Une micro-algue cultivée dans la ville de Koudougou (chef-lieu de la région du Centre-Ouest) pour ses vertus nutritionnelles et médicinales est désormais un produit qui compte dans la prise en charge de nombreux patients et enfants malnutris. Très sollicitée dans les centres de récupération des enfants malnutris, elle est aussi consommée par les personnes vivant avec le virus du SIDA et bien d’autres personnes malades ou bien portantes. Vendue dans les officines pharmaceutiques et dans certaines chaines alimentaires, la spiruline est en train de ravir la vedette aux produits importés au regard de son impact positif dans le traitement des pathologies, de la malnutrition et son efficacité dans le renforcement du système immunitaire du consommateur.
Dans une vaste enceinte clôturée par un mur en pierres taillées, un aménagement atypique retient l’attention. Au milieu d’une flopée d’arbres et de hautes herbes, se hissent une multitude de bassins semblables à des étangs piscicoles. Ces ouvrages hydrauliques sont remplis d’eau verdâtre et séparés les uns des autres par des maisonnettes vitrées et carrelées. Ce sont des ateliers de production de la spiruline. Ce lundi 15 avril 2024, la ferme Nayalgué, située en pleine ville de Koudougou, chef-lieu de la région du Centre-Ouest, nous ouvre ses portes. Elle s’étend sur une superficie de plus de trois hectares. Mise en place en 2005 par les responsables de l’Organisation catholique pour le développement et la solidarité (OCADES-Koudougou), elle est le fruit d’une collaboration tripartite entre l’Etat burkinabè (totalement financé par le ministère de la Santé), le diocèse de Koudougou à travers l’OCADES et l’ONG Technap.
La production semble avoir pris depuis lors son envol. Difficile en revanche d’apercevoir cette algue vertueuse à l’œil nu. Le seul indice visible de sa présence dans le bassin est le changement de la couleur de l’eau. « Le vert que vous voyez est une concentration de plusieurs milliards de spiruline», note avec un brin de fierté, Jean Y. Zoungrana, directeur de la ferme. Au microscope, la spiruline apparaît en forme de spirale. Cette micro-algue, selon M. Zoungrana, se développe dans les milieux alcalins. De plus, poursuit-il, elle se reproduit par photosynthèse avec un cycle de production qui n’excède pas généralement deux semaines. Le Burkina étant un pays fortement ensoleillé, il dispose de toutes les conditions pour une production de grande ampleur. « Nos amis européens ne peuvent pas produire la spiruline toute l’année à cause du manque de soleil. Après la période estivale, ils sont obligés d’arrêter leur activité », soutient Jean Y. Zoungrana.
Baisse de la production à cause du coronavirus

Des femmes, vêtues de blouses bleues, s’adonnent sans répit à la récolte tous les matins des jours ouvrables. Dans les ateliers, la spiruline est extraite, compressée puis extrudée avant d’être convoyée dans un séchoir. A entendre Jean Y. Zoungrana, le séchage au soleil n’est pas recommandé car il fait perdre à la spiruline certaines de ses propriétés médicinales. La ferme compte en tout 18 bassins constitués en neuf ateliers. Cependant, martèle Jean Zoungrana, seule la moitié de ces infrastructures fonctionne. Une baisse que le responsable de la ferme impute à la maladie à coronavirus qui a impacté négativement le fonctionnement de la structure.
La production annuelle qui était d’environ dix tonnes de produits secs est tombée à moins de quatre tonnes. M. Zoungrana explique qu’une bonne partie de la production est exportée vers des pays comme la France, la Belgique, l’Espagne, la Suisse, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Bénin et le Tchad. Avec la fermeture des frontières, révèle-t-il, certains clients qui n’arrivaient plus à avoir leur marchandise se sont reconvertis à d’autres activités. La spiruline est transformée et vendue sous forme de gélule, de comprimés, de poudre ou de paillettes. Le produit est conditionné soit dans des boîtes, des bidons, soit dans des sachets.
