Site de production de Flex-Faso à Guénako: l’ambiance après la restitution des terres

Le renouvellement du verger commence par la taille des anacardiers.

L’ex-société Flex-Faso a été expropriée par l’Etat de ses fermes de Guénako dans la commune rurale de Kourinion, province du Kénédougou. La gestion et l’exploitation de ces vastes superficies de 500 hectares ont été confiées aux populations locales. En ce mois de juillet 2024, le renouvellement des vergers et la production vivrière ont démarré. Les paysans qui n’y croyaient plus, crient aujourd’hui victoire.

En ce début du mois de juillet 2024, il tombe des hallebardes à Kourinion, commune rurale de la province du Kénédougou dans la région des Hauts-Bassins. A quelques encablures des concessions se mêlent une multitude de vergers d’anacardiers et de manguiers. Le site de production de l’ex-société Flex-Faso se trouve également dans les parages. Décision est prise d’y faire un tour. Il n’y a que huit kilomètres (km) seulement à avaler. De part et d’autre de la piste qui y mène, les vergers défilent. La visibilité est parfois réduite par la présence d’arbres feuillus en bordure de route.

Drissa Traoré, chef de Kourinion, se réjouit de la restitution des terres spoliées aux paysans.

Les minutes s’égrènent. En moins de deux quarts d’heure, nous voilà à Guénako. Le verger d’anacardiers ne passe pas inaperçu. Un tapis forestier à perte de vue. Il s’étire jusque dans les méandres de la nature. C’est un verger vieillissant et touffu.C’est la preuve qu’il n’est pas bien entretenu ou pas du tout entretenu. En tout cas, l’Etat a procédé à son

expropriation. Il en a confié la gestion à la communauté. L’exploitation lui incombe désormais. Le domaine en question couvre une superficie de 500 hectares. Il est réparti entre les vergers et les cultures vivrières.

Le renouvellement du verger est bien entamé. Le travaila déjà commencépar la taille des arbres. Les souches sont en train de reproduire de nouvelles pousses à partir des bourgeons. C’est un processus naturel de régénération des plantes. Il permet aux arbres d’augmenter leurs rendements et d’améliorer la qualité de leurs fruits. L’air serein, notre guide Drissa Traoré, se croitencoreen train de rêver. Il ne s’en revient pas toujours. Tellement l’espoir de retrouver ces terres fertiles, arrachées de force par des hommes politiques,s’était émoussé. Des ouvriers rompus à la tâche s’occupent de l’élagage des arbres. Drissa Traoré,par ailleurs chef de Kourinion, exalte leur professionnalisme. Ces techniciensont du reste, étéformés et équipés par le Conseil burkinabè de l’anacarde (CBA). 

Des noix dénaturées

Par manque d’entretien, ce verger d’anacardiers ne produit plus des fruits de qualité.

Au sein de cette boîte, les responsables préfèrent travailler dans le silence. Ils ont décliné notre demande d’entretien. Une source interne sous couvert de l’anonymat nous lance ceci: « Ils ont peur de la presse ». Néanmoins nous ne repartirons pasbredouille. Paulin Yaméogo, chargé de communication du CBA, nous reçoit à la bonne franquette dans son bureau.

A l’en croire,le CBA apporte sa contribution pour la relance des activités sur le site de Guénako. Comme quoi,étant un acteurmajeur de la filière, il ne pouvaitpas rester les bras croisés.D’où le choix de ses premiers responsables de prêter main forte à la communauté à travers un don de matériel, de carburant et des formations. « Le CBA va bientôt profiter des retombées de cette exploitation mais les premiers bénéficiaires, ce sont les communautés », relève M. Yaméogo.

Le Directeur régional (DR) en charge de l’agriculture des Hauts-Bassins, Eric Pascal Adanabou, se dit disposé à accompagner les acteurs à restaurer ce site de production. Son attention est surtout portée sur la mauvaise qualité des noix cueillies dans ce verger d’anacardiers. « Les noix se sont dénaturées à cause du manque d’entretien », atteste-t-il.Les populations se réjouissent d’avoir recouvré leurs terres.

Téné Traoré, productrice, remercie les autorités pour leur soutien.

Cette victoire, elle est le couronnement de plusieurs années de lutte intense contre la spoliation de leurs terres. Une bonne organisation du travailà leur niveau s’impose. C’est pourquoi, il a été mis en place un Comité de gestion (COGES). Il est présidé par Pié Traoré, Sergent-chef à la retraite et natif de Kourinion. Cet ancien militaire de l’armée burkinabè dit avoir accueilli avecentrain l’expropriation du site Guénako par l’Etat.

