Pisciculture en cages flottantes: le défi de Samendéni pour nourrir le Burkina en poisson

Les cages flottantes vont permettre de booster les rendements piscicoles à Samendéni.

A la faveur de l’Offensive agropastorale et halieutique, le Burkina compte produire 100 mille tonnes de poisson à l’horizon 2025. A Samendéni où il est prévu la pisciculture en cages flottantes, cette mesure est perçue comme un challenge par les acteurs de la filière poisson. La plus grosse partie de cette quantité va y être produite.

A un jet de pierre de la digue du barrage de Samendéni, dans la commune de Bama, région des Hauts-Bassins, un regroupement inhabituel attire l’attention, ce 14 mars 2024. Des jeunes s’activent au bord du plan d’eau qui s’étale à perte de vue. De prime abord, on se croirait à une partie de pêche de capture où mareyeurs et acheteurs s’agglutinent autour du poisson. Mais que nenni ! Ces acteurs sont en pleine confection de cages flottantes destinées à la pisciculture. Ils y ont installé leur quartier général depuis près de deux mois pour donner vie à ces infrastructures submersibles.

Les coups de marteaux et le ronronnement des groupes électrogènes s’entremêlent. Sur les lieux, les résultats sont déjà visibles. Des cages de forme rectangulaire, faites de barriques en plastique, de barres de fer et de filets, attendent d’être acheminées au milieu du lac artificiel pour y être fixées. Lentement mais sûrement, d’autres sont en train de prendre forme. Pas de répit pour les acteurs engagés dans cette « unité de montage » à ciel ouvert. Par petits groupes et les visages perlés de sueur, ils soudent le fer, attachent à l’aide de cordes les barriques et les filets aux barres de fer et fixent des planches au-dessus de certaines d’entre elles. Pêlemêle, d’autres matériels sont entreposés et attendent leur tour.

Des ferraillages, des barriques en plastique de couleur bleue, des cordages, des planches, des pneus usés dont certains sont bourrés de béton, des tiges de bambou, etc. inondent l’espace. Au milieu de ces travailleurs, Richard Badi, le spécialiste de la pisciculture en cages flottantes à Ziou, dans la province du Nahouri, ne passe pas inaperçu. Le promoteur de Kaïros agro aquacole a fait le déplacement de Samendéni, pour apporter son expertise aux acteurs de la filière poisson en termes de confection et d’installation de cages flottantes.

« Je suis ici pour partager le peu d’expérience que j’ai dans le domaine des cages flottantes et faciliter l’installation des différents promoteurs », justifie-t-il. Au regard de l’étendue du plan d’eau, estimée à environ 40 km, le formateur assure que le barrage de Samendéni est une opportunité à saisir pour booster ce type de pisciculture. C’est pourquoi, il conseille aux promoteurs piscicoles de veiller à la qualité des installations, car elles se font en fonction de la pression du vent et du débit de l’eau en hivernage.

54 mille tonnes de poisson pour 2024

Le directeur de l’aquaculture et de la recherche-développement, Dr Badioula Coulibaly : « notre objectif est de rendre le poisson accessible à tous les Burkinabè ».

« Si les cages ne sont pas bien fixées, elles peuvent se déplacer et créer des désagréments », prévient M. Badi. Ce travail entre dans le cadre de l’offensive agropastorale et halieutique lancée par le ministère de l’Agriculture, des Ressources animales et halieutiques, où il est prévu de produire 100 mille tonnes de poisson au Burkina Faso à l’horizon 2025. Ce jeudi matin du 14 mars, le directeur de l’aquaculture et de la recherche-développement du ministère en charge de l’agriculture, Dr Badioula Coulibaly, est allé s’enquérir de l’état d’avancement des travaux et encourager davantage les acteurs. A ce qu’il dit, le site de Samendéni a été retenu pour la production de poisson, uniquement en cages flottantes.

Cette technique innovante, selon lui, a de multiples avantages, au nombre desquels le renouvellement permanent et une meilleure oxygénation de l’eau, contrairement à la pisciculture classique à l’aide des bassins. « Ces deux avantages permettent d’augmenter les densités, puisque dans la pisciculture classique, on utilise 1 à 3 poissons par m3 d’eau. Alors qu’avec les cages flottantes, on peut aller de 100 à 200 poissons par m3 d’eau. Cela permet au poisson de grandir rapidement », explique Dr Coulibaly. Mieux, ajoute-t-il, les rendements du tilapia seront à la hauteur au regard de la qualité de l’eau. « A trois mètres de profondeur déjà, le niveau d’oxygénation de l’eau est de 6,5 ppm, alors que le tilapia a besoin de 3 à 4 ppm pour se développer. L’eau est aussi bien claire et il y a des vagues. Ce sont des aspects qui montrent que le poisson doit grossir vite », se réjouit le directeur de l’aquaculture et de la recherche-développement.