Un magasin de vente en gros et en détail est logé à l’intérieur de la ferme. Toutefois, assure Jean Zoungrana, l’entretien d’un milieu de culture (champ de production) de la spiruline se fait à l’aide d’un ensemble d’intrants en quantité dosée en fonction de l’indication. « On entretient le bassin comme un bébé. Plus la spiruline se reproduit convenablement, plus nous avons la possibilité d’engranger de bonnes récoltes », fait-il remarquer. Ahmed Willy est le technicien chargé de superviser le milieu de culture. Avec de nombreux échantillons sur sa table, il procède à leur analyse dans son mini laboratoire.
Il veille sur tous les paramètres techniques, notamment la taille, la concentration, le phosphore, la couleur, la propreté de l’eau, etc. Pour ce faire, le technicien prélève chaque jour l’eau des bassins et procède en outre à des vérifications au microscope de sorte à s’assurer que la spiruline qui s’y trouve est sans défaut. Si une anomalie est détectée, il fait des corrections avant d’ordonner la récolte. La production de la spiruline devient toutefois problématique en campagne humide. De l’avis du responsable de la ferme, les bassins n’étant pas couverts par manque de moyens, leurs eaux se diluent après la pluie, perturbant ainsi la production. « Quand l’eau des bassins est diluée avec celle de la pluie, on ne peut pas ordonner la récolte », relève-t-il. Il y a lieu de souligner que la spiruline est riche en protéines, en vitamines (A, E, B et K) et en oligo-éléments (calcium, fer, magnésium).
Très efficace contre la malnutrition

L’efficacité de la spiruline est testée dans de nombreux centres de santé de la région du Centre-Ouest. Pour le découvrir, nous décidons de nous rendre au centre médical Saint Michel de Guy, à la périphérie-nord de Koudougou. En cette matinée du jeudi 18 avril 2024, plusieurs enfants sont enregistrés dans le Centre de récupération et d’éducation nutritionnelle (CREN). Entre prise de poids et don de spiruline, l’agent de santé en profite pour prodiguer des conseils à leurs génitrices. Madeleine Bouda est venue à un rendez-vous avec son nourrisson de dix mois du nom de Nana Néhémie.
Au départ, elle constate que son enfant perdait du poids et refusait la tétée. De plus, c’était un enfant pleurnichard. Après la consultation, il s’est avéré qu’il souffrait d’une malnutrition modérée. Pour sa prise en charge, la spiruline a fait le reste. « Après trois jours de traitement, le visage de mon enfant a retrouvé le sourire», confie Mme Bouda. Et depuis ce jour, la santé du petit Néhémie ne cesse de s’améliorer. « La spiruline est vraiment efficace», atteste Madeleine Bouda. Comme elle, Elisabeth Kaboré est mère de faux jumeaux. Ils se nomment Daniel et Diane Zoungrana. Conduits dans ce centre médical pour la même cause, ces nourrissons de neuf mois ont bénéficié d’une prise en charge adéquate.
En une semaine de traitement, témoigne leur maman, leur état de santé a nettement évolué. A l’entendre, elle mélange la spiruline avec la bouillie ou l’eau. Aminata Yaméogo est, quant à elle, venue de Ramongo, commune rurale de la province du Boulkiemdé. Mère de jumeaux, ses mamelles ne produisaient pas de lait à même d’alimenter convenablement ses nourrissons. Du coup, elle a décidé de se rendre dans une formation sanitaire pour se soigner. Un traitement à la spiruline combiné avec d’autres compléments alimentaires a suffi à régler son problème. Les nourrissons qui étaient auparavant chétifs lui emboîteront le pas à partir de leur sixième mois par des prises régulières de la spiruline.
Aujourd’hui, Tondé Mouniratou et Tondé Mounira sont toutes deux joyeuses et pleines de vie. Autre lieu, même constat. Au Centre de récupération et d’éducation nutritionnelle du village de Nayalgué situé à quelques encablures de la ville de Koudougou, la salle de consultation est bondée de monde. Les cris de joie et les pleurs des enfants se mêlent. A tour de rôle, ils passent sur la bascule. Zongo Théophile, âgé seulement de quatre mois, est privé du lait maternel, car sa mère n’en a pas. Une prise en charge de la mère allaitante et de son nourrisson s’impose.