Au CBA, il n’a que des mots de remerciement, d’autant plus que son assistance a permis d’assurer les charges d’entretien d’une partie du verger. Mais vu l’ampleur du travail qui reste à faire, il continue de tendre la main aux personnes de bonnes volontés. « Pour le moment, nous n’avons pas de budget de fonctionnementalors que nous devons payer, par exemple, les ouvriers qui taillent les arbres», déplore Pié Traoré. Sur la superficie totale de 500 ha, plus de 400 hasont occupés par des anacardiers.

Au niveau du flanc-sud de la ferme, un terrainnuempiète sur le verger d’anacardiers. Cette partie est dédiéeà la production vivrière. Elle s’étale sur80 ha. On y pratique aussi le maraîchage en saison sèche. Ce site est cloisonné en plusieurs blocs, séparés les uns des autres par des haies d’eucalyptus.A l’intérieur des champs, les tracteurs de « IB » (surnom affectueusement donné au président du Faso, Ibrahim Traoré, par la population) ont accompli leur travail. Les champs sontlabourés gratuitement au profit des producteurs. Il ne reste qu’à semer.Les exploitants en sont fiers.

Aïcha Coulibaly a emblavé du niébé dans son champ.

On en dénombre 49 dont 29 femmes. Téné Traoré est l’une d’elles. Elle a emblavé1 ha de maïs. Le pagnesolidement noué autour des reins, elle ne veut pas s’éloigner de sa ferme. Le délai prescrit pour appliquer l’engrais est dépassé. L’attente de ses fertilisants se prolonge. La productrice garde cependant le moral. Elle est séduite par la générosité des autorités. Labourer le champ d’un paysan gratuitement ? Elle est visiblement dépassée car ce ne sont pas des choses courantes.

Comme Mme Traoré, Aïcha Coulibaly y est installée depuis 2021 avec son époux. Son champ s’étend sur 1,5 ha. Elle vient de semer le niébé. Toute joyeuse, elle loue les actions des autoritésactuelles qui ontfacilité le retour despopulations sur leurs terres. « J’ai été agréablement surprise de voir les tracteurs entrer en action dans nos champs», s’exclame-t-elle. Les spéculations autorisées sont celles qui garantissent au mieux la fertilité des sols. La population veut certes des terres cultivables. Mais préserver leur fertilité est un autre combat. « La production du bissap est proscrite parce qu’il appauvrit les sols », révèle Drissa Traoré. Mme Coulibaly exhorte de son côté les autorités à livrer les intrants dans des délais raisonnables. 

Des travaux d’intérêt commun institués

Le DR en charge de l’agriculture des Hauts-Bassins, Eric Pascal Adanabou, conseille aux producteurs de persévérer.

Le sitede Guénakoestà cheval entre trois villages que sont Sigdi, Dan et Kourinion. Si chaque producteur vivrier est maître de son destin, la situation est tout autre au niveau de l’entretien du verger.Il s’agit d’un travail collectif. La communauté a alors convenu d’instaurer une journée de travaux d’intérêt commun. Les activitésont lieu chaque dimanche.« Ce n’est pas facile de mobiliser les producteurspendant la saison pluvieuse. Souvent, nous sommes vingt ou trente mais nous faisons avec», assure Pié Traoré.

Raphaël Bado est un agent technique d’agriculture. Il est chargé d’encadrer les producteurs. Depuis sonarrivée sur le site en mars dernier, les lignes bougent. Avec son collègue, ilsont ensemble réussi à organiser les producteurs, à mettre sur pied un périmètre maraîcher, à réceptionner le matériel agricole. Ils ont en outre bénéficié de formations sur divers modules,notamment les techniques de taille des arbres, l’entretien et la création d’un verger.

Le président du COGES, Pié Traoré, à propos des travaux d’intérêt commun : « Ce n’est pas facile de mobiliser la population pendant la campagne humide ».

Aux producteurs, ils ont restitué les connaissances apprises avant de lancer les activitéssur le terrain. Le plus heureux de cette reprise du site de Guénako est sans doute Drissa Traoré, le chef coutumier qui s’est battu contre vents et marées pour que ce domaine revienne à la population.Confier l’exploitation des vergers à la communauté et non à des individus est, de son avis, unetrès bonne approche. Et pour cause ? Cela évite, dit-il, les conflits. « C’est la meilleure formule », lance-t-il, en sus. Eric Pascal Adanabou suit de près les activités qui se mènent sur le site de Guénako.

