
Pendant que l’actualité est dominée en Afrique de l’Ouest par l’arrivée d’un nouveau pouvoir au Sénégal et l’expression affichée de souveraineté des régimes de Transition dans des pays du Sahel, le Togo a créé la surprise. Par le truchement de l’Assemblée nationale, le pays passe d’un régime présidentiel à celui parlementaire. Si l’opposition y voit un recul démocratique, le pouvoir table plutôt sur une avancée.
Entérinée par les députés à l’Assemblée nationale, la réforme constitutionnelle au Togo transforme le système présidentiel en régime parlementaire. Selon cette Constitution nouvelle version et promulguée par le Président Faure Gnassingbé, en début mai, l’exécutif aura désormais deux chefs : un président de la République (chef de l’Etat), qui dispose des pouvoirs symboliques et un président du Conseil des ministres (chef du gouvernement), qui conduit la politique de la nation et qui est le chef de la majorité parlementaire. Le président de la République sera élu pour un mandat de quatre ans, renouvelable une fois, par les députés et non plus directement par les électeurs. Par conséquent, le prochain scrutin présidentiel au suffrage universel direct, qui était prévu en 2025, n’aura donc pas lieu.
La réalité du pouvoir résidera désormais entre les mains du président du conseil des ministres, une sorte de super-Premier ministre qui sera obligatoirement le chef du parti majoritaire à l’Assemblée nationale.
Les résultats des élections législatives et régionales, tenues le 29 avril dernier, permettent d’avoir une lecture plus claire de la nouvelle donne au Togo. Le parti au pouvoir, l’Union pour la République (Unir), est sorti largement vainqueur de ce scrutin. Il a remporté 108 sièges, contre 5 seulement pour toute l’opposition, d’après les résultats provisoires annoncés par la Commission électorale nationale indépendante. Il s’agit de quatre formations que sont l’Alliance nationale pour le changement (ANC), la Dynamique pour la majorité du peuple (DMP), l’Alliance des démocrates pour le développement intégral (Addi), et les Forces démocratiques pour la République (FDR). Des résultats officiels contestés par certains opposants, qui ont dénoncé des irrégularités dans la foulée du scrutin. Mais tous les recours déposés ont été rejetés par la Cour constitutionnelle. Cette dernière ayant validé les résultats provisoires annoncés par la CENI.
Au regard de cette configuration, le Président Faure Gnassingbé, étant en même temps chef du parti majoritaire, on n’a pas besoin d’être un grand clerc pour deviner l’avenir politique de celui qui préside aux destinées du Togo depuis dix-neuf ans.
Les prérogatives des deux présidents
La nouvelle Assemblée nationale, élue pour 6 ans, a tenu sa session inaugurale ce 21 mai. Et la nouvelle constitution promulguée par le président Faure Gnassingbé a été publiée au Journal officiel du Togo, le même jour, peu avant l’installation du nouveau parlement, inaugurant ainsi la 5e République.
Ce nouveau texte donne à voir plus de précisions. En effet, dans ces dispositions transitoires pour faire passer le Togo à la Vᵉ République, les institutions doivent être mises en place dans les 12 mois. L’actuel chef de l’Etat conserve ses pouvoirs jusqu’à la désignation d’un président du Conseil des ministres et l’élection d’un président de la République par les parlementaires, une fois que les deux chambres du Parlement (Assemblée nationale et Sénat) seront installées, le Sénat ne l’étant pas pour le moment.
Dans cette nouvelle Constitution, les prérogatives des deux têtes de l’exécutif sont un peu plus explicites. Si on sait que le président de la République est élu par les parlementaires pour un mandat de quatre ans et a un rôle honorifique, on en sait davantage maintenant sur ses prérogatives réelles. Ainsi, il accrédite les ambassadeurs, décerne les décorations et reçoit le président du Conseil des ministres, deux fois par an, pour être informé de l’état de la nation.
Le président du Conseil, quant à lui, est chef du gouvernement et des armées. Il détermine et conduit la politique nationale et internationale ; peut être à l’initiative de lois ; désigne un tiers des membres du Sénat et deux membres de la Cour constitutionnelle. Il peut aussi dissoudre l’Assemblée nationale.
En outre, l’Assemblée nationale a le pouvoir de mettre en cause la responsabilité du gouvernement. Pour être recevable, la motion de défiance doit être signée par au moins 2/5 des députés.
Comme il fallait s’y attendre, les opposants à ce texte sont vent debout contre son application.
Une partie de l’opposition et de la société civile rejettent toujours ce régime parlementaire, dans lequel ils voient une manœuvre pour maintenir Faure Gnassingbé au pouvoir sans limitation de mandat. D’ailleurs, deux des cinq députés de l’opposition élus n’ont pas siégé à la séance inaugurale de la nouvelle Assemblée.
Mais on peut estimer que cette opposition ne peut que s’en prendre à elle-même. A force d’être désunie et peu organisée aux différents scrutins dans ce pays, on pouvait voir venir le raz-de-marée électoral effectué par l’Unir, le parti au pouvoir. Elle avait d’ailleurs boycotté les législatives de 2018. Elle a voulu contrer la mise en route d’un régime parlementaire voulu par le pouvoir en place, en prenant part au scrutin de cette année, mais les résultats qu’elle a engrangés, parlent d’eux-mêmes.
La voie est donc libre pour Faure Gnassingbé de devenir le premier président du Conseil de la République togolaise. Lui qui a été régulièrement réélu depuis 2005, après avoir accédé au pouvoir à la suite de la mort de son père, Gnassingbé Eyadema, qui a lui-même passé 38 ans à la tête du Togo. De l’avis de certains togolais, le pouvoir n’a pas changé en réalité de mains depuis 1967.
Gabriel SAMA.
