Production de l’igname dans la Sissili : une filière en difficulté

Dans la Sissili, la production de l’igname est en nette baisse.

La filière igname dans la Sissili ne se porte pas à merveille. La production de ce tubercule qui faisait la renommée et la fierté de la province est en déclin ces cinq dernières années. Conscients de cette contre-performance, les acteurs s’activent à redonner un coup d’accélérateur à la production de cette spéculation mais les défis restent énormes. Constat

Dans  la  ferme  agricole  de Yacouba  Nignan,  à  Sanga dans  la  commune  de  Léo, province de la Sissili, l’heure est à la moisson  en  ce  début  de  novembre 2024.    Plusieurs  spéculations s’étendent à perte de vue. 30 hectares (ha) de maïs, 12 de sésame, 6 de soja, etc. L’igname, elle, occupe une petite portion  de  0,25  ha.  Muni  de  sa
pioche, M. Nignan inspecte quelques buttes, les  débarrasse  de leurs tiges grimpantes et donne des coups secs dans la terre. Au fur et à mesure, des tubercules  se  dévoilent  au  grand bonheur du producteur. Cette récolte, selon  ses  dires,  est  destinée
uniquement  à  la  consommation familiale. Depuis  quelques  années, Yacouba  Nignan  a  préféré  mettre l’accent sur les nouvelles cultures de rente et les céréales. Pourtant, révèle￾t-il,  il  faisait  partie  des  grands producteurs d’igname de la localité, avec des superficies avoisinant deux hectares.

Ce revirement de situation est dû, selon lui, au manque d’espace de cultures et à la pauvreté des sols qui  ne  favorisent  pas  une  bonne production de l’igname.
A Biéha, à environ 35 kilomètres de Léo,  quelques  individus  s’activent également  dans  la  production  de l’igname.  Ils  s’investissent  ainsi  à perpétuer  une  tradition  léguée  par leurs parents, à en croire leurs propos. Car, mentionnent-ils, la production de
l’igname  est  culturelle  dans  la communauté gourounsi de la Sissili.

Marou  Nessao  est  de  ceux-là.  Il dispose d’un champ d’igname d’une superficie de 0,5 ha. D’habitude, il est à  un  hectare. Cette  baisse, à l’entendre,  est  consécutive  à l’appauvrissement continu des sols. Il soutient que dans sa localité, l’igname se cultivait sur de nouvelles défriches et de façon itinérante. De nos jours, reconnait-il,  le  manque  de  forêt compromet cette  pratique. « Quand on produit l’igname sur les anciennes
terres,  les  herbes  envahissent  les buttes. Ce qui n’est pas le cas sur une nouvelle défriche. On ne peut pas non plus  utiliser  les  herbicides  parce qu’ils ne sont pas compatibles avec l’igname  »,  explique  M.  Nessao, avant  d’indiquer  que  ses tubercules
sont  destinés  en  priorité  à  la consommation de sa famille.

Baisse de rendements

Au marché de Léo, il est difficile de trouver de gros tas de l’igname produite dans la localité.

A l’image de ces deux producteurs, ils  sont  nombreux  dans  la  Sissili  à
avoir  réduit  au  strict  minimum  la culture de l’igname. Seuls quelques￾uns essaient toujours de maintenir le cap  en  travaillant  à  satisfaire  le marché  burkinabè.  C’est  le  cas  de Anas  Yago  qui,  depuis  25  ans environ,  s’inscrit  dans  cette dynamique. Agriculteur modèle basé au secteur 5 de Léo, il indique avoir interrompu la production de l’igname une  seule  fois  durant  toutes  ces années  et  ce,  pour  des  raisons  de
santé. A son niveau également, l’on enregistre  une  baisse  de  superficie
pour ce tubercule. De 2 à 2,5 ha les années  antérieures,  il  en  a  un  pour
cette  campagne  2024.  M.  Yago impute  la  responsabilité  de  cette
contre-performance  à  plusieurs facteurs. Sa ferme étant contigüe au
marché de bétail de Léo, il dit subir en permanence des dégâts d’animaux, sans  oublier  les  vols  de  ses tubercules.

