Réceptionné en 2012, le cinquième plus grand ouvrage hydraulique du Burkina, construit à Soum, dans la commune de Nanoro, province du Boulkiemdé, ne se porte pas totalement bien. De nos jours, la forte pression des producteurs maraichers sur ses berges en quête de mieux-être expose le barrage à un envasement précoce et à une pollution de son plan d’eau.
Depuis la commune de Soaw, dans le Boulkiemdé, une voie carrossable longe le cours d’eau jusqu’au pied de la digue du barrage de Soum (commune de Nanoro), un ouvrage d’une capacité de 155 millions de mètres cubes (m3). Réalisé entre 2003 et 2012, il occupe le cinquième rang des plus grands barrages du Burkina Faso, après ceux de Kompienga, Bagré, Ziga et Samendéni. En empruntant cette route serpentée, l’on constate que toutes les berges du cours d’eau sont envahies par des cultures jardinières, parfois protégées par des enclos de fortune, faits à base de tiges de céréales.
Des femmes, à vélo, à moto ou en charrette, ressortent de ces champs chargées de légumes à destination des centres urbains et des villages environnants. Sur la rive droite du barrage, ce 16 avril 2024, le constat est ahurissant. Les exploitations maraichères sur les berges grouillent de monde. Hommes, femmes et enfants sont à la tâche pour la récolte de l’oignon principalement. A l’aide de pioches, ils creusent dans le sol asséché afin de déterrer les bulbes d’oignon. D’autres préfèrent mouiller les parcelles d’abord pour faciliter le travail. Pêlemêle, des tas d’oignon jonchent le sol. Soumaïla Guigmdé, la trentaine, s’active avec les membres de sa famille.
La grosse partie de sa récolte d’oignon est stockée sous un arbre, à l’abri du soleil. Sa parcelle se trouve à l’intérieur de la bande de servitude. En témoignent les bornes implantées au-delà de son exploitation. Au vu de l’équipe de reportage, les visages se crispent et les regards inquisiteurs laissent place à la suspicion. Sans doute, la Police de l’eau est déjà passée par là et c’est avec la peur au ventre que l’on travaille au quotidien. Après une kyrielle d’explications du guide du jour, Salomon Zongo, également responsable de la mise en valeur du périmètre irrigué de Soum, les langues se délient enfin.
« La Police de l’eau nous avait instruits de ne pas cultiver dans la bande de servitude. Mais nous n’avons pas les moyens pour acheter des motopompes performantes et plusieurs tubes PVC pour nous permettre de nous installer loin de l’eau », justifie le jeune Guigmdé, le regard fuyant. Pour étayer ses propos, il indique qu’il utilise actuellement une seule motopompe acquise en association avec un autre producteur. S’éloigner encore des berges sera, pour lui, très laborieux.
Une diguette filtrante est érigée entre son jardin d’un hectare et la cuvette du barrage. Pour cette raison, il estime que l’on doit lui accorder une circonstance atténuante, parce que ce cordon pierreux contribue à freiner un tant soit peu les effets de son activité. « Comme nous ne sommes pas entre la diguette et l’eau, je pense que nous sommes excusables. Sinon, si on nous chasse d’ici, nous n’avons plus le choix que de rejoindre les sites d’orpaillage », soupire-t-il, le visage perlé de sueur.
« On ne sait où aller »

Salam Koala, un voisin de M. Guigmdé, ne se sent pas non plus à l’aise avec cette visite matinale. Rassuré, il laisse entrevoir un grand soulagement. Lui aussi est en train de récolter son oignon, en compagnie des membres de sa famille. M. Koala est conscient qu’il est installé dans la bande de servitude mais dit n’avoir pas où aller. Cela fait trois ans qu’il utilise ce lopin de terre, autrefois exploité par ses parents avant la mise en eau du barrage, pour produire l’oignon et la tomate. Salam avoue avoir été induit en erreur par ceux qui ont réalisé la diguette filtrante.
