Cueillette précoce des fruits sauvages au Centre-ouest : vers une disparition progressive des espèces 

Dans ce lot de lianes… 

De nos jours, la pression anthropique sur les espèces végétales au Centre-ouest est alarmante. De plus en plus, des individus, guidés par l’appât du gain, se ruent à la moindre occasion sur leurs fruits, en les cueillant à l’état immature pour la vente. Les provinces du Ziro et de la Sissili n’échappent pas à ces pratiques pernicieuses qui compromettent dangereusement la régénération naturelle des espèces et la qualité des produits forestiers non ligneux.

Le phénomène commence à inquiéter au pays des Hommes intègres. La vente des fruits issus de la forêt est désormais un secret de polichinelle. A l’orée de chaque hivernage, le constat est fait aux abords des voies et dans des marchés, où plusieurs Produits forestiers non ligneux (PFNL) se disputent l’espace. En ce début du mois de juin 2024, nous empruntons la Route nationale 6 (RN6), l’axe Ouagadougou-Sapouy-Léo. Situées dans la partie sud du Burkina Faso, les provinces du Ziro (Sapouy) et de la Sissili (Léo) qui regorgent d’abondantes formations végétales, sont pourvoyeuses de PFNL.

Dans presque chaque village ou hameau de culture, des femmes et surtout des enfants proposent une panoplie de fruits sauvages aux usagers de la route, à des prix variant entre 50 et 1 000 F CFA. De la liane Goyine ou Saba senegalensis (nom scientifique), du raisin sauvage ou Lannea microcarpa, du néré ou Parkia biglobosa, du karité ou Vitellaria paradoxa, etc. sont exposés. Ces fruits, riches en oligoéléments, selon les spécialistes des PFNL, sont très nutritifs pour l’organisme humain lorsqu’ils sont récoltés à l’état mature.

Mais de nos jours, avec la recherche effrénée de l’argent, la donne a changé. L’on assiste de plus en plus à une cueillette précoce des fruits de la brousse avec, en prime, des conséquences désastreuses sur ces espèces végétales. Dans le lot des PFNL que nous avons achetés tout au long de la RN6, figurent bien des fruits immatures. La situation est pire au niveau du Saba senegalensis (liane Goyine).

Les coques de certains fruits sont carrément vertes, la sève blanche dégoulinant toujours sur la peau. D’autres, de couleur jaunâtre, ont l’apparence d’être bien mûres. Les graines sont enrobées de pulpe jaune très moelleuse et juteuse et qui devrait être acidulée et sucrée. Malheureusement, cette pulpe offre un goût très amer et agressif aux papilles gustatives.

… et de raisins vendus sur l’axe Ouagadougou-Léo, figurent des fruits immatures.

Concernant les raisins sauvages, leur aspect multicolore (rouge et vert) et leur saveur acide, prouvent qu’ils ne sont pas mûrs. Il en est de même du néré et du karité où on enregistre des fruits prématurés, dégueulasses dans la bouche. Cette cueillette des fruits immatures, qui est en train de prendre de l’ampleur, ne laisse pas indifférents les promoteurs des PFNL et les défenseurs de l’environnement de la Sissili et du Ziro, dans la région du Centre-ouest.

La recherche effrénée du « pognon »

Abibata Salia est la présidente de la fédération Nununa (beurre de karité en langue locale nuni), une structure spécialisée dans la fabrication du beurre de karité dont le siège est au secteur 4 de Léo. Très remontée par ce qu’elle qualifie de menace contre l’arbre à karité, Mme Salia soutient que c’est la course « folle » vers l’argent qui justifie la récolte précoce des fruits.

Elle indexe particulièrement les femmes qui, pour des questions d’intérêts, cueillent le karité non mûr pour en extraire les amandes et les vendre aux commerçants. Cette pratique malsaine, à l’écouter, porte un coup dur aux activités de la fédération Nununa. « Les amandes non mûres ne donnent pas de bon beurre. Alors que notre client est exigeant en termes de qualité de beurre. Parfois, nous ne remplissons pas ses conditions et cela nous crée des difficultés », déplore Abibata Salia.

