Production du soja dans la Sissili: plaidoyer pour une harmonisation des prix

Pour la campagne écoulée, 28 142 tonnes de soja ont été produites dans la Sissili.

Dans la Sissili, le soja occupe, ces dernières années, une place de choix dans les productions agricoles. Il se hisse au deuxième rang après le maïs en termes de spéculations les plus produites. Malgré ces performances, le secteur souffre toujours d’un manque d’organisation des acteurs. Sur le terrain, l’absence de ventes groupées et d’harmonisation des prix préoccupent les producteurs. Leur vœu : la fixation d’un prix plancher du soja, à l’image du maïs ou du sésame.

Ce 13 novembre 2024, Yacouba Nignan est au four et au moulin dans son champ de céréales, sis à Sanga, village relevant de la commune de Léo, province de la Sissili. Ce matin, la récolte du maïs est à l’honneur. Juste à côté, une « montagne » de tiges, semblable à du foin, attire l’attention. Il s’agit d’un tas de soja non encore égrené.Les tiges ont été fauchées et entreposées depuis trois semaines en attendant l’arrivée d’une égreneuse. M. Nignan produit cette légumineuse sans discontinuer depuis 2016, sur des superficies qui varient entre six et huit hectares (ha).

Ses rendements, eux, oscillent entre 900 kilogrammes (kg) et une tonne (t) à l’hectare. Pour la présente campagne, il en a emblavé 6 ha avec notamment deux variétés, à savoir la TGX et la G 196. Yacouba dit avoir mis l’accent sur la première variété au détriment de la seconde qui, à maturité, voit ses gousses s’éclater, laissant ainsi les graines s’éparpiller au sol. « Je produis le maïs sur 30 ha et le sésame sur 12 ha. Le manque de main-d’œuvre fait que je ne peux pas récolter le soja à temps. C’est pourquoi, je préfère la variété TGX dont les gousses restent intactes même quand les tiges tombent », justifie-t-il.

Plus de 28 200 ha de soja ont été emblavés dans la Sissili pour la campagne 2023-2024.

A la fin de la récolte, Yacouba Nignan compte engranger environ deux millions F CFA au cas où le marché se porterait bien. Puisque pour le moment, il ne sait pas à quel prix son soja sera acheté. Mais du côté du rendement, il ne se fait pas de doutes, car les pluies ont été abondantes et les gousses présentent une très bonne physionomie. Partant de ce constat, le producteur estime qu’il gagnera au moins une tonne à l’hectare, voire plus, soit 6t au minimum. En outre, révèle-t-il, son champ de soja a été enrichi avec des fertilisants naturels, contribuant à booster davantage les rendements.

M. Nignan explique avoir jeté son dévolu sur le soja à cause de ses multiples avantages. Pour lui, cette légumineuse est utilisée pour la consommation humaine et animale ainsi que pour la fertilisation du sol. Outre cela, le soja procure des revenus substantiels aux producteurs.

A Yelbouga, dans la commune de Biéha, Boukary Nébié s’illustre aussi bien dans la production du soja depuis 2015. Chaque année, il emblave 6 ha de soja mais exceptionnellement pour la présente campagne agricole, il en a 4.
Cette baisse de superficie est due, selon lui, à quelques difficultés rencontrées en début de saison lors des semis. Au milieu de son champ, situé à la périphérie du village, M. Nébié a entassé son soja en attendant le moment propice pour l’égrener. Jeudi 14 novembre est le jour choisi pour ce travail. Auparavant, il était sur d’autres fronts, notamment la récolte du sésame et du maïs.

Des emblavures en hausse

Pour Yacouba Nignan, la faible organisation des producteurs de soja impacte négativement le marché.

Avec la seule variété de soja produite, la G 197, il espère engranger plus d’une tonne à l’hectare. L’autre paire de manches pour lui actuellement reste le marché. L’an passé, indique-t-il, un partenaire a acheté son soja à 325 F CFA le kilogramme. « Mais cette année, je n’ai aucune nouvelle d’abord », s’inquiète M. Nébié. Malgré tout, il espère faire de bonnes affaires.

Du côté de la commune de Tô, précisément dans le village de Métio, Souleymane Zizien est un cas d’école. Propriétaire d’une ferme de plus de 80 ha dans laquelle se disputent plusieurs cultures, il y a consacré plus de 7 ha au soja. Grâce à la fumure organique qu’il applique, il peut récolter entre une et deux tonnes à l’hectare. Dans son exploitation, ce 15 novembre, M. Zizien a d’autres chats à fouetter.

