
Le directeur régional de l’eau et de l’assainissement du Centre-Ouest, Boukaré Sabo, joue également le rôle de premier responsable de la Police de l’eau sur le plan administratif. Dans les lignes qui suivent, il décline les actions menées pour préserver le barrage de Soum des mauvaises pratiques agricoles.
Carrefour Africain (C.A.) : Quelles sont les potentialités qu’offre le barrage de Soum pour la région du Centre-Ouest ?
Boukaré Sabo (B.S.) : La région du Centre-Ouest dispose de pas mal d’ouvrages de mobilisation d’eau de surface, généralement de petites tailles et qui ne sont pas pérennes. Mais le barrage de Soum est le plus important de la région avec une capacité de stockage de plus de 150 millions de m3 d’eau. C’est un barrage à vocation agricole mais vu les réalités des besoins en eau de la région, il devra contribuer dans les mois à venir à la desserte en eau potable de milliers de personnes dans le Centre-Ouest et même le Nord. Aujourd’hui, le projet est bien ficelé pour desservir les villes de Koudougou, Réo, Nanoro, et les communes de Samba, Pilimpikou, etc. en eau potable à partir du barrage de Soum.
C.A.: Peut-on affirmer de nos jours que le barrage de Soum se porte à merveille ?
B.S. :Aujourd’hui, on ne peut pas dire que le barrage se porte totalement bien. Il y a plusieurs facteurs qu’il faut prendre en compte. En 2023, le taux de remplissage n’était pas totalement bon. Il n’a pas atteint 70%. Cela s’explique en partie par la rareté des pluies. En plus de cela, il y a les différents usages autour de l’ouvrage qui sont assez nombreux. Malgré l’aménagement de plus d’un millier d’hectares en aval du barrage, bon nombre d’usagers se trouvent toujours sur les berges en amont pour cultiver, alors qu’ils ont été dédommagés. Cela contribue non seulement à la pollution du plan d’eau mais aussi à l’ensablement progressif de la cuvette du barrage. C’est une triste réalité que vit le barrage de Soum de nos jours. Malgré les multiples rencontres de sensibilisation, c’est le statu quo.
C.A. :Vous dites que nonobstant les sensibilisations, beaucoup font la sourde oreille. Qu’est-ce qui est fait pour les ramener à la raison ?
B.S. :Plusieurs actions sont menées par la direction régionale de l’eau et l’Agence de l’eau du Mouhoun (AEM) pour amener les récalcitrants à quitter les berges. L’AEM a pu mettre en place un dispositif de répartition de la ressource en eau. Le modèle, qui prend en compte les besoins pour l’eau potable, l’agriculture et les activités pastorales, a été présenté aux acteurs à Koudougou. A terme, c’est l’outil qui devra permettre la gestion efficace du plan d’eau du barrage de Soum. Il y a un travail colossal qui est en train d’être fait pour déguerpir tous les usagers qui sont sur les berges. Puisque, nous avons constaté que les mauvaises pratiques qui se faisaient ailleurs ont été transportées au Centre-Ouest. Notre direction, à travers la Police de l’eau, fait des sorties pour freiner ce phénomène. En décembre 2023, nous avons saisi des équipements et convoqué certains producteurs à Koudougou. En tant que DR, je suis le responsable de la Police de l’eau sur le plan administratif et le procureur en est le responsable sur le plan judiciaire. Tous ceux qui ont été appréhendés ont été auditionnés par le procureur. Malgré tout, ce n’est toujours pas simple. La police de l’eau n’a pas vocation à sensibiliser. A Soum, nous ne sommes plus dans la dynamique de la sensibilisation, car nous pensons qu’on en a assez fait. Il faut aller maintenant à la répression de façon drastique autour de ce barrage. La preuve est que ceux qui ont été sensibilisés à plusieurs reprises louent leurs terres à des étrangers qui continuent d’exploiter. Ces derniers ne peuvent pas non plus dire qu’ils ne savent pas qu’il est interdit d’occuper la bande de servitude. Souvent, il y a une incompréhension quand la Police de l’eau agit. Certains estiment qu’elle en fait trop, parce que ce sont des gens qui produisent pour nourrir le Burkina Faso et qu’elle veut entraver cette dynamique. Alors qu’il y a un lieu indiqué pour la production. L’AEM a fait l’effort d’implanter des bornes de délimitation du barrage sur plus de 100 km. Elles sont positionnées à une distance de 100 m au-delà de la limite des plus hautes eaux. Toutefois, il est admis de planter des arbres fruitiers sur cet espace. Ce sont les autres pratiques agricoles qui provoquent l’ensablement et la pollution de l’eau qui sont interdites. Ce que nous demandons aux usagers et à la population, c’est de nous comprendre. Les actions de la Police de l’eau sont de nature à protéger la ressource en eau pour eux-mêmes et pour les générations futures. En 2024, nous allons encore accentuer les actions autour du barrage de Soum et aussi les autres points d’eau qui sont aux alentours afin que les berges soient libérées. Parce que si la pollution de l’eau atteint un certain niveau, le traitement pour obtenir de l’eau potable devient compliqué.
