Les jardins nutritifs sont en train de réapparaître peu à peu au Burkina Faso. C’est une pratique agro-écologique qui mise essentiellement sur une production durable avec en toile de fond, le rejet des substances nocives à l’environnement et à la santé humaine. A Saabtenga, à la périphérie-nord de Ouagadougou, ce concept a conquis le cœur des femmes du groupement Guétawendé. Grâce à leur savoir-faire entrepreneurial, elles ont réussi à créer un champ peuplé de baobabs et de moringa.
Jeudi 23 mai 2024 à Saabtenga, un quartier périphérique de la ville de Ouagadougou mais rattaché administrativement de la commune rurale de Pabré. En face de la voie de contournement, on rencontre une ferme atypique dénommée « jardin nutritif ». A l’intérieur de celui-ci, se disputent une forêt de baobabs et de moringa. Arborant de beaux feuillages verts, ces arbres suscitent à la fois curiosité et admiration chez le visiteur. « C’est rare de voir une personne planter un baobab mais c’est une réalité chez nous», indique Haïdara Kobala, animateur à l’association SOS santé et développement, concepteur du projet. La ferme s’étend sur une petite superficie d’un demi-hectare. Elle est protégée par un mur en grillage. L’exploitation est assurée uniquement par des femmes, réunies autour du groupement Guétawendé, fort de 25 membres. La présidente du groupement, Kadidiata Zongo, la cinquantaine révolue, semble défier la chaleur étouffante. Sous cette fournaise ardente à ciel ouvert, elle fait des va-et-vient entre la cuisine et le jardin. Elle garde un œil sur toute activité qui se mène sur le site. De ses explications, la plantation de ces deux espèces revêt un double avantage. D’une part les feuilles, très riches en vitamines, sont comestibles et de l’autre, leur vente procure des revenus substantiels au groupement. Des revenus qui ne sont pas d’ailleurs dépensés avec une certaine prodigalité.
Rejet des substances chimiques
L’argent est gardé dans un compte du groupement à la caisse. Même si la présidente se garde de dévoiler son montant, elle reconnait néanmoins que leur activité est rentable. Un détail important qu’elle n’a pas voulu occulter, c’est le rejet systématique par les membres du groupement de tout ce qui est substance chimique. A cet effet, Kadidiata Zongo rappelle que les intrants de synthèse n’ont pas leur place dans ce jardin acquis à la cause d’agro-écologie.
Les fertilisants biologiques, plus respectueux de l’environnement et de la santé humaine, sont fabriqués par les femmes elles-mêmes, selon la présidente. « Ce sont des fertilisants liquides que nous appliquons aux pieds des arbres.

En plus de ces fertilisants, nous apportons du fumier dans notre jardin», note Mme Zongo.
A en croire le Président du conseil d’administration (PCA) de l’Association SOS santé et développement, Emmanuel Rouamba, le jardin nutritif a pour vocation de produire des aliments sains. « Notre structure est dans la dynamique de promotion de l’agro écologie. Nous avons d’autres sites dans la province du Boulkiemdé, plus précisément à Sabou, où nous disposons de jardins scolaires. On y pratique le maraîchage sans utilisation de produits chimiques », dévoile-t-il. Sa conviction est que les produits chimiques appauvrissent les sols et détruisent l’écosystème.
« Nous avons compris cela très tôt et formons les groupements de producteurs à la fabrication de produits bio», relève le PCA.
Pour une bonne exécution des tâches, les femmes se sont réparties en trois groupes qui se relaient. Dans la matinée du mercredi 22 mai, confie la présidente, elles ont procédé ensemble au nettoyage de leur jardin en le débarrassant de toutes les mauvaises herbes. A notre passage, un groupe s’attelait à l’arrosage. Munies d’arrosoir et de seaux, ses membres s’acquittent convenablement de leurs tâches sous le regard vigilant de la présidente. La fatigue se lit déjà sur certains visages, vu la pénibilité du travail. Pendant que d’autres sont à la tâche, certaines se reposent à l’ombre d’un arbre. L’idée de planter le baobab et le moringa procède d’un concept dénommé « jardin nutritif » promu par le ministère en charge de l’environnement à travers le programme Tree aid, révèle le PCA de l’association, Emmanuel Rouamba, par ailleurs directeur exécutif du réseau des associations SOS santé et développement Paalga.