Afin d’éviter ces soucis, la fédération Nununa a créé des parcs à karité, disséminés dans les deux provinces et dans lesquels elle collecte ses noix de karité. Malgré tout, elle n’échappe pas au « diktat » des fruits immatures. Selon les confidences de la présidente, la fédération a déclassé, en 2023, environ 40 sacs de 80 kg d’amandes de karité prématurées. Ces amandes de mauvaise qualité n’ont pas permis à la structure de satisfaire à sa commande annuelle de 180 tonnes de beurre. 

Selon le DP de l’environnement de Sapouy, Louis Nébié, la récolte des fruits précoces impacte négativement la régénération naturelle des espèces végétales.

Les mêmes frustrations sont ressenties au sein de la coopérative Tougoulou (ruche en langue nuni). Basé au secteur 2 de Léo, ce regroupement de femmes s’attelle aussi dans la transformation des PFNL. Dans leurs produits transformés, le soumbala (bouillon des graines de néré) et les jus de liane occupent une place de choix. Toutefois, leur qualité n’est plus à la hauteur des attentes des membres de la coopérative et partant, de la clientèle. La cueillette des fruits immatures en est la cause.

« Il y a des graines de néré que nous achetons et qu’on jette par la suite parce que non formées. Même les animaux n’en ont pas besoin. C’est une perte pour nous », explique la présidente de ladite coopérative, Djénéba Zio, l’air contrarié. A l’entendre, le soumbala que sa structure fabrique a perdu son goût naturel d’antan, faisant baisser considérablement le nombre des clients.

« Nous avons toujours perdu au moins le quart de la quantité des graines de néré que nous achetons. Alors que l’assiettée, communément appelée yorouba, coûte 2 000 F CFA », s’offusque Mme Zio, avant de préciser qu’il est difficile de détecter a priori les mauvaises graines. C’est lors de la cuisson, fait-elle savoir, que toutes les graines prématurées remontent à la surface de l’eau, parce qu’elles s’apparentent à des coquilles vides. 

Une remarque que nous confirmons ce jeudi 6 juin 2024 au marché de Léo. A proximité des marchands de céréales, Safiatou Sakandé scrute l’horizon à la recherche du moindre client pour ses graines de néré. Dans le tas, il est presque impossible de distinguer à l’œil nu les bonnes et les mauvaises graines. Pourtant, se convainc la vendeuse, des graines immatures, il y en a.

Le DP de l’environnement de la Sissili, Karim Yéyé : « nous saisissons régulièrement des camions qui transportent des fruits immatures de lianes ».

Selon elle, les commerçants sont aussi victimes de ce phénomène. Mais, à écouter la présidente de la coopérative Tougoulou, ceux-ci sont moins impactés parce que les marchandises ne restent pas entre leurs mains. Au contraire, elle les accuse de contribuer à entretenir ces mauvaises pratiques en achetant tout ce qui leur est proposé qu’ils mélangent pour revendre. Un peu plus loin, de la poudre de néré destinée à la vente s’étale. Au lieu d’avoir une couleur bien jaune, elle se présente plutôt sous un aspect blanchâtre. Une preuve que les fruits ont été récoltés immatures. 

Une cueillette qui tue à petit feu

Concernant le karité, Mme Zio confie que des individus ont trouvé une astuce qui consiste à creuser la terre et à y enfouir les fruits prématurés afin de les forcer à mûrir. D’autres, ajoute-t-elle, utilisent des produits chimiques pour parvenir à leur fin. « La cueillette précoce des PFNL nous tue à petit feu, y compris les arbres », s’alarme-t-elle. Même son de cloche chez la présidente de la coopérative Névéléa de Sapouy, Angelina Nama.

La présidente de la fédération Nununa, Abibata Salia, accuse la recherche immodérée de l’argent d’être à l’origine de la cueillette précoce des fruits.