Il  note  en  outre  que les conditions climatiques sont de plus en plus  défavorables  à  une  meilleure production de l’igname, notamment l’irrégularité  et  la  mauvaise
répartition  des  pluies.  Anas  Yago n’occulte pas non plus la faiblesse des
rendements et du prix de l’igname qui contribuent aussi à la réduction de sa
production.  «  Avant,  je  pouvais obtenir  60  tonnes  (t)  d’igname  à l’hectare,  tubercules-mères  et boutures  confondus.  Mais,  de  nos jours,  je  ne  peux  plus  dépasser  50 tonnes à l’hectare. Il y a aussi les prix qui  ne  sont  pas  stables.  Jusqu’ici,
nous  n’arrivons  pas  à  fixer  un  prix plancher  pour  les  tubercules  en général », déplore-t-il.

Certains  producteurs  évoquent également  la  pénibilité  du  travail
comme  faisant partie des causes du déclin de la production de l’igname
dans la Sissili. Ils citent notamment les  conditions  difficiles  dans
lesquelles se pratique cette culture, à savoir la force des bras utilisée pour
l’élévation des buttes. Alors qu’à les écouter, la main-d’œuvre est rare et
chère. Pour une butte, le producteur doit débourser la somme de 25 F CFA
pour la main-d’œuvre, soit 50 000 F CFA pour 2 000 buttes, l’équivalent
d’un  hectare.  Une  contrainte  qui  a amené Ayouba Nacro,  agriculteur  à
Biéha,  à  revoir  sa  copie.  Grand producteur  d’igname  dans le temps
sur des superficies avoisinant 2 ha, il se retrouve de nos jours avec 0,25 ha,
juste pour nourrir sa famille.

Le soja et le sésame à l’honneur

Au marché de Léo, l’igname ghanéenne est en train de ravir la vedette
à celle burkinabè.

D’autres  ont  préféré  jeter  tout simplement  l’éponge,  en abandonnant totalement la production de  l’igname.  Boukary  Nébié, producteur à Yelbouga, dans la Sissili,
en  fait  partie.  Depuis  une  dizaine d’années,  il  a  tourné  le  dos  à  ce
tubercule  pour  se  consacrer  au sésame,  au  soja  et  aux  cultures vivrières.  Alors  qu’il  produisait l’igname  en  grande  quantité  en compagnie  de  son  géniteur.  Mais, précise-t-il,  sur  de  nouvelles défriches. « Comme il n’y a plus de nouvelles  terres  et  que  nous  ne maîtrisons  pas  la  production  de l’igname  sur  le  même  sol,  nous l’avons  abandonnée  »,  justifie  M. Nébié.  Il  témoigne  avoir  utilisé
l’igname  dans la  rotation  culturale, mais le constat est que les herbes ont envahi  les  buttes,  compromettant ainsi les rendements. « On était obligé d’utiliser les herbicides alors que cela n’est pas conseillé dans la production de  l’igname  »,  mentionne-t-il.  Ne
sachant quoi faire, Boukary Nébié a jeté son dévolu sur les autres cultures
de rente suscitées, moins exigeantes et rentables, selon lui.

Idem pour Aziz Nacro de Biéha qui, après plusieurs échecs, a abdiqué. «
Ce  sont  des  souffrances  inutiles, puisque je ne peux même pas avoir le
retour  sur  investissement  », désespère-t-il. Même le président de l’Union des producteurs de tubercules de  la  Sissili,  Abdoul  Zomakanaté Nébié,  a  cédé  entre  temps  au découragement.  «  J’ai  cessé  de produire  l’igname  depuis  15  ans avant de reprendre cette année sur un demi hectare. En tant que président des  producteurs  de  tubercules,  il fallait  donner  l’exemple  et  motiver les autres à emboîter le pas afin qu’on puisse relancer la filière », déclare-t-il. Tout comme les autres producteurs, le  président  de  l’Union  évoque  le manque  d’espace  et  de  variétés
améliorées,  la  pauvreté  des  sols  et surtout la rareté des tuteurs due à la
dégradation  du  couvert  végétal.

