est un mélange d’insecticides dissout dans l’eau pour pulvériser à l’aide d’un balai.
Ces produits coûtent entre 3 000 et 3 500 F CFA l’unité. Elle en fait recours chaque fois que ces bêtes nuisibles commencent à dévorer les plantes. A l’approche du seau, une forte odeur piquante nous accueille.
Pourtant, elle n’a, comme outil de protection, qu’un simple masque. Le produit n’est-il pas dangereux ? «C’est peut-être dangereux car j’ai des picotements au niveau des yeux et des narines après utilisation. Mais comment faire ? Je ne connais pas d’autres produits qui sont aussi moins chers. Pour me protéger, je suce de l’orange et du sel», répond-elle.
La voisine directe de Dame Koudnoaga est Sienoaga Sawadogo. Elle aussi travaille sur les mêmes plantes. Elle est la propriétaire des lieux, hérités de son père.

Elle loue la plupart de ses terres à 10 000 F CFA l’an. Agée de 69 ans, elle dit être ici depuis 25 ans. Elle a également des plants d’eucalyptus qu’elle vend à 500 F CFA la branche.
« Je n’ai pas d’heure pour venir ici. Quand je me sens capable de travailler, je viens vers 10 heures pour descendre vers 18 heures. Je loge à Kologh-naaba», confie-t-elle.
Elle exploite une quinzaine de planches dont les fruits sont vendus entre 3 500 et 4 000 F CFA. Chez Mme Sawadogo, l’heure est à la récolte.
Elle explique que celle-ci consiste à couper uniquement les feuilles. « On n’arrache pas la plante qui doit renouveler ses feuilles », dit-elle. On doit aussi épargner les bons pieds pour récolter les graines qui serviront à faire d’autres planches.
Yamtaré Ouédraogo exploite 16 planches. En cette matinée, elle a décidé de débuter son travail par l’arrosage de ses plants. A 58 ans, souffrant du mal de dos, Mme Ouédraogo dit mener cette activité pour subvenir aux besoins de sa famille.

Son époux étant malade et n’ayant pas d’autres choix, elle est obligée de « se battre » ici pour gagner sa subsistance à travers la vente de l’amarante.
« La commercialisation se fait bord champ. Nos clients sont surtout des grossistes. Ils viennent prendre les feuilles par planches pour vendre et reviennent nous remettre l’argent. Souvent, une planche peut valoir 4 000 F CFA».
Quant à Téné Ouédraogo, qui est en train de désherber son champ en position assise, elle déclare que cette activité est sans repos. Elle nécessite une présence assidue. C’est pourquoi, malgré la fatigue, elle n’a pas l’intention d’abandonner aujourd’hui.
Du haut de ses 61 ans, elle dit pratiquer la culture des feuilles sur une vingtaine de planches. « Je suis assise parce que je suis fatiguée. C’est juste le temps de reprendre mes forces et après je continue», affirme-t-elle.

Avant la fin des échanges avec Téné Ouédraogo, une vieille, petite de taille, nous rejoint. C’est Talato Ouédraogo, 57 ans. Parlant de ses débuts, elle révèle que c’est aux côtés du père de Sienoaga qu’elle a appris le jardinage, il y a de cela 35 ans.
En plus de l’amarante, elle fait de la salade, de la menthe et de l’épinard. Elle n’exploite actuellement que six planches car les 12 autres ont été englouties par l’eau. «Je prie Dieu pour pouvoir récolter avant que l’eau ne submerge ma planche», espère-t-elle.

Parmi ces productrices, il y en a de plus jeunes à l’image de Nadine T. Yaméogo, 32 ans. L’eau a envahi la grande partie de ses terres, environ 11 planches. Elle justifie sa présence en ces lieux: « Je suis venue ici après que j’ai quitté l’école suite à une grossesse. Cette activité m’aide à joindre les deux bouts ».
Pour une bonne récolte, elle est obligée de faire des dépenses pour l’entretien du sol. Il s’agit, entre autres, de l’urée qui coûte 3000 F CFA, de l’engrais organique (2 000 F CFA), de la charrette et d’un autre produit chimique qui coûte 1 500 F CFA dont elle ignore le nom.
Pour se prémunir des effets nocifs des produits utilisés, elle dit porter des verres et un masque. Et après elle nettoie ses mains au savon.
Les feuilles de l’amarante sont utilisées dans la préparation des sauces. Les possibilités de varier la composition de ces sauces sont nombreuses. Aux feuilles sont ajoutés d’autres ingrédients pour la préparation d’un met local bien apprécié par certains Burkinabè, le «babenda». Il se vend partout dans la capitale à un prix abordable : 100 F CFA la louchée.
Au grand marché de Ouagadougou, Fati Ouédraogo en a fait sa principale activité. Elle vend au compte de sa maman. A partir de midi, on la trouve entourée de ses clients.

Pour la préparation de ce met, elle explique qu’en plus des feuilles d’amarante, elle ajoute des feuilles d’oseille, de « kénéboudo », de l’oignon, du riz…
On le consomme avec l’huile et le sel. Par rapport aux bénéfices, elle se contente d’annoncer que c’est rentable.
Sur le plan nutritionnel, beaucoup reconnaissent en l’amarante des valeurs. Comme la plupart des légumes et feuilles vertes, elle a une teneur en eau et contient aussi des sels minéraux comme le calcium et le fer.
Habibata WARA