En tant que transformatrice des PFNL, elle souligne que ces dernières années, sa structure n’engrange plus beaucoup de bénéfices à cause de la mauvaise qualité des matières premières. « C’est pendant le barattage de la pâte que l’on se rend compte que le beurre de karité n’apparait pas assez. Cela prouve que les amandes ne sont pas matures. Il y a 20 ans de cela, nous ne connaissions pas ce problème », dénonce-t-elle, toute désarçonnée. Pour Mme Nama, les noix de karité doivent être récoltées au pied de l’arbre et non sur ses branches.

Impuissantes face à la cueillette des fruits prématurés, les transformatrices des PFNL disent se remettre aux responsables coutumiers et aux agents forestiers pour venir à bout du phénomène. « Avant, les chefs coutumiers faisaient des rites pour interdire la cueillette précoce des fruits. Il faut que l’on revienne à ces pratiques pour protéger les espèces », suggère la présidente régionale du karité de la fédération Nununa, Diaratou Yago.

Des suggestions qui rencontrent l’assentiment total des gardiens des traditions de Léo et de Sapouy, pour qui, le retour aux valeurs ancestrales est plus que nécessaire. Le chef du canton de Sapouy, Boubou Nama dit Abou, est catégorique. Dans les coutumes des Gourounsi, dit-il, la récolte des fruits sauvages à l’état prématuré est formellement proscrite. Il rappelle qu’à une certaine époque, des sacrifices rituels étaient faits pour protéger notamment le néré et le karité, parce qu’ils jouent un rôle primordial dans leur société.

La présidente de la coopérative Névéléa, Angelina Nama : « le beurre de karité et le soumbala ont perdu leur qualité à cause des fruits immatures ».

« Chez nous, les Nuni, le beurre de karité et le soumbala sont incontournables lors de la célébration des funérailles. En outre, notre tô (pâte de mil) est toujours accompagné de beurre de karité », informe le chef de Sapouy. Egalement tradipraticien, il renchérit que ces deux espèces végétales occupent une place de choix dans les soins de santé. C’est pourquoi, il estime qu’il faut à tout prix protéger ces arbres.

Selon ses explications, les contrevenants étaient sanctionnés par le chef de terre qui leur imposait une amende, composée d’une chèvre, d’un coq, de deux jeunes poulets, de la cola et du dolo (bière de mil). « Si on amende quelqu’un et ce dernier refuse de payer, on le laisse avec les esprits de la brousse. En ce moment, il peut tomber d’un arbre ou être mordu par un serpent. Ce qui va conduire inéluctablement à sa mort, tant qu’il ne revient pas demander pardon au chef de terre », détaille le responsable coutumier de Sapouy. Ses propos sont corroborés par son homologue de Léo, Dann-Zoè Pio.

Pour lui, le simple mot du chef de terre était suffisant pour préserver les essences végétales. « Si vous ne respectez pas ses consignes, c’est à vos risques et périls. Sur les fétiches, le chef de terre prononce ceci : celui qui contrevient à l’interdit, que la terre, la brousse et les marigots le sanctionnent », clame le chef du canton de Léo. L’information sur l’interdiction de cueillir les fruits immatures était relayée dans les villages par des crieurs publics, aux dires de Kirabouré Adama Dagano, chef de Zorro, un village rattaché à la commune de Léo. 

La régénération naturelle en danger

Le chef de Sapouy, Boubou Nama dit Abou : « dans certains villages du Ziro, des rites sont toujours faits pour permettre aux fruits du néré et du karité de mûrir ».

Mais de nos jours, les coutumiers affirment avoir abandonné, contre leur gré, ces pratiques rituelles, protectrices de l’environnement. A en croire le chef de Léo, la surpopulation et les religions révélées en sont pour quelque chose. Selon ses observations, la province de la Sissili est actuellement peuplée de beaucoup de communautés venues d’autres localités, rendant difficile le respect des coutumes des autochtones.