Abdoul Zomakanaté Nébié  soutient que les  producteurs  ont toujours eu des prises de bec avec les forestiers autour  du  prélèvement  des  tuteurs pour  soutenir les tiges  d’igname.  Il fait savoir que ce prélèvement obéit à des  règles  et  est  soumis  à  des
paiements  de  taxes.  «  Pour  3  000 buttes, il faut payer environ 200 000
F  CFA  de  taxes  pour  prélever  les tuteurs. Ce qui n’est pas à la portée de
tous », explique-t-il, avant de rappeler qu’il produisait l’igname avec l’aide
de son père sur une superficie de 4 ha environ.  Après  cette  longue  pause d’une quinzaine d’années, il renoue avec ce tubercule qui, révèle-t-il, est culturel dans sa communauté.

Pour certains producteurs, il n’est pas question d’abandonner
totalement l’igname, parce que sa production est culturelle chez eux.

Des chiffres parlants Beaucoup d’acteurs sont unanimes à reconnaître  que  la  production  de l’igname a nettement baissé dans la Sissili.  Les  chiffres  parlent  d’eux-mêmes. Selon l’Annuaire statistique 2022 de la  région du Centre-Ouest, cette  baisse  est  constatée  sur  la période de 2019 à 2022. En effet, il ressort de ce document que la Sissili a produit 10 453 t d’igname sur 723 ha pour la campagne 2019-2020, 8 566 t sur 554 ha pour 2020-2021 et 2 289 t sur  160  ha  pour  2021-2022.

Le Directeur  provincial  (DP)  de l’Agriculture,  des  ressources animales et halieutiques de la Sissili, Yaya  Tabouré,  confirme  ce  recul d’une  filière  qui  était  pourtant  en
vogue dans sa province. « Je constate que la production de l’igname est de
plus en plus en baisse. En termes de spéculations les plus produites dans la Sissili,  le  maïs  vient  en  première position, suivi du soja et du sésame. L’igname  fait  partie  de  celles  qui occupent  les  derniers  rangs  », affirme-t-il. Toutefois, M. Tabouré dit
ne  pas  être  d’avis  avec  ceux  qui évoquent  le  manque  d’espace  et  la pauvreté des sols comme facteurs du déclin de la production de l’igname. Car,  avance-t-il,  on  peut  surmonter toutes  ces  difficultés  à  travers l’amendement  du  sol  et  la  rotation
culturale. D’ailleurs, renchérit le DP, l’igname ne nécessite pas beaucoup de  fertilisants.

Ses  propos  sont corroborés  par  le  producteur  Anas Yago  pour  qui,  le  manque  de
nouvelles  défriches  reste  de loin le dernier  de  ses  soucis.  Pour  preuve, depuis des années, il produit toujours son igname dans la même ferme et les résultats sont au rendez-vous. C’est plutôt  l’absence  sur  le  marché d’engrais  spécifiques  pour  les tubercules et racines qu’il déplore car, note-t-il, ceux utilisés pour le coton et les céréales ne sont pas admis pour l’igname. En  attendant,  c’est l’igname venue du Ghana voisin qui
profite  pour  envahir  le  marché  de Léo.  Un  tour  dans  ce  lieu  de commerce,  ce  15  novembre  2024, permet  de  faire  ce  constat.  Dans la multitude de tas d’igname proposés aux clients, les tubercules ghanéens se taillent la part du lion.

Le délaissement de l’igname au profit d’autres spéculations pourrait-il faire
perdre  à  la  Sissili  sa  réputation  de province productrice de ce tubercule
dans  le  Centre-Ouest  ?

