Sénégal: le duo Faye-Sonko à l’épreuve du pouvoir

Les deux hommes devront travailler en bonne intelligence pour ne pas décevoir les Sénégalais.

Alors que le duo Faye-Sonko s’est retrouvé au sommet de l’Etat, à l’issue de la présidentielle du 24 mars 2024, les Sénégalais attendent beaucoup de la rupture que les deux infortunés, qui ont souffert le martyre sous le régime de Macky Sall, ont promis à leur peuple.

Dès lors que la victoire de Bassirou Diomaye Faye (BDF) a été confirmée à la suite de la présidentielle du 24 mars, remportée haut la main avec 54, 28 %, la place qu’allait occuper son mentor Ousmane Sonko, faisait l’objet de spéculations. La réponse n’a pas tardé. Puisque quelques heures seulement après son investiture, le 2 avril, le président Faye nommait Sonko au poste de Premier ministre. On pourrait dire qu’il a pris le contre-pied de tous ceux qui estimaient que pour ne pas faire de l’ombre au chef de l’Etat, le leader charismatique du PASTEF allait demeurer président du parti ou tout au plus se contenter d’un poste de conseiller spécial à la présidence.

En somme, un homme de l’ombre. Conscient de son statut de candidat de substitution, en raison de l’inéligibilité d’Ousmane Sonko sur décision de justice, Bassirou Diomaye Faye ne pouvait pas laisser son mentor sur le carreau. De plus, Sonko a travaillé ardemment à l’élection de son candidat de substitution à coup de slogan « Sonko mooy Diomaye, Diomaye mooy Sonko » (« Sonko c’est Diomaye, Diomaye c’est Sonko », en wolof). Par conséquent, pas question pour lui de laisser le nouveau président assumer seul « cette lourde tâche », comme il l’a expliqué dans une première allocution le soir de sa nomination.  Ensuite, en tant que Premier ministre, Ousmane Sonko apparait comme la personne idéale, pour mettre en œuvre le projet PASTEF, qui a manifestement séduit l’électorat sénégalais et qui a amené les deux hommes au pouvoir.

Pour ce faire, le nouveau Premier ministre a présenté dès le 5 avril, son nouveau gouvernement« de rupture », « de rassemblement », « de proximité, d’innovation et d’efficacité », composé de seulement 25 ministres et cinq secrétaires d’Etat. Un gouvernement qui incarne « le projet » porté depuis des années par Ousmane Sonko qui promet une « transformation systémique » du pays. Dans ce projet donc, il est question de renégociation des contrats pétroliers et gaziers, de sortie du franc CFA et de souveraineté économique. Si ce triple défi auquel fera face Bassirou Diomaye Faye durant son quinquennat nécessitera du temps, d’autres points essentiels du programme présidentiel apparaissent prioritaires et urgents.

Parmi ceux-ci, la bonne gouvernance et la réduction du coût de la vie. Et sur ce point, le nouveau pouvoir sénégalais est déjà à la tâche. Après avoir reçu le patronat et des secrétaires généraux des organisations syndicales représentatives pour des pistes de solutions aux problématiques liées à l’emploi, à l’augmentation du pouvoir d’achat, le gouvernement veut s’attaquer à l’épineux problème des prix des denrées de grande consommation. Dans cette dynamique,  le président Faye a enjoint le 24 avril, le Premier ministre et les ministres en charge du commerce et de l’industrie, des finances et du budget et de l’agriculture, de lui proposer, avant le 15 mai, un plan d’urgence opérationnel de lutte contre la vie chère. On le voit. Le nouveau capitaine du navire Sénégal ne chôme pas depuis son investiture au début du mois d’avril. Car il sait que les attentes des Sénégalais sont énormes. Mais d’ores et déjà, des observateurs et analystes politiques sénégalais le présentent comme appliqué et méthodique et qui apprend vite, pour ses premières semaines à la tête de l’Etat sénégalais.

Une tradition de duo

En nommant son ami et leader politique Ousmane Sonko comme Premier ministre, le nouveau président du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye, s’inscrit dans une tradition de duo à la tête de l’Etat. L’histoire politique du Sénégal est en effet marquée par des duos emblématiques qui se sont transformés en dualités, le plus souvent au détriment du fonctionnement régulier des institutions. Le binôme qui va diriger le Sénégal ces cinq prochaines années est pour le coup inédit, le Premier ministre Ousmane Sonko étant également le leader du parti PASTEF, dont le président nouvellement élu Bassirou Diomaye Faye est redevenu membre simple, après avoir démissionné de ses fonctions de Secrétaire général après son intronisation comme cinquième président de la République.

De là à attirer toute la lumière sur lui jusqu’à éclipser le président élu Bassirou Diomaye Faye, certains observateurs et analystes de la politique sénégalaise redoutent un éventuel choc des ambitions qui pourrait avoir des répercussions négatives sur la bonne marche de l’Etat, même si les deux hommes ont systématiquement rejeté cette hypothèse. Par le passé, le Sénégal a connu des relations parfois tumultueuses entre les deux personnalités de l’Exécutif, aboutissant à des crises politiques graves. Il en a été ainsi du duo, Léopold Sédar Senghor, premier président du pays et son ami Mamadou Dia, président du Conseil (équivalent de Premier ministre). Ensuite les épisodes avec Abdou Diouf et son compagnon politique et ami Habib Thiam, nommé à deux reprises ministre. Et que dire d’Abdoulaye Wade et son homme de confiance Idrissa Seck, Premier ministre de 2000 à 2004. Leurs relations ont été marquées par une lutte de pouvoir et une rivalité politique. Il reste à espérer que le duo Diomaye-Sonko ne prolongera pas la série.

Gabriel SAMA