Jusque-là, la cohésion entre les exploitants est de mise et il s’en félicite. Le potentiel,à ses yeux, est énorme. Il est donc inimaginable, selon lui,de laisser ce site à lui-même. « On est content que cela soit passé en Conseil des ministres et que le site soit retiré et rétrocédé aux populations locales pour exploitation », se réjouit-il. L’expropriation du site a en outre suscité une sorte d’euphorie au sein de la population.

Raphaël Bado, encadreur agricole, dit apporter aux producteurs l’accompagnement dont ils ont besoin

« Dès que la décision a été prise, c’était la joie chez les populations qui n’y croyaient plus », fait remarquer Eric Pascal adanabou. La direction régionale de l’agriculture envisage avec le concours de tous les acteurs impliqués dans ce dossier,d’asseoir des coopératives qui puissent exploiter de manière efficace et efficiente le site. L’exploitation des vergers va générer des revenus.Comment se fera la gestion ? « Il appartient à la communauté de s’organiser pour gérer ses revenus», conseille M. Adanabou.C’est aussi la conviction du président du COGES qui déclare : « les membres du bureau se concerteront au moment opportun pour décider de la conduite à tenir», tranche Pié Traoré. 

Ouamtinga Michel ILBOUDO

omichel20@gmail.com


Les vestiges de Flex-Faso

La société Flex-Fasoa certes disparu mais ses vestiges restent. Ils sont composés de plusieurs infrastructures construites depuis 1979. En dépit des intempéries, ellestiennent toujours sur pied. C’est le cas de la résidence du promoteur, un certain François Jean Louis, expatrié français. Les portes, les fenêtres et les tôles du bâtiment se sont envolées. La charpente reste cependant intacte. Il en est de même pour la peinture. On retrouve également d’autres types d’infrastructures comme le garage, le magasin, les latrines, la cuisine et la piscine. La piscine, elle, taillée au bord du fleuve Guénako, n’a rien perdu de sa superbe. Les villageois avaient essayé de l’utiliser pour pratiquer la pisciculture. Contre toute attente, ils se sont raviséssous le prétexte que l’infrastructure n’est pas adaptée à leur activité. La relance des activités sur le site étant actée, il importe de songer à la réhabilitation de ces infrastructures qui, aussi vieilles soient-elles, sont toujours utiles. Les occupants du site ne diront pas le contraire, eux qui rangent leur matériel au garage ou dans le magasin. 

O.M.I


Des paysans dupés

C’est en 1976 que le gouvernement voltaïque à travers le ministère du Développement rural de l’époque, a initié le Projet de développement des cultures fruitières encore appelé « projet fruitier ». Il était destiné à booster la production et l’exportation des produits fruitiers. Dix ans plus tard, l’Etat décide de privatiser le projet. La société Flex-Faso, née de la fusion entre le « Projet fruitier » initié par l’Etat burkinabè et le projet anacarde, a été portée sur les fonds baptismaux où l’Etat reste actionnaire minoritaire. Dans les années 90, à la faveur du programme d’ajustement structurel, ces fermes d’une superficie de 500 hectares ont été cédées à une certaine société dénommée UPAK derrière laquelle se cache François Compaoré, surnommé le « petit président ». Au départ, les populations ont été convaincues qu’il s’agit d’un projet de développement communautaire à leur profit. C’est ce qui les a poussés à céder volontairement les vastes superficies avec la certitudequ’à la fin du projet, leurs terres leur reviendraient. Ce fut une grande désillusion. N’eût été la clairvoyance des autorités actuelles, aucune lueur d’espoir sur la restitution de ces terres ne pointait à l’horizon. Pour la restauration de ce site, la balle est désormais dans leur camp.

O.M.I


La tradition, un ferment de la société

La campagne humide bat son plein à Kourinion. Cependant, les producteurs ne sont pas partis dans leurs fermes. Ils sont en train de célébrer une fête coutumière, celle des semailles. Elle se déroule pendant trois jours, période au cours de laquelle il est interdit de mener des travaux champêtres. Cette règle établie depuis la nuit des temps est scrupuleusement respectée. Les contrevenants subissent la colère des dieux. Les habitants, craignant pour leurs vies, se sont vite conformés à ces principes. Dans les ménages par contre, c’est la joie. Le dolo se fait respecter par les buveurs invétérés. Les visiteurs sont priés de se joindre à la fête. Ils ne se priveront pas, en tout cas, de cette boisson locale qui éveille en eux, de vieux souvenirs du village. C’est très bon, avec un goût naturel. La tradition reste avant tout un ferment de la société tant qu’elle continuera de prôner des valeurs qui transcendent des générations.

O.M.I