Chrysopogon zizanioides, plante dépolluante et antiérosive communément appelée le vétiver, a réussi à restaurer un terrain inculte à Nébia, localité située dans la commune rurale de Dassa dans la province du Sanguié, région du Centre-Ouest. L’expérience est menée de main de maître par des chercheurs de l’Institut de recherches en sciences appliquées et technologie (IRSAT) à la faveur de la mise en œuvre d’un projet de dépollution de sites miniers par phytoremédiation. La reconstitution d’une mini forêt après deux années d’activités est la preuve que la technologie peut contribuer à inverser le processus de dégradation des sols.
A Nébia ce jeudi 14 septembre 2023, l’herbe verte est encore rafraichie par la rosée du matin. De part et d’autre de la piste sinueuse qui relie ce village
à sa circonscription administrative Dassa, les champs de maïs et de sorgho arborent des épis en état de maturité. Une bonne saison agricole
se profile à l’horizon. La joie des producteurs aurait été plus grande s’ils avaient réussi à emblaver toutes leurs terres. Malheureusement, l’orpaillage ne leur a pas fait de cadeau.
A la périphérie du village, les champs sont transformés en sites miniers. Les végétaux se font rares.
Des fosses semblables à des tombeaux à ciel ouvert recouvrent le sol.
Difficile donc d’apercevoir un champ dans les parages. A l’entame de ce vaste terrain inculte, on aperçoit une végétation dense. L’espace
est délimité par un grillage et couvre une superficie d’un hectare. Diverses espèces végétales s’entremêlent à l’intérieur. L’une d’elles,
disposée en rangées, captive le regard de tout visiteur. Il s’agit de Chrysopogon zizanioides, une plante herbacée d’origine indienne,
acclimatée au Burkina Faso et communément appelée le vétiver. Elle a une grosse touffe de feuilles longues, fines, étroites et coriaces aux bords coupants. La plante a été introduite en ce lieu par l’Institut de recherche en sciences appliquées et technologies (IRSAT), un des quatre instituts du Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST). C’est une plante dépolluante dont l’efficacité est testée ici dans le cadre de la mise en œuvre d’un projet dénommé « dépollution de sites d’exploitation minière artisanale et semi mécanisée de l’or par phytoremédiation ».
Le projet est financé par le Fonds national de la recherche et de l’innovation pour le développement (FONRID). Les travaux entrepris en 2020
se sont achevés en 2022. Au constat, une mini forêt a été reconstituée grâce à Chrysopogon zizanioides. Dans ses méandres, résonne le gazouillement des oiseaux. « Quand on rentre dans cette forêt, on ne se croit pas à Dassa », témoigne Bandiba Lankoandé, chef de service départemental de l’environnement de Dassa. « C’est à cause des feux
de brousse, sinon elle était plus abondante que cela», renchérit Emile Bayili, un des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) recruté par l’IRSAT pour veiller sur le site. L’initiatrice du projet se
nomme Dr Martine Diallo/Koné, cheffe de Département substances
naturelles (DSN) à l’IRSAT.
L’idée est née de sa volonté de contribuer, par ses travaux de recherches, à inverser le processus de dégradation des sols issus de l’exploitation minière. « Il faut dire qu’en tant que chercheure, nous avons vocation à trouver des solutions aux préoccupations que connaissent les acteurs au développement. Chacun dans son domaine de compétence fait ce qui
lui semble être pertinent. C’est dans ce sens donc que nous nous sommes intéressés à la question de l’exploitation minière artisanale qui a un impact négatif sur les sols et les eaux mais aussi sur la santé humaine », affirme-t-elle. Le choix de Chrysopogon zizanioides n’est pas un fait de hasard. En plus d’être une plante dépolluante, elle est non envahissante. Autrement dit, elle ne
se reproduit pas par graines. « Il faut une partie de la plante pour assurer sa multiplication », insiste Dr Diallo.
50% d’élimination du mercure