Nombre d’acteurs pensent que oui, si toutefois rien n’est fait. « Ça risque d’être pire.
L’igname  est  culturelle  chez  nous mais  si  on  n’y  prend  garde,  sa production va disparaître au profit du soja  et  du  sésame  »,  s’alarme  M. Yago.  Pour  sa  part,  le  DP  Tabouré soutient qu’il faut prendre le taureau par  les  cornes  en  dynamisant
davantage la  filière. La  relance  des journées  promotionnelles  des tubercules  ou  fête  de  l’igname apparaît,  à  son  avis,  comme  une panacée.  «  La  fête  de l’igname  qui
donne l’occasion de  réfléchir sur la filière  avait  été  suspendue.  L’an passé,  grâce  à  l’appui  de  quelques partenaires,  nous  avons  pu  relancer l’activité  »,  souligne-t-il,  avant  de déplorer  le  fait  que  l’union  des producteurs ne fonctionne pas bien. Le  président  de  ladite  structure, Abdoul Zomakanaté Nébié,  dit être conscient des goulots d’étranglement qui  plombent  la  filière.  C’est pourquoi,  il  dit  s’engager  avec  son
équipe  à  trouver  des  solutions idoines.  Concernant  les  journées promotionnelles  des  tubercules,  il informe qu’après l’édition de 2025, l’évènement sera désormais biennal.
«  Organiser  la  fête  de  l’igname chaque  année  n’est  pas  aisé,  parce que les financements ne suivent pas. Pour  l’édition  passée,  nous  avons souffert pour mobiliser les partenaires financiers », mentionne M. Nébié.

Diagnostiquer tous les maillons Malgré  tout,  fait-il  remarquer,  la relance  de  cette  activité promotionnelle  commence  à  porter des fruits à travers un regain d’intérêt
pour la production de l’igname dans la  province.  A  entendre  le  DP Tabouré,  la  production  de  la campagne 2023-2024 s’est établie à 7 859 t, sur une superficie de 738 ha. Pour une véritable relance de la filière igname,  les  producteurs  pensent qu’un accompagnement conséquent de l’Etat serait nécessaire. Cet appui, selon le président de

Anas Yago fait partie de ceux qui se battent pour maintenir le flambeau
de la production de l’igname dans la Sissili.

leur union, est relatif  à  des  formations  ou  des recyclages  sur  les  itinéraires techniques  de  production,  à l’acquisition de nouvelles variétés et à des  prêts  bancaires.  A  ce  sujet,  le producteur Anas Yago  informe  que les  chercheurs  ont  déjà  mis  à  leur disposition  une  nouvelle  variété d’igname  dénommée  R3  dont  les
rendements  sont  formidables.  «

Seulement, il faut mettre du soin dans la multiplication de ses boutures, car ce processus est difficile par rapport aux variétés locales », prévient-il. M. Yago  souligne  que  le  véritable problème pour lui se situe au niveau de la vente de l’igname qui s’effectue toujours par unité et par calibrage et non  par  poids.  Sur  ce  point,  il  ne
passe  pas  par  quatre  chemins  pour indexer  les  producteurs  qui  ont  du
mal à s’accorder sur un même prix de vente sur le marché. « Les acteurs ne
parlent pas le même langage. Certains bradent  leurs  produits  et  vivent
toujours  dans  le  misérabilisme.

Pendant  ce  temps,  ce  sont  les commerçants qui en profitent. C’est
pourquoi, j’ai délaissé le marché local pour explorer celui extérieur afin de
jouir  des  fruits  de  mes  efforts  », tranche Anas Yago. Le  comptoir  des  tubercules  érigé depuis  2016  à  Léo  devrait  aussi contribuer  à  juguler  certaines
difficultés, notamment l’harmonisation des  prix  de  l’igname. Malheureusement,  ce  cadre  n’est toujours pas fonctionnel.

Les raisons avancées par l’Union des producteurs sont le manque d’électricité et d’eau dans les locaux. « On avait demandé à  la  mairie  de  nous  aider  avec  ces équipements  mais  jusqu’à  présent, c’est le statu quo. Si ces conditions sont réunies, nous allons sensibiliser les  acteurs  afin  qu’ils  occupent  le comptoir », rétorque le président de l’Union, Abdoul Zomakanaté Nébié. Pour  sa  part, le DP Tabouré  estime que la  filière igname a  besoin  d’un diagnostic complet, à commencer par l’Union  des  producteurs,  pour  voir  ce  qui  ne  va  pas.  «  Il  faut ausculter tous les maillons, à savoir la production,  la  transformation  et  la commercialisation  afin  d’y  trouver des remèdes », lance-t-il.

Mady KABRE
dykabre@yahoo.fr