A l’écouter, sa structure a été associée à une étude sur le concept des jardins nutritifs dans la région du Sahel. C’est à l’issue de cette étude que l’inspiration est venue de créer des jardins nutritifs dont celui de Saabtenga. « Etant donné que le jardin nutritif a permis à beaucoup de femmes ailleurs d’être financièrement et économiquement autonomes, nous avons décidé de dupliquer cette belle expérience dans notre site de production », indique M. Rouamba. Pour ce faire, des femmes du Sanmatenga, nanties d’une riche expérience en la matière, ont été sollicitées pour former celles de Saabtenga sur les normes de production du baobab et du moringa.
La vision du projet, selon le président de l’association, Emmanuel Rouamba, consiste aussi à contribuer d’une manière ou d’une autre à l’atteinte de la sécurité alimentaire et nutritionnelle au Burkina Faso. Rasmata Sawadogo, mère de sept enfants, est membre du groupement. Elle dit soutenir fermement cette initiative au regard de son impact combien positif dans l’alimentation de la population. Mme Sawadogo avoue tirer profit du travail qui est fait dans ce jardin nutritif au prétexte qu’il lui permet de consommer des aliments sains. Les membres du groupement, sans exception aucune, s’adonnent à cœur joie, à l’entretien de leur jardin. Pour preuve, Alima Zongo, la soixantaine bien sonnée, est fière de participer à toutes les activités qui ont lieu dans ce jardin. En dépit de son âge un peu avancé, elle s’efforce à déployer ses frêles muscles pour désherber et arroser le jardin.
Des feuilles beaucoup prisées
Une récolte était prévue au cours de la journée mais elle a été reportée en dernière minute à une date ultérieure. De l’avis de nos interlocutrices, les feuilles de baobab et de moringa s’arrachent comme de petits pains. Si bien qu’elles ont parfois du mal à satisfaire tous les clients. « Ça ne suffit pas », s’exclame Emmanuel Rouamba. « Nous avons eu raison de planter le baobab et le moringa », renchérit Haïdara Kobala. Celui-ci dit aider ces femmes à commercialiser leurs productions tant les feuilles de ces arbres sont beaucoup prisées des consommateurs. « Il y a des particuliers qui peuvent lancer des commandes de 10 000 F CFA de feuilles de baobab », souligne-t-il. A entendre M. Kobala, ces feuilles issues de jeunes baobabs ont un goût succulent, totalement différent de celui des grands arbres. « La différence est que c’est léger et plus doux que les baobabs qui poussent à l’état naturel », précise-t-il.
L’autre avantage est que ces feuilles sont disponibles à tout moment, peu importe la saison. Ce qui n’est pas le cas pour les baobabs sauvages. Les femmes ne se sont pas contentées de la production seulement. Au cours de leur formation, elles ont appris comment transformer les feuilles de moringa en divers produits alimentaires. Sur le terrain, elles ont réussi à transformer le moringa en thé en association avec d’autres produits naturels, en couscous et en gâteaux enrichis. « Le plateau technique étant faible, elles ne peuvent pas produire à grande échelle et avoir assez de revenus financiers », fait savoir Emmanuel Rouamba. Natacha Compaoré est la coordinatrice adjointe de l’ONG Action de carême Suisse au Burkina, partenaire de ce projet. Après une visite dans le jardin, elle est émerveillée par les résultats, fruit de leur collaboration avec l’Association SOS santé et développement.

Dans la mise en œuvre de ce projet, cette ONG ne prend en compte que le financement de la formation en renforcement des capacités des femmes notamment dans le domaine des pratiques agro écologiques. Mme Compaoré estime que sa structure a atteint son objectif. Le souhait du PCA Rouamba est que d’autres partenaires s’invitent dans la danse afin d’aider ces femmes à produire, à transformer et à écouler leurs produits. Selon l’animateur de l’association, ces arbres sont issues des semences certifiées mises au point par les chercheurs de l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles (INERA). La particularité de ce jardin nutritif est que les plantes ne restent pas longtemps sur place.
Au bout de trois années d’exploitation, ils sont déterrés puis repiquer en brousse où ils auront suffisamment le temps de grandir et de vieillir. La technique d’enlèvement semble être bien maîtrisée par les membres de l’association si bien qu’aucun arbre ne meurt après son déplacement. Haïdara Kobala le confirme en ces termes : « Ces baobabs ne meurent pas dans leur nouveau site de replantation après leur déplacement ». Le hic est que le projet exige à ce que le repiquage se fasse exclusivement dans la même commune. Or, déplore M. Kobala, la commune de Pabré ne dispose plus de terres à même d’abriter un tel projet à cause de leur morcellement par les promoteurs immobiliers.