C.A. :Une diguette filtrante a été réalisée dans la bande de servitude sur une distance de 10 km. Est-ce une solution palliative à l’envasement ?
B.S. : Oui. C’est pour casser l’action des ruissellements après la pluie et freiner l’ensablement. Il y a d’autres actions de reforestation qui sont menées. En outre, nous sommes en train de voir avec l’AEM pour mettre en place une structure de gestion autour du barrage. Au niveau des petits barrages, nous installons des comités d’usagers de l’eau (CUE). Mais à Soum, on a un grand barrage et il faut un dispositif de gestion. Au au-delà du Comité local de l’eau (CLE), basé à Yako, il faut une autre structure autour du barrage comprenant les acteurs à la base afin que l’on ait un répondant direct à toutes nos sollicitations.
C.A. :Est-il autorisé de produire juste après la diguette filtrante ?
B.S. :Non. Toute production n’est acceptée qu’au-delà des bornes implantées pour délimiter la bande de servitude. Les producteurs le savent mais il y en a qui s’entêtent. Lors de nos tournées, certains demandent pardon, parce qu’ils ont investi des dizaines de millions F CFA. Mais si on veut être sentimental, on ne pourra rien construire. On trouve toujours des alibis pour outrepasser ce qui est recommandé. Il y en a qui rusent. Chaque année, ils disent que comme ils ont déjà emblavé, il faut leur permettre de récolter avant de partir. Mais l’année prochaine, ils sont toujours là. Si on va les suivre, il n’y aura jamais de résultats. D’autres m’appellent pour négocier afin que l’on les laisse travailler mais en tant que premier responsable de la Police de l’eau, je ne peux pas l’accepter. Nous n’agissons pas par plaisir. Il faut que les communes nous accompagnent à atteindre nos objectifs. Malheureusement, il y a parfois des leaders qui veulent défendre ceux qui sont en infraction. Souvent, les membres de la Police de l’eau risquent leur vie, car menacés sur le terrain. Pourtant, c’est pour protéger la ressource en eau et les gens doivent comprendre que c’est pour la bonne cause.
C.A. :Craignez-vous pour la survie du barrage de Soum ?
B.S. :Pour le moment, le barrage n’est pas totalement ensablé. Mais les pratiques telles que nous le constatons de nos jours conduiront à son envasement. C’est ce que nous voulons éviter. Nous travaillons à ce que la cuvette n’enregistre pas beaucoup de dépôts et que la qualité de l’eau ne soit pas détériorée. Il faut que l’on évite ce qui se passe ailleurs autour de certains barrages, en priorisant ceux qui exploitent le périmètre aménagé et qui sont dans la règlementation. Souvent, il y a des encadrements que les agents d’agriculture font à certains exploitants et qui ne devraient pas l’être. Même s’ils produisent, le fait qu’ils soient sur les berges, l’on ne devrait pas les accepter. Mais ce sont des questions sur lesquelles nous allons beaucoup discuter entre nos structures.
Entretien réalisé par
Mady KABRE