l’environnement de Dassa Bandiba Lankoandé
apprécie cette initiative.
Elle confie en outre qu’il existe au Burkina Faso une autre variété de Chrysopogon,à savoir Chrysopogon
nigritana. Celle-ci se reproduit par graine et pourrait devenir envahissante et difficile à maîtriser. En outre, elle est moins performante
que Chrysopogon zizanioides en matière de dépollution. Martine Diallo explique que selon la nature des substances polluantes contenues dans le sol, Chrysopogon zizanioides peut les éliminer par différentes voies. A son avis, le polluant peut être dégradé au niveau des racines, c’est la phytodégradation ou s’y fixer, on parle alors de phytostabilisation.
Certains polluants sont extraits vers les parties supérieures de la plante par phytoextraction. A l’en croire, la nature et la quantité de polluants rencontrés dans les différentes parties de la plante dépendent du type de substances chimiques concernées. « On peut en trouver plus dans les racines que dans les
feuilles ou inversement », fait remarquer Dr Diallo. A entendre le chef de service départemental de l’environnement de Dassa, Bandiba
Lankoandé, la plante se nourrit des polluants et s’adapte à tous les milieux.
Partant des résultats d’analyses faites sur des échantillons prélevés de façon périodique, Dr Diallo révèle que certains polluants ont atteint 50% d’élimination après deux ans de mise en œuvre de la technologie. C’est le cas, par exemple, du
mercure. Elle précise que le principe en matière de dépollution est que l’élimination complète des substances chimiques s’opère dans la
durée. « C’est l’intérêt d’ailleurs de choisir une plante pérenne. Parce que dès lors qu’elle est en place, elle continue à agir aussi longtemps que nécessaire », éclaire Dr Diallo. En effet, poursuit-elle, la plante dispose d’un système racinaire profond qui se développe très bien et forme une sorte de mur qui ralentit l’écoulement des eaux et favorise leur infiltration dans le sol. La biomasse supérieure retient les matières en suspension, contribuant ainsi à la fertilisation du milieu.
De ce qui précède, Dr Martine Diallo/Koné déduit que cette plante joue un double rôle à savoir d’une part celui de dépolluant et de l’autre celui de fertilisant.« En somme, c’est une plante pérenne qui dépollue grâce à un système racinaire pouvant aller jusqu’à deux mètres de profondeur voire au-delà et qui agit également plante antiérosive », explique-t-elle. Elle semble avoir atteint son objectif car les résultats obtenus plaident en faveur de l’adoption de cette technologie pour la restauration des sols dégradés au Burkina Faso. Pour ce qui est de la vulgarisation à grande échelle de la technologie, elle estime que tout dépend de la volonté politique.
Ainsi, Martine Diallo dit faire confiance aux autorités, ce d’autant plus que Chrysopogon zizanioides ne présente aucun danger pour l’environnement. « C’est une dépollution verte et durable car la plante n’a pas besoin d’un apport extérieur », note-t-elle. Et de préciser : « Elle continue à dépolluer le sol aussi longtemps que les polluants y sont présents ».Les services en charge de l’environnement du Centre-ouest sont impliqués dans la mise en œuvre de ce projet. Le service départemental de Dassa qui a suivi les travaux du début jusqu’à la fin, ne cesse de voler au secours des producteurs qui veulent appliquer la technologie dans leurs champs. « Ils nous appellent à l’aide chaque fois qu’ils rencontrent des difficultés sur le terrain » atteste Bandiba Lankoandé.
Une technologie à succès

Lors de ses rencontres avec les producteurs, ce lieutenant des eaux et forêts dit en profiter pour leur recommander la technologie. La technique a séduit plus d’un à Nébia et ses environs. Assis devant sa cour, le regard interrogateur, Issaka Badiel, chef du village, se demandait comment il allait restaurer son champ de 20 ha dévasté par l’orpaillage. Aujourd’hui, ce sexagénaire et père de 30 enfants semble avoir trouvé la réponse à ses multiples interrogations. Il veut s’inspirer de ce bel exemple à Nébia pour entamer progressivement la réhabilitation de ses terres agricoles conquises par l’orpaillage.
Comme lui, Abdoulaye Bayili, vice-président de la délégation spéciale (PDS) de Dassa, par ailleurs membre de la Chambre régionale d’agriculture (CRA) du Centre-Ouest, a préféré battre le fer pendant qu’il est chaud. Il a d’ores et déjà repiqué la plante dans son champ et les résultats obtenus le confortent. « J’ai planté seulement deux lignes de Chrysopogon zizanioides dans un terrain aride et abandonné depuis des années.
Aujourd’hui, l’espace a recouvré la verdure», se réjouit-il. Le directeur régional en charge de l’environnement du Centre-Ouest, Hakiékou
Fiédi est aussi émerveillé des résultats engrangés par les chercheurs.
Il pense que la dynamique engagée permettra à terme de réhabiliter plusieurs sites miniers dont les effets impactent négativement sur la gestion durable des ressources naturelles. M. Fiédi s’est par conséquent résolu à renforcer la collaboration entre la direction régionale en charge de l’environnement du Centre-Ouest et l’IRSAT afin de mieux coordonner leurs actions sur le terrain. « Nous avons des aires protégées qui sont envahies par les orpailleurs.

Cette technologie est vraiment la bienvenue parce qu’elle nous permettra de les restaurer», souligne-t-il. Le succès de la technologie implémentée à Nébia a eu un écho favorable auprès de la coordination du projet Eau, Clé de Développement Durable (ECDD), qui a demandé à l’IRSAT et ses partenaires de dupliquer la technologie sur un site d’orpaillage à Nimbrogo, un village situé dans la commune de Ziou, province du Nahouri. A écouter Dr Diallo, la Technologie de phytoremédiation y est effectivement installée depuis juillet 2022.
Son souhait est que le ministère en charge de l’environnement, de l’eau et de l’assainissement et celui chargé des mines s’intéressent à la vulgarisation de cette solution verte et durable dans l’optique de restaurer les terres dégradées par des activités anthropiques.« Nous espérons que
l’Etat va emboîter le pas des organisations de la société civile, étant donné que la duplication n’est pas
coûteuse », fait savoir Dr Diallo. Pour elle, il suffit juste de planter les souches à l’entrée de la saison des pluies et la nature se chargera du reste.
Décideurs politiques et responsables des sociétés minières sont donc interpellés. Dr Diallo leur demande d’adopter et de vulgariser la technologie
qui constitue une solution naturelle, verte et durable en matière de restauration des sols dégradés au Burkina
Faso. Même son de cloche chez le lieutenant des eaux et forêts de Dassa qui exhorte les autorités à prendre le
relai. La technologie ayant suscité un intérêt certain pour les populations, il va sans dire que sa vulgarisation à grande échelle ne devrait pas poser de
problème.
Ouamtinga Michel ILBOUDO
omichel20@gmail.com