En outre, souligne Dann-Zoè Pio, beaucoup de Nuni pratiquent maintenant les religions importées, compromettant ainsi celle traditionnelle. « Actuellement, tout le monde est soit musulman, soit chrétien. Personne ne veut encore faire des sacrifices. Alors que le chef seul n’y peut rien », note le chef de Zorro. Celui de Sapouy  a une autre lecture de la situation. A son avis, les coutumiers sont tenus d’être prudents sous nos tropiques.

« De nos jours, si un chef coutumier réprime quelqu’un parce qu’il a cueilli des fruits immatures, la loi peut se retourner contre lui », foi de Boubou nama. Face à ce qu’ils qualifient de « massacre environnemental », c’est le désespoir qui se lit sur les visages des gardiens des traditions nuni. La plupart du temps, attestent-ils, la cueillette des fruits prématurés s’opère dans la nuit, à l’abri des regards.

Ces fruits de lianes sont en apparence bien mûrs, mais en réalité, ils ont tous un goût très amer, parce qu’immatures.

Certains poussent même l’outrecuidance jusqu’à violer des champs de responsables coutumiers. « Dans mon propre champ, des individus vont nuitamment récolter les noix de karité. Ils secouent les branches pour racler tout ce qui n’est pas encore mûr », témoigne, médusé, le chef de Léo. Face à ces manquements, Dann-Zoè Pio, professe son impuissance.

« Si nous invoquons les fétiches, les intéressés peuvent passer de vie à trépas. Mais faut-il continuer à tuer les gens ? Nous avons estimé que non. C’est pourquoi, nous avons arrêté de sacrifier aux rituels », argumente-t-il. Toutefois, signale-t-il, si quelqu’un le demande expressément, on peut faire le rite pour lui. 

En attendant, les coutumiers avouent refiler « la patate chaude » aux agents forestiers car, à les écouter, leurs messages de sensibilisation ne portent plus. Le Directeur provincial (DP) de l’environnement du Ziro, le commandant des eaux et forêts, Louis Nébié, dit constater avec amertume la présence de PFNL immatures sur la place du marché.

Ces actes qu’il qualifie d’infractions sont punis par la loi. M. Nébié rappelle que le code forestier, qui interdit la récolte des fruits précoces, prévoit des sanctions pécuniaires et pénales en cas d’infraction. « Les montants des amendes vont de dix mille à deux millions F CFA, en fonction de l’espèce ou de la gravité de la faute. Pour la peine privative de liberté, elle va d’un mois à deux ans de prison », précise le commandant des eaux et forêts.

Cependant, indique-t-il, l’accent est beaucoup mis sur la sensibilisation. Alors que le phénomène, qui prend de plus en plus de l’ampleur, a de multiples conséquences sur l’environnement et la biodiversité. Pour le DP de l’environnement du Ziro, la cueillette précoce des fruits compromet la régénération naturelle des espèces végétales, entraine la mutilation des branches des arbres et cause des ennuis de santé aux consommateurs. « Nous produisons les pépinières à travers ces fruits.

Mais quand ils sont cueillis immatures, les graines n’arrivent pas à germer. Il y en a aussi qui abattent carrément l’arbre pour avoir ses fruits. Cela entraine le déboisement et la disparition progressive de l’espèce », relève, pour sa part, le DP de l’environnement de la Sissili, le commandant des eaux et forêts, Karim Yéyé. Il ajoute que la pratique joue également sur la production des arbres.

Ses déclarations sont confirmées par les transformatrices des PFNL qui témoignent que le néré et le karité n’ont pas donné assez de fruits cette année dans les deux provinces. M. Yéyé est aussi d’avis que la répression seule ne suffit pas. C’est pourquoi, il suggère d’associer les coutumiers à la lutte. Sa proposition est partagée par son collègue du Ziro, Louis Nébié, ainsi que nombre d’acteurs des PFNL.

A vu d’œil, il est difficile de détecter dans ces graines de néré, celles qui sont prématurées.