Selon ses explications, sa parcelle était presque dans le lit du barrage. Et par la suite, des ouvriers venus construire la diguette filtrante, lui ont dit de se retirer pour s’installer hors du cordon pierreux. « Ils (les ouvriers) ont signifié qu’il n’est pas interdit de cultiver après la diguette, car elle permet d’arrêter la boue qui est charriée dans le barrage », mentionne M. Koala. Qu’à cela ne tienne, ce producteur est toujours dans la bande de servitude, matérialisée par des bornes enduites de peinture rouge et blanche et qui sont implantées à une centaine de mètres, derrière son jardin. Sidéré par l’attroupement, Moumouni Koala, un frère de Salam, abandonne sa pioche et vient aux nouvelles.
Après avoir écouté religieusement les échanges, il laisse entendre que leur crainte est justifiée. Puisque, dit-il, plusieurs alertes avaient été données sur les sorties de la Police de l’eau. « En début de campagne, à plusieurs reprises, nous avons fui avec nos matériels, parce que nous avons appris que la Police de l’eau arrivait. Si fait que nous avons repiqué l’oignon avec un grand retard », se désole-t-il. A l’écouter, lui et ses frères nourrissent leurs familles grâce à ce périmètre irrigué. Et si d’aventure, ils sont appelés un jour à décamper, Moumouni prévoit que ce sera compliqué pour eux. En tout état de cause, il dit être préparé à toute éventualité.
La prise d’assaut des berges du barrage semble être un secret de polichinelle. Mais il y a pire par endroits. En plus d’exploiter la bande de servitude, des individus prennent du plaisir à cultiver des céréales sur la zone tampon, située entre la diguette filtrante et la cuvette. Les traces des charrues et les tiges de sorgho démontrent que ce n’est pas seulement en saison sèche que les berges sont exploitées. D’autres producteurs ont même suivi l’eau jusqu’à son dernier retranchement, allant jusqu’à cultiver dans le lit du barrage. Très précautionnés, beaucoup ont eu le temps de prendre la poudre d’escampette avant notre passage, abandonnant derrière eux des bambins.
« Papa est allé à la maison », se contentent de débiter certains d’entre eux. Sur les lieux, des jardins verdoyants, peuplés d’oignon et de gombo, côtoient le lit mineur du cours d’eau. Des rigoles creusées pour rapprocher l’eau des cultures sont constatées çà et là. Par moments, des bruits de motopompes alimentées au gaz butane fusent. Au bord de l’eau, les tas de terre qui se dévoilent au fur et à mesure que la ressource se retire prouvent que l’ensablement est réel.
La Police de l’eau réagit

« nous allons évaluer les besoins en matériel des producteurs et voir dans quelles mesures les accompagner à s’éloigner des berges ».
Un peu plus loin, un autre producteur maraicher force l’admiration par l’étendue de son exploitation : plus de 12 hectares. Venu de son Passoré natal, Pingdwendé Ousséni Ouédraogo s’est établi à Soum depuis plus de dix ans. Il fait partie des pionniers dans la production de l’oignon dans le village. Ce mardi 16 avril, le soleil est au zénith. La canicule oblige Ousséni et ses employés à trouver refuge à l’ombre des arbres. Sous un grand karitier, un hangar de fortune sert à stocker une forte quantité d’oignon. Une autre partie conditionnée dans des sacs de plus de 120 kilogrammes chacun attend d’être convoyée vers la Côte d’Ivoire, aux dires du propriétaire.
Mais sa seule inquiétude est qu’il produit dans la bande de servitude. « Cette année, j’ai eu des difficultés liées à l’interdiction de cultiver dans la bande de servitude. Mon champ était un peu proche de l’eau et j’ai reculé. Pour pouvoir arroser mes parcelles, j’ai dû raccorder environ 150 tubes PVC de six mètres chacun. Malgré tout, je suis toujours à l’intérieur des bornes », confie M. Ouédraogo. En décembre 2023, la Police de l’eau a fait une irruption spontanée dans son exploitation et l’a sommé de déguerpir. « Même la tomate et l’oignon qui avaient été repiqués, ils nous ont dit d’arracher.