« Ils ont tout pris. Donc nous sommes à la recherche d’un site mais jusqu’à présent nous n’en trouvons pas », s’alarme Haïdara Kobala. Pour lui, quel que soit le lieu de replantation des baobabs, c’est toujours la population burkinabè qui gagne. L‘invasion des terrains agricoles par les promoteurs immobiliers a même touché le domaine du jardin nutritif où la superficie est passée de 5 ha au départ à 0,5 ha actuellement. « Les propriétaires terriens ont préféré brader leurs terres avec ces promoteurs véreux que de nous les concéder gratuitement pour mener des activités de développement », regrette Emmanuel Rouamba. D’ores et déjà, poursuit-il, les démarches sont en cours pour l’obtention de l’attestation de possession foncière, un document indispensable à la survie de leur domaine, aujourd’hui cerné de toutes parts par des bornes des promoteurs immobiliers.
Le manque d’eau, un casse-tête
Le jardin nutritif de Saabtenga est confronté à de multiples défis. Les membres du groupement ont certes le cœur à l’ouvrage mais encore faut-il que toutes les conditions soient réunies pour leur permettre de mener à bien leurs activités. Le défi majeur qui se pose aux exploitantes est l’insuffisance d’eau. Face à cette situation, l’association SOS santé et développement a consenti un effort en construisant un forage, équipé de deux poly tanks. Malgré tout, le problème demeure. La quantité d’eau stockée dans ces réservoirs est loin de couvrir les besoins des femmes. Chaque jour, irriguer le jardin relève d’un parcours du combattant. « En saison sèche, c’est la croix et la bannière pour entretenir le jardin », fulmine Alima Zongo. Même son de cloche chez la présidente qui signale que cette problématique est de nature à saper parfois le moral des membres du groupement qui n’arrivent pas à bien travailler. Comme alternative, l’animateur a décidé d’imposer un rationnement de l’utilisation de l’eau.
Ainsi, l’irrigation qui devrait être quotidienne, se fait désormais tous les deux jours. Cette astuce a permis de maintenir la verdure dans le jardin au cours de la campagne sèche. Pour l’heure,

avant de reprendre le travail.
les premières pluies qui ont arrosé Ouagadougou et ses environs sont venues arranger les choses. Le PCA de l’association SOS santé et développement, Emmanuel Roumba, est visiblement surpris par cette situation. Car, se désole-t-il, la construction du deuxième poly tank avait été entreprise dans le sens de résorber, une fois pour toute, ce problème d’eau. De son entendement, la question de fond qui se pose est qu’il y a un lien entre le débit du forage (très faible) et la nappe phréatique.
« Nous avons essayé de creuser des puits un peu partout, mais nous n’avons pas eu d’eau », avoue le PCA. En tout état de cause, il ne perd pas espoir, étant entendu que la réflexion est toujours en train d’être menée autour de cette question en vue de trouver une solution pérenne. Raison pour laquelle il exhorte les partenaires sensibles à l’agro écologie à venir à la rescousse de ces braves dames du groupement Guétawendé. A ce manque d’eau s’ajoute la vétusté, voire le manque de matériel d’arrosage. Des arrosoirs et des seaux usés sont toujours utilisés. La présidente du groupement laisse entendre qu’elle a puisé de l’argent dans la caisse pour acquérir de nouveaux matériels.
Leur qualité étant souvent remise en cause, ils ne durent pas « Notre partenaire actuel n’intervient que dans le renforcement des capacités. Les équipements et autres sont à la charge de l’association. Nous sollicitons les partenaires qui sont intéressés par l’agro écologie à nous donner un coup de pouce dans ce domaine », plaide Emmanuel Rouamba. L’association est en train d’expérimenter la production hors sol et cela pour une raison simple.
« La zone est de plus en plus urbanisée et les femmes n’ont plus d’espaces cultivables. Si elles venaient à maîtriser la production hors sol, chacune d’entre elles pourrait la pratiquer chez elle de sorte à produire et consommer des aliments sains, sans effet sur leur santé», avance M. Rouamba. Il lance un appel à tous les producteurs à bien entretenir les sols car ce sont des organismes vivants qu’il ne faut pas agresser et blesser au risque de les rendre impropre à la production agricole.
Ouamtinga Michel ILBOUDOO
michel20@gmail.com
