Vague de chaleur: un phénomène mondial

L’Afrique subit de plein fouet la vague de chaleur en cours.

Selon l’observatoire européen du climat Copernicus, le mois de février 2024 a été le plus chaud jamais enregistré au niveau mondial. La moyenne de la température de l’air s’est élevée à 13,54 °C, soit 1,77 °C de plus qu’un mois de février moyen dans l’ère préindustrielle (1850-1900), et a dépassé de 0,12 °C le record de 2016. Ces niveaux exceptionnels sont le résultat d’une combinaison de facteurs, au premier rang desquels figurent le réchauffement climatique d’origine humaine et l’effet du courant El Niño (phénomène climatique qui se caractérise par des températures anormalement élevées de l’eau dans la partie-est de l’océan Pacifique sud). En Afrique, cette hausse anormale de température s’est surtout ressentie à partir de fin mars et début avril 2024.

Les températures exceptionnelles enregistrées sur le globe depuis le début de 2024 sont d’abord la conséquence des émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines. Depuis 2013, le climat terrestre s’est réchauffé de 0,21 °C en raison des émissions anthropiques, ce qui en fait le principal contributeur à la situation record enregistrée en 2023. Le second facteur est le phénomène naturel El Niño, qui revient tous les deux à sept ans. Après deux ans d’événements de La Niña, qui, à l’inverse, refroidit légèrement l’atmosphère, El Niño a commencé au printemps 2023, conformément à ce qu’attendaient les scientifiques. Les températures terrestres ont alors décollé, dépassant tous les niveaux enregistrés précédemment.

La chaleur des eaux dans l’est de l’océan Pacifique a graduellement augmenté la température de l’atmosphère dans une large zone des tropiques. El Niño a normalement atteint son pic à la fin de 2023 et devrait s’évanouir à la mi-2024, ce qui devrait faire redescendre légèrement la température mondiale moyenne, selon les scientifiques. Plusieurs autres phénomènes ont contribué à pousser un peu plus haut les températures depuis l’été 2023. L’activité du soleil d’abord.

Ce dernier entre progressivement dans son pic jusqu’à la mi-2025. Il accroît temporairement et légèrement l’intensité du rayonnement reçu par la Terre. Ce phénomène fait partie du cycle solaire, qui dure environ onze ans. Autre facteur de réchauffement, l’éruption du volcan Hunga Tonga, dans le Pacifique, en janvier 2022. Les éruptions volcaniques ont habituellement un effet refroidissant sur le climat, en raison de la grande quantité d’aérosols qu’elles projettent dans l’atmosphère. Une fois en suspension, les particules fines réfléchissent les rayons du soleil et font chuter les températures. Cependant le Hunga Tonga a la particularité d’être un volcan sous-marin. De ce fait, il a essentiellement envoyé de la vapeur d’eau à de très hautes altitudes et en grande quantité (environ 150 millions de tonnes).

L’Afrique et le Sahel plus impactés

Dans la majorité des pays africains, des records de température historiques ont été battu, durant le mois de mars. Un phénomène mondial qui inquiète une partie de la communauté scientifique. Dans des pays comme le Burkina Faso, le Mali, le Cameroun, le Ghana, le Togo, le  Bénin, le  Niger, l’Afrique du Sud… le mercure a frôlé ou dépassé les 45 °C en mars 2024.

Ces journées étouffantes paralysent la vie des populations. Un peu partout, la demande accrue en électricité pour alimenter ventilateurs et climatisations a entraîné des coupures de courant. Selon le réseau World Weather Attribution, début avril, les températures maximales au Mali et au Burkina Faso ont gagné 1,5 °C du fait du réchauffement mondial pendant la journée et 2 °C durant la nuit, créant des conditions difficiles pour les plus fragiles. A ce niveau de chaleur, chaque dixième de degré est une épreuve supplémentaire. Le 3 avril, la ville de Kayes, dans l’ouest du Mali, a affiché une température de 48,5 °C en fin de journée, selon l’Agence nationale de la météorologie, battant le précédent record continental (48,3 °C) enregistré dans la ville de Karima, sur les rives du Nil, au Soudan, en 2003.

Cette envolée du mercure est la manifestation la plus spectaculaire de la vague de chaleur extrême qui frappe le Sahel et toute l’Afrique de l’Ouest depuis fin mars. Si cette période de l’année marque le début de la saison chaude, les relevés réalisés presque partout dans la zone, avec des valeurs moyennes parfois supérieures à 45 °C, sont anormalement élevés. En moins d’une semaine, le Mali a enregistré 120 décès dus à la forte chaleur, selon le chef du département de la médecine d’urgence de l’hôpital Gabriel Touré de Bamako, le Pr Diango Mahamane Djibo.

On note également une augmentation notable des admissions aux urgences, dépassant les 100 patients par jour par rapport à la moyenne habituelle de 70. Plus de la moitié des décès étaient des personnes de plus de 60 ans, souvent fragilisées par des maladies préexistantes comme le diabète et l’hypertension artérielle, aggravées par la canicule. Le Pr Djibo a aussi souligné la vulnérabilité des nourrissons face à la chaleur intense en raison de leur faible réserve d’eau corporelle, et a recommandé des mesures préventives telles que rester à l’ombre et boire de l’eau régulièrement.

Au Burkina Faso, la situation n’est guère reluisante. Selon le médecin anesthésiste-réanimateur au Centre hospitalier universitaire, Yalgado-Ouédraogo, Abdramane Ouattara, quatre personnes arrivent décédées en moyenne par jour, de coup de chaleur. Il précise que l’établissement reçoit autour de 35 patients par jour et l’âge est généralement compris entre 75 et 85 ans, même s’il faut ajouter quelques cas de personnes de moins de 50 ans. Seul le changement climatique peut expliquer une telle situation, affirme l’étude publiée le 18 avril par le World Weather Attribution (WWA).

Ce réseau de scientifiques créé en 2014 examine les liens entre la multiplication des événements climatiques extrêmes (sécheresses, tempêtes…) et le réchauffement de l’atmosphère lié à l’utilisation des énergies fossiles. « Cette vague de chaleur n’aurait pas été possible sans le changement climatique », assure-t-il, focalisant son analyse sur les données des cinq journées consécutives les plus chaudes observées entre le 31 mars et le 4 avril dans le sud du Mali mais aussi au Burkina Faso voisin, où des pics de températures extrêmes se sont également produits.

La probabilité qu’une vague de chaleur de cette intensité survienne est évaluée à une fois tous les 200 ans, précise l’étude. Dans le scénario d’un réchauffement mondial de 2 °C, une hypothèse hautement probable, sa fréquence serait multipliée par dix, avec des températures extrêmes encore supérieures de 1 °C. Les climatologues ont aussi mené cet exercice d’attribution dans les autres pays situés pour tout ou partie dans la bande sahélienne, comme la Mauritanie, le Sénégal, le Niger, le Nigeria ou le Bénin, où des températures anormalement élevées, bien que moindres à celles du Burkina Faso et du Mali, ont aussi été observées. La responsabilité du changement climatique reste pointée.

Gabriel SAMA