Nous les avions suppliés de nous laisser récolter et que l’on allait discuter après », se souvient-il. Tout comme ses compères, Ousséni estime que les bornes sont implantées très loin du barrage, à plus de 100 mètres. C’est pourquoi, il souhaite que l’on revoie le bornage afin de leur permettre de travailler et participer à la quête de l’autosuffisance alimentaire. Il suggère également que la diguette filtrante soit étendue jusqu’au niveau de ses parcelles comme c’est le cas ailleurs. « Nous avons constaté que le PDH-Soum (Projet de développement hydro-agricole de Soum, Ndlr) a fait un aménagement à l’intérieur des bornes, mais séparé par la diguette filtrante, pour les maraichers.
C’est ce modèle de diguette que nous voulons aussi », plaide-t-il. En tant que grand producteur maraicher, M. Ouédraogo trouve qu’il lui sera difficile d’aller exploiter une parcelle de moins d’un hectare sur le périmètre aménagé. Les préoccupations des exploitants des berges sont partagées par le chef du village de Soum, Naaba Tigré. Kassoum Guigmdé à l’état civil reconnait qu’au regard du grand nombre de villages qui gravitent autour du barrage, les aménagements actuels ne couvrent pas tous les besoins des populations. Une situation qui, à son avis, peut expliquer en partie cette pression sur les berges.
La survie du barrage menacée
Toutefois, note le responsable coutumier, ce motif ne peut être brandi comme une excuse pour porter atteinte à l’intégrité physique du « lac artificiel ». Même sans être un expert du domaine, Naaba Tigré déplore les tranchées creusées dans la cuvette, l’utilisation des engrais chimiques et des pesticides qui sont des pratiques nuisibles non seulement à l’ouvrage mais aussi aux êtres humains, aux animaux et à la biodiversité à travers la pollution de l’eau. En tant que leader coutumier, Naaba Tigré soutient avoir sensibilisé ses sujets à maintes reprises sur les méfaits de l’occupation de la bande de servitude en vain. « La production de la tomate et de l’oignon est très favorable sur les berges.

Et quand j’interpelle les exploitants, ils pensent que je suis contre leur bien », mentionne-t-il, avant de relever que le combat qui est de longue haleine doit impliquer l’ensemble des acteurs. En vue d’inciter les maraichers à s’éloigner des berges, le chef de Soum propose la création de boulis aux alentours du barrage. Pour lui, ces petits points d’eau qui seront alimentés par le barrage serviront à arroser les cultures, loin de la bande de servitude. Sinon, au regard de la pression actuelle sur l’ouvrage, Naaba Tigré dit craindre pour sa pérennité. C’est aussi l’avis de bon nombre d’observateurs.
« Actuellement, on ne peut pas imaginer la quantité de terre emportée dans la cuvette du barrage. Son ensablement prématuré va jouer sur la production et les autres prévisions », prévient Madi Kondombo, président de la Chambre régionale d’agriculture (CRA) du Centre-Ouest. Passée la phase de la sensibilisation, il pense qu’il faut aller maintenant vers la répression. « Cette répression doit aussi toucher les propriétaires terriens, parce que ce sont eux qui permettent aux producteurs de s’installer », souhaite M. Kondombo. Car, à l’entendre, tous ceux dont les terres ont été affectées par la construction du barrage ont été prioritaires dans l’attribution des parcelles sur le périmètre aménagé, mais beaucoup les ont abandonnées ou louées pour repartir sur les berges.
Le président de la CRA témoigne que l’on a déjà enregistré une mortalité de poisson et d’animaux domestiques autour du point d’eau, due à l’utilisation des produits chimiques. Selon le Directeur régional (DR) de l’agriculture, des ressources animales et halieutiques du Centre-Ouest, Edouard Ilboudo, la forte pression sur le barrage de Soum s’explique en partie par la situation sécuritaire délétère dans certaines régions. « Avec l’insécurité, il y a beaucoup de zones, notamment le Nord et le Centre-Nord où le maraichage était développé, qui ne sont plus accessibles.