« Nous sensibilisons les coutumiers afin qu’ils remettent au goût du jour certaines pratiques ancestrales. Ces règles endogènes sont beaucoup plus efficaces que la loi que nous appliquons », se convainc-t-il. Mais pour y arriver, les gardiens des traditions souhaitent un accompagnement du pouvoir moderne, c’est-à-dire, de l’Etat. « Il faut que le gouvernement donne un pouvoir aux coutumiers. Tant qu’ils ne retrouveront pas leur autorité d’antan pour dissuader les contrevenants, il n’y aura pas de changement. Les forestiers seuls ne peuvent pas mener la lutte », appelle de tous ses vœux le chef de Léo, Dann-Zoè Pio.

Mady KABRE

dykabre@yahoo.fr


Les coutumes font toujours leurs preuves à Léo

Le chef de Léo, Dann-Zoè Pio, reste convaincu que les pratiques coutumières peuvent aider à la protection des arbres et de leurs fruits, pour peu qu’on leur fasse la demande. Il garde fraichement en mémoire un fait qui s’est produit au mois de mai 2024 au marché de Léo. Selon ses explications, une femme y est allée vendre ses boules de savon (kabakourou). Dans la foulée, elle perd ses quatre millions F CFA. Personne de son entourage, ni son propre chauffeur, n’a voulu se dénoncer.

Exaspérée, la dame décide d’aller voir les responsables coutumiers de la ville. « Elle est venue ici avec son chauffeur nous voir et le chef de terre a sacrifié au rituel. Arrivé à la maison, le chauffeur n’a pas pu dormir. Il a pris l’argent pour aller remettre à la femme mais elle ne l’a pas pris sur-le-champ. Elle a suggéré que l’argent soit ramené chez nous. Quand ils sont revenus, on est encore passé par le même rituel avant que la dame reprenne son argent », raconte-t-il, pour montrer à quel point les coutumes peuvent toujours contribuer à résoudre des problèmes. 

M.K.


Gertrude Coulibaly, directrice de la promotion et de la valorisation des PFNL 

« Normalement, les villageois ne devraient pas souffrir de malnutrition »

Selon Gertrude Coulibaly, la cueillette des fruits immatures ne permet pas d’avoir des produits transformés de qualité.

Inspecteur des eaux et forêts, Gertrude Coulibaly est la première responsable de la direction de la promotion et de la valorisation des Produits forestiers non ligneux (PFNL), rattachée à la direction générale de l’économie verte et du changement climatique. Dans l’entretien accordé à Carrefour africain, le 13 juin 2024, à Ouagadougou, elle dévoile les méfaits de la cueillette des fruits prématurés, les bienfaits des PFNL ainsi que les mesures prises pour les protéger, entre autres. 

 

Carrefour africain (C.A.) : Quelle est l’importance  des produits forestiers non ligneux pour les populations locales ? 

Gertrude Coulibaly (G.C.) : Tout d’abord, les Produits forestiers non ligneux (PFNL) sont l’ensemble des produits issus de l’arbre, sauf le bois. Ils ont une très grande importance pour les populations locales. Le premier endroit où les gens se tournent pour chercher à manger, c’est la forêt. C’est là que l’on peut avoir tout ce dont on a besoin pour vivre dont les PFNL. Malheureusement, avec la recherche du gain facile, les gens ont commencé à les exploiter de manière anarchique qu’ils revendent sur le marché. Car pour eux, c’est un don de Dieu. La démographie galopante fait qu’il y a une forte pression sur les PFNL de nos jours. 

 

C.A. : En tant que promotrice des PFNL, quel sentiment avez-vous en voyant des fruits immatures sur le marché ?

G.C. : Que pouvons-nous faire ? Ça nous fait très mal de voir ces produits non mûrs sur le marché. Ils ne contiennent pas tous les éléments nutritifs nécessaires. Parce que les gens utilisent des produits chimiques pour accélérer leur murissement. Finalement, on se retrouve avec des fruits qui n’ont pas un goût naturel. Sur le marché par exemple, on retrouve du soumbala qui n’a pas un bon goût, parce que produit à base de graines de néré immatures. Le beurre de karité n’y échappe pas. C’est déjà un manque à gagner pour notre organisme. 

