
De nos jours, certaines espèces ligneuses locales se font de plus en plus rares dans la brousse. Menacées de toutes parts par les actions anthropiques néfastes et le changement climatique, elles requièrent une protection particulière. Dans la province du Ziro, de bonnes volontés ont opté de les reproduire et de les planter afin d’éviter leur disparition totale.
Au domicile de Boubou Nama dit Abou, sis au secteur 1 de Sapouy, province du Ziro, différentes espèces ligneuses se disputent l’espace. A vue d’œil, on se croirait dans une forêt. Des arbres, il y en a à profusion. Des espèces locales comme exotiques. Une bonne partie de la cour est occupée par des pépinières de ces végétaux en pleine croissance. L’accent est surtout mis sur les essences locales. Et pas n’importe lesquelles. Ficus sur (wom sèèga en langue mooré), Sclerocarya birrea (marula, nobga en mooré), Sarcocephalus latifolius (pêcher africain, gouinga en mooré), Securidaca longipedunculata (arbre à serpent, pelga en mooré), Afzelia africana (Lingué, kankalga en mooré), Faidherbia albida (zaanga en mooré), Adansonia digitata (baobab), Parkia biglobosa (néré), etc. sont les plantes produites en pépinière. M. Nama, la soixantaine, dit avoir jeté son dévolu sur ces espèces végétales parce qu’elles sont menacées de disparition dans le Ziro.

« On peut parcourir des kilomètres dans les environs de Sapouy, sans rencontrer ces arbres », affirme celui qui évolue également dans la médecine traditionnelle. D’où sa décision de les reproduire en pépinière et de les planter. Selon ses explications, son amour pour les plantes est lié à son métier de tradipraticien qu’il exerce depuis 1983, un héritage de son défunt père. Les produits de la pharmacopée étant prélevés directement sur les arbres, il avoue constater une disparition progressive de ces espèces.
L’inquiétude pour lui est que nombre de personnes viennent chercher ces produits dans sa province parce qu’elle regorge d’importantes formations végétales. Cependant, Abou Nama dénonce les pratiques de certains de ses collègues tradipraticiens qui sont de nature à dégrader les ressources forestières. « Il y en a qui ignorent la valeur des arbres. On n’a pas besoin de prélever leurs racines ou écorces dans le cadre de la pharmacopée, puisque c’est la même sève qui coule partout dans la plante. C’est l’ignorance qui entraine cela, sinon ces genres de prélèvement peuvent tuer les arbres », déplore-t-il.
Des techniques de prélèvement non respectées
Selon M. Nama, les feuilles et les branches sont largement suffisantes pour soigner les différents maux. Ses propos sont corroborés par le chef de service provincial des forêts et de la faune du Ziro, le lieutenant des Eaux et forêts Eric Joachin Nikiéma, pour qui, la médecine traditionnelle constitue l’une des causes anthropiques de la dégradation des espèces végétales dans sa zone, car beaucoup l’exercent de façon informelle. « Les techniques de prélèvement ne sont pas respectées. Il y en a qui déterrent toutes les racines de l’arbre, conduisant ainsi à sa mort.

Il y a aussi le prélèvement abusif des écorces. L’écorce est comme la peau de l’homme. Si on l’agresse, il y aura des infections, puisque les outils utilisés ne sont pas stérilisés », explique-t-il. Outre ces actions néfastes, M. Nikiéma mentionne d’autres causes non moins importantes qui menacent la survie des espèces locales. Parmi celles-ci, le front agricole qui prend de nos jours des proportions inquiétantes. A l’écouter, la course effrénée vers les terres agricoles dans la province fait que le peu d’arbres disponible n’est plus préservé lors des défrichements. « L’utilisation des pesticides non homologués nuit aussi aux espèces végétales. Le Ziro n’étant pas loin du Ghana, l’on enregistre une entrée massive de ces pesticides », souligne le lieutenant des Eaux et forêts.
A cela, s’ajoutent les causes naturelles qui concourent également à dégrader les ressources de la forêt. Il s’agit, entre autres, du réchauffement climatique et des sécheresses. « Cette année par exemple, il y a eu la hausse des températures et certaines espèces ne supportent pas cela », fait remarquer M. Nikiéma. A l’entendre, les vertus des plantes ne sont plus à démontrer. Ces bienfaits, il les classe en biens (fruits, bois, produits médicamenteux…) et services écosystémiques (maintien du sol, séquestration du carbone, régulation du climat…).
C’est pourquoi, son service n’hésite pas à accompagner des bonnes volontés dans la multiplication et la mise en terre de certains arbres en voie ou menacés de disparition. Abou Nama fait partie des personnes bénéficiaires de ces appuis techniques et matériels. Il a déjà reçu du ministère en charge de l’environnement, à travers la direction générale de l’économie verte et du changement climatique, du grillage, des poteaux de fixation et d’angle, des portes, des pelles, des pioches, des tendeurs…, pour l’entretien de sa ferme. Détenteur d’un site de trois hectares (ha) destiné aux activités agrosylvopastorales et situé à la périphérie-nord de Sapouy, c’est en ce lieu qu’il compte planter sa pépinière d’arbres.