Nombre de producteurs de ces zones sont venus dans notre région et avec la complicité des propriétaires terriens, ils occupent les berges », fait-il savoir. C’est aussi avec le cœur serré que le responsable de la mise en valeur du périmètre irrigué de Soum, Salomon Zongo, constate cette situation qu’il qualifie d’occupation anarchique. Selon lui, les cultures sur les berges et dans le lit du barrage, couplées au pâturage des animaux, vont accentuer l’envasement de l’ouvrage et compromettre l’irrigation des 1 008 hectares de périmètre aménagé. Alors qu’il est aussi prévu, informe Edouard Ilboudo, l’extension de cet aménagement à 3 000 hectares. Et ce n’est pas que la production agricole et piscicole qui est visée à Soum.
Il y a aussi, révèle le DR de l’eau et de l’assainissement du Centre-Ouest, Boukaré Sabo, la desserte en eau potable de plusieurs localités. A ce qu’il dit, l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA) envisage ravitailler les villes de Koudougou, Nanoro (Boulkiemdé), Réo, Kordié (Sanguié) et les communes de Samba, Pilimpikou (Passoré) en eau potable à partir du barrage de Soum. D’où l’urgence à protéger la ressource en eau. En tant que premier responsable administratif de la Police de l’eau, M. Sabo demande aux producteurs de comprendre les actions de sa structure qui ne sont menées contre personne mais pour la bonne cause. Il prévient ceux qui occupent toujours les berges que cette année 2024, la Police de l’eau ne fera pas de cadeau.
Mady KABRE
dykabre@yahoo.fr
Incompréhensions entre structures
Non loin des 140 ha aménagés en amont du barrage de Soum pour la production maraichère, un autre périmètre a été dégagé par le PDH-Soum au profit des producteurs qui n’ont pas bénéficié de parcelles. Seulement, cet aménagement, bien que séparé de la cuvette du barrage par une diguette filtrante, se retrouve dans la bande de servitude. Aux dires du responsable de la mise en valeur du périmètre irrigué de Soum, Salomon Zongo, c’est un moindre mal. Puisque, pour lui, cette initiative a pour but d’amener les exploitants à s’éloigner du lit du cours d’eau et d’être encadrés. Malheureusement, beaucoup n’ont pas adhéré au projet. Pour le producteur Pingdwendé Ousséni Ouédraogo, si le PDH-Soum a pu faire un aménagement à l’intérieur des bornes, on doit aussi prolonger la diguette filtrante jusqu’au niveau de son champ pour lui permettre de rester sur place. Mais le responsable de la Police de l’eau, Boukaré Sabo, n’entend pas cela de cette oreille. Selon lui, la seule production tolérée dans la bande de servitude est celle des arbres fruitiers. C’est pourquoi, il note qu’il y a souvent des incompréhensions entre les structures autour de certaines questions. A l’écouter, les agents d’agriculture peuvent encadrer des producteurs qui, parfois, occupent des positions illégales.
M.K.
Un mal nécessaire
De plus en plus, beaucoup de jeunes burkinabè s’intéressent au maraichage. Une activité qui leur permet de gagner leur pitance quotidienne, tout en contribuant à l’atteinte de la sécurité alimentaire. A Soum, la pression autour du barrage est palpable et nombre de producteurs avouent s’en tirer à bon compte. A entendre Soumaïla Guigmdé qui dit nourrir sa famille à travers le maraichage, il risque de rejoindre les sites d’orpaillage au cas où il sera déguerpi des berges. Ousséni Ouédraogo, lui, témoigne que nombre de jeunes ont pu s’acheter de nouvelles motos cette année grâce à l’activité maraichère. « Si ça donne bien, en une production, je peux engranger plus de 1 000 sacs de 120 kg d’oignon. Mais le marché n’est pas stable et le prix du sac peut parfois baisser jusqu’à 15 000 F CFA. Actuellement, il s’est établi à 22 500 F CFA le sac », relate-t-il. Le responsable de la Police de l’eau, Boukaré Sabo, avoue que parfois devant certaines exploitations, on n’a pas envie d’agir. Parce qu’il y en a qui ont investi des dizaines de millions F CFA. Toutefois, affirme-t-il, ce n’est pas de gaieté de cœur que la Police de l’eau sévit.
M.K.