 

C.A. : Peut-on affirmer que la cueillette précoce des fruits a pris de l’ampleur de nos jours ? 

G.C. : Oui. Avant, il y avait une période à partir de laquelle on peut voir la liane goyine. En mai passé, j’étais étonné de voir déjà des lianes en vente à Bobo-Dioulasso. Quelqu’un m’a dit que c’est depuis le mois d’avril que ces fruits étaient sur le marché. Alors que ce n’est pas à cette période que l’on devrait les trouver. Ce sont des fruits qu’on a forcés à mûrir afin de pouvoir les vendre. En ce moment, au lieu que le fruit ait un goût sucré, il est aigre. En le consommant, on peut avoir des maladies dues aux produits utilisés pour le mûrir. Les espèces les plus touchées par ce phénomène sont généralement la liane goyine, le néré, le karité et le raisin sauvage. 

 

C.A. : Quelles sont les conséquences de cette pratique sur ces espèces ?

G.C. : La cueillette des fruits immatures a un impact sur la régénération naturelle. Au fil du temps, on n’aura plus de fruits qui vont tomber et pousser afin qu’on ait de nouvelles espèces. Les arbres sont vieillissants et si cette régénération naturelle ne se fait pas, la population va disparaître. Sans oublier que les feux de brousse ravagent aussi les jeunes pousses, contribuant à la disparition de la population. Cette pratique ne permet pas non plus au Centre national des semences forestières d’avoir des semences pour les mettre à la disposition de certaines localités qui n’en ont pas. En outre, elle ne permet pas d’avoir des produits transformés de qualité. Alors que ces fruits sont bien riches en oligoéléments. Nos grands parents étaient épargnés de certaines maladies grâce à la consommation des PFNL. Actuellement, certains enfants sont malnutris parce qu’ils ne trouvent plus d’éléments nutritifs dans ces fruits sauvages. Normalement, ceux du village ne devraient pas connaitre la malnutrition, du fait de la présence des PFNL dans la nature. Malheureusement comme ces produits sont cueillis immatures, beaucoup d’éléments manquent à leur organisme et cela impacte leur santé.

 

C.A. : Sur le terrain, des efforts sont consentis par les agents forestiers pour protéger les espèces menacées. Qu’est-ce qui est fait par votre direction pour appuyer ces actions ?

G.C. : Pour le moment, nous mettons l’accent sur la sensibilisation et l’information. Quand nous sommes devant les populations-cibles, nous les invitons à cueillir des fruits matures mais aussi à planter des arbres. Nous offrons permanemment et gratuitement des pieds de néré et de karité aux acteurs organisés en filière pour planter. Mais comme il y a maintenant la direction des forêts, c’est son activité régalienne et nous sommes restés dans la promotion et la valorisation des PFNL. Notre direction a élaboré des textes qu’elle doit soumettre à la hiérarchie pour adoption. Ces documents ont trait à la cueillette des PFNL, ainsi qu’à leur stockage, leur commercialisation, etc. Nous continuons de les toiletter et nous espérons que d’ici à la fin de 2024, ils vont être adoptés afin qu’on puisse les appliquer sur le terrain.

C.A. : Peut-on savoir davantage sur le contenu de ces textes ?

G.C. : Ce n’est pas seulement la répression qui est visée dans ces textes. Ils vont permettre également de renflouer les caisses de l’Etat et surtout des communes où se trouve la ressource. Cela va leur permettre d’avoir de l’argent pour mieux protéger les espèces, à travers la plantation et la surveillance de la régénération naturelle. Avec ces textes, tout le monde y trouve son compte, à savoir le villageois, la commune, l’Etat, la nature, etc.

Entretien réalisé par Mady KABRE