Il s’active pour la récolte du maïs et du sésame qui s’étendent toujours à perte de vue. Le soja, lui, attend son tour, faute de main-d’œuvre. La majorité des tiges jonche le sol mais Souleymane n’a aucune crainte, puisqu’il n’utilise pas la variété G 196. Son aventure avec le soja a commencé il y a sept ans de cela, à l’entendre.

« Je me suis lancé dans cette production, parce que le soja est bénéfique. On l’utilise pour faire du couscous, des brochettes, de l’huile, du lait, de l’aliment pour les animaux, etc. En plus de contribuer à restaurer les sols, il nous permet d’avoir de l’argent », se réjouit Souleymane, alias Solo pour les intimes. Seulement, le marché demeure encore incertain pour lui.

Boukary Nébié, producteur à Yelbouga : « cette année, nous comptons élever le prix du soja à 450 F CFA le kilogramme ».

A l’image de Yacouba Nignan, de Boukary Nébié et de Souleymane Zizien, ils sont nombreux les producteurs qui s’intéressent de plus en plus à la filière soja dans la Sissili. Cette culture de rente semble avoir le vent en poupe dans la province. A écouter le Directeur provincial (DP)de l’Agriculture, des Ressources animales et halieutiques de la Sissili, Yaya Tabouré, avec une production en hausse, le soja occupe depuis quelques années la deuxième place après le maïs en termes de spéculations les plus cultivées dans la province.

A titre illustratif, renseigne-t-il, les emblavures du soja pour la campagne agricole 2022-2023 dans la région du Centre-Ouest étaient de 21 544 ha dont 20 919 pour la seule province de la Sissili. Ces superficies ont connu une ascension fulgurante à la campagne 2023-2024, pour se hisser à 29 196 ha pour la région dont 28 248 pour la Sissili. Soit une hausse de 7 329 ha de soja emblavés en l’espace d’une année pour ladite province. Concernant le rendement moyen, le DP souligne qu’il se situe autour de 1,5t/ha.

Des statistiques qui témoignent de l’engouement et de l’intérêt des producteurs pour cette culture de rente. Une admiration somme toute légitime, d’autant plus qu’à entendre M. Tabouré, nonobstant ses multiples avantages, la production du soja n’est pas trop contraignante. « Le soja n’exige pas trop d’entretien comme les autres spéculations. Il n’a pas besoin de beaucoup de fertilisants.

Comme c’est une légumineuse, il contribue à fixer l’azote qui enrichit le sol. C’est pourquoi, il est conseillé dans la rotation culturale pour régénérer le sol », fait-il savoir. Aussi, avance-t-il, le soja est très riche en protéines végétales qui constituent des nutriments essentiels au bon fonctionnement de l’organisme. Il intervient également dans l’alimentation du bétail et de la volaille, selon ses dires.

Des prix en dents de scie

Le rêve du président du groupement Nimarozan de Biéha, Ayouba Nacro, est de voir un jour le prix du soja se stabiliser.

Si les producteurs du soja arrivent à engranger de bons rendements, cela n’est pas le cas au niveau de l’écoulement où les achats se font toujours bord-champ. Le prix, lui, évolue en dents de scie. 250, 225, 300, 175, 410, 290 F CFA…, tels sont les différents prix du kilogramme de soja proposés au marché de Léo. Yacouba Nignan déplore le fait qu’on ne fixe pas un prix plancher pour le soja, à l’image du sésame ou du coton.

« Le gros problème pour nous, c’est le marché. Il y a quelques jours, le sac de 120kg de soja était à 50 mille F CFA à Léo, soit 415 F CFA le kilogramme. Et brusquement, ce prix a chuté à 35 mille F CFA le même sac, soit 290 F CFA le kilogramme actuellement », explique-t-il, médusé. Même son de cloche chez Boukary Nébié qui regrette cette absence d’harmonisation des prix du soja sur le marché.

A cette allure, dénonce-t-il, c’est le commerçant qui s’en tire à bon compte en dictant son prix. Il fait savoir que depuis trois ans, il a noué un partenariat avec un client fixe basé à Bobo-Dioulasso qui achète son soja. Là également, le prix n’est pas stable. « Au début, j’ai vendu le kilogramme à 245 F CFA mais l’an passé, il est monté à 325 F CFA », mentionne M. Nébié. D’autres producteurs, ne voulant pas trop se tracasser, préfèrent écouler leur soja sur place, dans les marchés de leurs villages. Pas par kilogramme, mais par plat, communément appelé yoruba.