En misant sur la spiruline, leur santé a été restaurée. La vie de Théophile est hors de danger et sa mère arrive à allaiter normalement. « Cela fait quatre mois que je fréquente ce centre avec mon enfant. Voyez-vous comment il se porte bien maintenant ?», se réjouit sa maman. Cécile Zoma a, elle aussi, emmené son nourrisson, Ornel Ya, au centre médical de Nayalgué. Le visage rayonnant de joie, Mme Zoma retient que la spiruline, en plus d’être un complément alimentaire efficace, est un « bouclier » qui protège les enfants contre d’autres maladies. Des propos confirmés par Madina Sawadogo/Kapieko, animatrice au sein de l’ONG Technap, une organisation non gouvernementale qui subventionne la distribution sociale de la spiruline au profit des couches démunies.
D’après elle, cette structure a prévu de faire un don de 330 kg de spiruline en 2024. Les CREN concernés sont au nombre de sept. Pour Mme Sawadogo, les cibles ont été identifiées sur la base du nombre élevé de malnutris en leur sein. L’animatrice persiste que ce produit paramédical possède de multiples vertus thérapeutiques et nutritionnelles qui soulagent de nombreux patients. L’infirmière du centre médical Saint Michel, Florence Kaboré/Yaméogo, dit suivre de près l’évolution de la situation sanitaire des enfants malnutris. « Quand l’enfant ne mange pas, nous lui donnons la spiruline. Généralement, la maman vient témoigner de son efficacité après une semaine de traitement », révèle-t-elle. Mme Kaboré indique que le centre offre d’autres compléments alimentaires aux enfants, mais ce qui fait la spécificité de la spiruline est qu’elle leur donne, en plus des autres valeurs, de l’appétit. Le centre vend la spiruline à prix social à raison de 200 F CFA le sachet. Cependant, reconnait l’agent de santé, il en donne plus qu’il ne vend.
Un produit prisé par les personnes séropositives

ne ratent pas leurs rendez-vous.
Odette Yaméogo et son enfant Zongo Micheline étaient toutes les deux maladives. Reçues en consultation au centre médical de Nayalgué il y a deux mois de cela, elles ont été mises sous traitement à base de la spiruline. Aujourd’hui, Mme Yaméogo et son bambin se portent à merveille. Il est à noter que la spiruline ne se limite pas au seul traitement de la malnutrition. Les personnes séropositives en font également recours et pour cause ? « La spiruline leur permet non seulement de renforcer leur système immunitaire mais aussi de résister à d’autres maladies », dévoile Madina Sawadogo/Kapieko. Le directeur de la ferme confie que des témoignages ont été faits par des personnes ayant consommé la spiruline et bénéficié d’un changement de leur statut sérologique.
Toutefois, en raison de l’absence d’une étude scientifique clairement établie, ces propos ne peuvent pas être confirmés. Il précise d’ailleurs que toute personne, malade ou bien portante, peut consommer la spiruline sans courir aucun danger. « C’est un antioxydant qui lutte contre le vieillissement des cellules. La spiruline contient des vitamines, des protéines. Elle est bénéfique pour la femme enceinte parce qu’elle est riche en fer », signale-t-il. Christian Zongo, volontaire de la santé à Nayalgué, est convaincu que l’extrême pauvreté des ménages est la principale cause de la malnutrition chez les enfants et des autres soucis de santé chez leurs génitrices.
« Certaines d’entre elles nous ont confié qu’elles peinent souvent à avoir un seul repas par jour », déplore-t-il. Comme alternative, M. Zongo s’est résolu à leur montrer comment préparer des aliments enrichis à partir des céréales locales et l’arachide. « Nous sommes heureux d’apporter notre contribution à l’épanouissement total des femmes allaitantes et des enfants malnutris », dit-il. Il affirme que le centre enregistre une centaine de nouveaux malnutris par an. « Si on prend en compte les anciens que nous suivons déjà, ce n’est pas moins de 300 enfants que nous prenons en charge chaque année », précise-t-il. Producteurs, agents de santé et patients n’ont qu’un seul vœu, à savoir promouvoir la spiruline au Burkina Faso et la rendre accessible à tous.
Ouamtinga Michel ILBOUDO
omichel20@gmail.com