Pour l’année 2024, annonce-t-il, il est attendu une production de 54 mille tonnes de poisson pour tout le Burkina et la majorité de cette quantité doit provenir de Samendéni. Pour y parvenir, les acteurs doivent consentir d’énormes efforts. A entendre Dr Coulibaly, il y a des promoteurs qui ont des cages de 90 m3, correspondant à 9 tonnes de poisson par an et par cage. Partant de cette base, il faut 6 000 cages de cette taille pour atteindre les prévisions de cette année. A ce niveau, il dit garder un bon espoir que le barrage de Samendéni seul peut couvrir la majeure partie des besoins de consommation des Burkinabè. Car, note-t-il, les plus gros acteurs ont promis chacun de produire une soixantaine de cages et les petits en ont prévu une dizaine chacun.

« Il nous faut 100 acteurs qui puissent faire chacun 60 cages. Mais pour le moment, huit promoteurs ont soumissionné leurs dossiers dans ce sens et une quarantaine d’autres comptent en faire moins », relève Dr Coulibaly. Ce déséquilibre, selon lui, est dû au fait que dans l’appel à projets, il est mentionné que pour soumissionner, il faut présenter un projet qui vaut 50 millions F CFA. C’est ce qui a dissuadé, à son avis, les petits acteurs, qui n’ont pas assez de moyens, de postuler. Mais qu’à cela ne tienne, il dit enregistrer chaque jour de nouveaux adhérents et son service travaille à sensibiliser les opérateurs économiques afin qu’ils investissent dans les cages flottantes.

Premières récoltes en août

Le spécialiste des cages flottantes, Richard Badi, exhorte les promoteurs piscicoles à faire de bonnes installations.

L’empoissonnement des premières cages, informe Dr Coulibaly, va commencer ce 23 mars et leurs récoltes sont prévues pour fin août ou début septembre. Les poissons concernés pour le moment sont les tilapias ou carpes. « Pour le démarrage à Samendéni, on a opté pour le tilapia d’abord. Si la technique est maitrisée dans un ou deux ans, on pourra permettre aux acteurs de mettre les silures », souligne-t-il. Yaya Traoré est le représentant de l’entreprise Rahimo qui évolue déjà dans la pisciculture à Bama mais dans des bassins. Ayant eu vent du projet de Samendéni, il y est pour expérimenter l’aquaculture en cages flottantes qu’il estime meilleure par rapport aux bassins.

« Nous produisons des alevins dans notre site à Bama et nous allons les transporter ici pour le grossissement. Les techniciens nous disent que dans chaque cage, on peut récolter neuf tonnes de poisson en six mois, alors que nous en avons dix. Si le test est concluant, nous allons aviser », confie M. Traoré.

Dans la confection des cages, les acteurs sont confrontés à des difficultés qui sont de nature à retarder le travail. Le gros souci qu’ils ont relevé est lié à l’absence des filets sur le marché burkinabè. Leurs commandes sont alors lancées dans les pays de la sous-région ouest-africaine ou parfois hors du continent. « Il y a des promoteurs qui ont déposé leurs barres de fer depuis près d’un mois mais leur commande de filets n’est toujours pas arrivée », déplore Dr Coulibaly. L’autre difficulté majeure est relative au manque de logistique pour installer les cages. Le seul hors-bord disponible sur le site a été apporté de Ouagadougou, aux dires du directeur de l’aquaculture et de la recherche-développement.

Outre cela, les promoteurs piscicoles pointent du doigt le mauvais état de la voie d’accès au barrage, l’absence de magasins de stockage d’aliment, de logements, de restaurants, etc. « Il faut aussi renforcer les capacités de la police de l’eau pour qu’elle veille sur nos installations », souhaite Yaya Traoré. Quant au chef de l’unité technique du périmètre halieutique d’intérêt économique de Samendéni, Ismaël Bamouni, il recommande l’élaboration d’un cahier de charges à l’endroit des promoteurs piscicoles afin d’éviter d’éventuels conflits entre eux et ceux qui font la pêche de capture.
Pour les intrants, Dr Coulibaly dit travailler pour une baisse substantielle des coûts des alevins et de l’aliment, de sorte à ce que le poisson de Samendéni soit accessible à toutes les couches sociales burkinabè.

Mady KABRE
dykabre@yahoo.fr