A la mi-novembre 2024, cette assiettée de soja se négociait à 750 F CFA, soit à 35 000 F CFA le sac de 120kg. Ce prix n’est pas non plus fixe. Habitants de Biéha, à environ 35 km de Léo, Aziz Nacro et Marou Nessao font partie des producteurs qui utilisent le plat yoruba comme unité de mesure. Ils avouent que c’est à contrecœur qu’ils le font, sinon ils reconnaissent que cette méthode de vente n’est pas bénéfique. « Je n’accepte jamais vendre mon soja par plat. Comme il n’est pas périssable, je le conserve en cas de mévente », réplique Boukary Nébié de Yelbouga.

Souleymane Zizien, producteur à Métio, souhaite avoir du matériel de labour et de post-récolte pour booster ses rendements de soja.

Dans le volet commercialisation, les producteurs de soja affirment avoir encore du chemin à faire. Malgré leur affiliation à des coopératives, ils n’arrivent toujours pas à parler le même langage pour s’imposer sur le marché. Les ventes continuent de se faire individuellement, au grand bonheur des commerçants. « Avant, il y avait deux structures qui achetaient le soja à Léo. Mais entre-temps, elles ont pris le soja des producteurs et ne sont plus revenues.

Cette amère expérience fait que les producteurs n’ont plus confiance à personne. Chacun préfère aller vendre son soja, prendre son argent sur-le-champ et être quitte », rappelle Yacouba Nignan, pour justifier la réticence des producteurs à aller vers des ventes groupées. Il confie que d’autres ont même jeté l’éponge au profit du sésame à cause de l’instabilité du prix du soja, qui parfois peut chuter jusqu’à 150 F CFA le kilogramme.

Pour sa part, le DP Tabouré reste convaincu que les producteurs peuvent être organisés de sorte à ce qu’on ait un prix plancher pour le soja. Car, selon lui, les bases sont déjà jetées. « En 2023, avec l’appui de la direction générale de la promotion de l’économie rurale, nous avons mis en place une plateforme d’innovation soja dans la Sissili qui regroupe plusieurs acteurs, à savoir les producteurs, les transformateurs, les commerçants et les consommateurs. A travers cela, on peut mieux les organiser », souligne-t-il.

Garder coûte que coûte sa place de leader

Outre le souci du marché, les producteurs du soja de la Sissili disent être confrontés à d’autres difficultés qui plombent le développement du secteur. La mauvaise qualité des semences et le manque de matériel de récolte et de post-récolte sont pointés du doigt. Parce qu’ils achètent les semences sur le marché ou les prélèvent directement dans leurs récoltes, certains producteurs ont dû semer plusieurs fois le soja. D’autres ont carrément abandonné et opté pour d’autres spéculations.

Marou Nessao de Biéha en a fait l’amère expérience, parce qu’il est tombé sur des semences de mauvaise qualité achetées sur le marché local. Cette situation, couplée à la rareté de la main-d’œuvre et au manque d’équipement, l’a contraint à réduire sa superficie

Selon le DP en charge de l’agriculture de la Sissili, Yaya Tabouré, la production du soja dans sa province va crescendo.

de soja de six à un hectare cette année. Ayouba Nacro, président du groupement Nimarozan (l’union fait la force, en langue nuni) de Biéha, est également dans la même logique. De 4 ha l’an passé, il a réduit sa superficie de soja à deux pour la présente campagne.

Les poches de sécheresse en début de campagne, le paiement de la main-d’œuvre à 20 000 F CFA l’hectare, la fluctuation des prix et le manque d’égreneuse sont, entre autres, les contraintes qui obligent M. Nacro à revoir à la baisse la superficie du soja.
« Dans notre zone, il n’y a qu’une seule égreneuse et sa prestation se paie en nature. Sur dix sacs de 100 kg de soja égrené, un revient au propriétaire de la machine. Malgré tout, on patiente pendant longtemps avant de l’avoir, car la demande est forte », soupire-t-il.
A ce niveau, Boukary Nignan de Yelbouga semble se frotter les mains. Propriétaire d’une égreneuse, il confie que ses prestations lui ont valu 38 sacs de soja l’année passée.

Le cri de cœur des producteurs n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Leurs préoccupations sont prises à bras-le-corps par les autorités en charge de l’agriculture de la Sissili. « Comme c’est une filière en plein essor, nous allons développer des initiatives pour accompagner les acteurs dans le domaine de l’égrenage et aussi de la transformation », rassure le DP Yaya Tabouré. En outre, renchérit-il, les appuis de sa direction en intrants et équipements à l’endroit des producteurs vont se renforcer afin que la Sissili garde sa place de leader dans la culture du soja au Centre-Ouest.

Mady KABRE
dykabre@yahoo.fr