Ledit terrain est déjà peuplé de végétaux qui se font rares, à l’image de Sarcocephalus latifolius (gouinga, en mooré), Afzelia africana (Lingué, kankalga en mooré) et Cassia sieberiana (koumbrisaka en mooré). Toutefois, l’absence de clôture sur le site expose les espèces à toutes sortes d’agressions de la part des humains et des animaux. « J’ai planté environ 4 000 pieds de dattiers du désert (Balanites aegyptiaca) pour délimiter le terrain mais les animaux les ont tous broutés », se désole Abou. Les humains aussi ont laissé leurs traces sur le site. Entouré au départ par des champs uniquement, il est de nos jours ceint par des habitats spontanés dont certains ont empiété ses limites. Les arbres tels que Sarcocephalus latifolius, le néré et le karité ont vu leur tronc tailladé par des individus en quête d’écorces.
11 400 pieds de baobab à planter
De quoi donner des sueurs froides à M. Nama qui s’inquiète déjà pour la survie des arbres qu’il s’apprête à planter. Malgré tout, se convainc-t-il, ces violations ne peuvent émousser sa détermination à sauver les espèces menacées de disparition. Un projet de 12 millions F CFA a été monté à cet effet et le tradipraticien n’attend que sa concrétisation. Autre site, même engagement. Sur les berges du barrage, au secteur 4 de Sapouy, des merveilles se laissent admirer sur un espace maraicher de 5 ha. Au milieu des parcelles de légumes, des pieds de baobab s’épanouissent bien.
Certains sont âgés d’environ cinq ans, d’autres toujours en pépinière. Ce site est exploité depuis près d’une quarantaine d’années par les femmes de la coopérative Nekenedouan (union, en langue nuni) pour la production maraichère. Mais depuis quelques années, elles ont décidé d’ajouter une autre corde à leur arc, en plantant des baobabs et du moringa. « Nous avons opté de planter le baobab parce qu’on n’en trouve plus dans les environs. Il est bénéfique pour nous, car nous utilisons une partie des feuilles pour préparer la sauce et nous vendons l’autre pour renflouer notre caisse », confie la présidente de la coopérative, Katianmoin Bénao.

Des bonnes volontés accompagnent les dames dans leurs activités de reboisement. L’Association promo monde rural (APMR) en fait partie. Selon son chargé de projet, Moussa Komboïgo, les femmes ont été dotées de semences de baobab et de 300 pots pour réaliser la pépinière. Ce choix, informe-t-il, fait suite aux recommandations des spécialistes de l’environnement qui indiquent que cette espèce est menacée de disparition. « Cette année, nous avons formé 19 pépiniéristes issus des communes de Sapouy, Cassou, Bakata et Gao. Ensuite, chaque pépiniériste a reçu 600 pots et des semences de baobab. L’objectif étant de reboiser dans les forêts du Ziro », révèle M. Komboïgo.
Après une tournée de suivi des travaux, l’animatrice de ladite association, Brigitte Naon/Bonkoungou, affirme sa satisfaction. Elle espère avoir 11 400 pieds d’arbres d’ici à la campagne prochaine. Du côté de la coopérative Nekenedouan, forte d’environ 150 membres, l’engouement autour de l’entretien des arbres est perceptible mais le véritable souci demeure l’insuffisance d’eau en saison sèche. « Nous sollicitons la réalisation d’autres forages pour nous permettre d’avoir l’eau en toute saison. En outre, nous avons besoin de plus d’espace pour planter d’autres arbres comme le karité, sinon 5 ha pour 150 personnes, c’est insuffisant », plaide Martine Zoyinga, secrétaire adjointe de la coopérative.
Boubou Nama exhorte surtout les tradipraticiens à planter les espèces dont ils ont besoin. Aux agriculteurs, il les supplie de préserver les arbres locaux existant dans leurs champs au lieu de les détruire pour les remplacer par ceux fruitiers uniquement. C’est également le vœu du lieutenant des Eaux et forêts Eric Joachin Nikiéma qui rappelle que le code de l’environnement punit les manquements liés à la dégradation des ressources forestières. Mais, pour l’instant, souligne-t-il, son service mise beaucoup sur la sensibilisation et l’accompagnement.
Mady KABRE
dykabre@yahoo.fr
Les espèces ligneuses menacées
Selon le chef de service provincial des forêts et de la faune du Ziro, Eric Joachin Nikiéma, les espèces ligneuses menacées sont classées en plusieurs catégories. Ce sont :
-les espèces en voie de disparition : Celtis integrifolia (Micocoulier africain), Adenium obesum (baobab des chacals) ;
-celles menacées de disparition : Acacia senegal (gommier), Dalbbergia melanoxylon (ébénier), Pterocarpus lucens (vène), Vitex doniana (prunier noir, andga en mooré), Ximenia americana (citronnier de mer, lènga en mooré) ;
-celles considérées comme vulnérables : Adansonia digitata (baobab), Bombax costatum (kapokier à fleurs rouges), Ceiba pentandra (fromager), Anogeissus leiocarpus (Bouleau d’Afrique, siiga en mooré), Khaya senegalensis (caïlcedrat), Prosopis africana (prosopis), Parkia biglobosa (néré), Vitellaria paradoxa (karité).
M.K.
