Dans le Kénédougou, émergent de nombreuses forêts villageoises, présentées comme de véritables sanctuaires de la biodiversité végétale. Elles sont une solution palliative à la déforestation que connait cette partie du territoire. Grâce à ces massifs forestiers, des espèces menacées ou en voie de disparition refont progressivement surface. Des pratiques coutumières, dépendantes des forêts et des plantes, y trouvent également leur compte. Immersion dans les forêts villageoises de Guéna dans la commune rurale de Kourinion et de Tin dans la commune de Orodara.
Au bord du tronçon déglingué reliant Bobo-Dioulasso à Orodara s’étend un tapis végétal et pas n’importe lequel. Il s’agit de la forêt villageoise de Guéna dans la commune rurale de Kourinion, province du Kénédougou. Elle s’illustre par la diversité des espèces végétales qui la peuplent. Un cours d’eau appelé Simygnon l’irrigue en saison pluvieuse.
Quelques mois après l’arrêt des pluies et voilà le fleuve déjà à sec. Dans son lit, jaillit du creux d’une roche, une eau douce et limpide. Cette source intarissable abreuve Guéna et ses habitants depuis la nuit des temps. Mieux encore, nous confie-t-on, son eau est thérapeutique.
« Elle soigne la maladie du ver de Guinée», lâche Woula Emmanuel Traoré, notable de Guéna. En ce mois de décembre 2024, les arbres arborent toujours leurs feuillages verts. Foisonnent à l’intérieur de cette forêt, une multitude de plantes constituées, entre autres, du néré, du karité, du baobab, des lianes, de la citronnelle, du fromager. La végétation y est abondante, l’air purifié et frais.

sont sanctionnés.
Cette forêt existe depuis 1999. Toutefois, précise le chef de service départemental de l’environnement de Kourinion, Souleymane Séré, la décision de sa création n’est intervenue qu’en 2016 à la suite d’une délibération du conseil municipal. Aux dires des habitants de Guéna, sa vocation première est de conserver les espèces végétales en voie ou menacées de disparition et plus singulièrement celles utilisées couramment dans la pharmacopée et les coutumes.
Des plantes devenues rarissimes voire introuvables dans la brousse ont aussitôt ressurgi dans le village grâce à cette forêt. Souleymane Séré cite notamment le trichilia emetica (kinkirs taanga en mooré) et le securidaca longipedunculata (Pelga en mooré ou Joro en dioula). « Leurs feuilles, racines et écorces sont constamment prélevées pour des soins en pharmacopée », relève M. Séré. Guéna n’est pas un cas isolé en matière de gestion durable des forêts villageoises. Tin, autre bourgade située dans la commune de Orodara, dispose d’une forêt similaire. Peuplée d’arbres issus de diverses espèces végétales, celle-ci est le principal poumon vert du village.
D’une superficie de 327 ha, les arbres s’épanouissent bien dans ce bosquet. Lassina Sanogo est un habitant de Tin et ancien conseiller municipal du village. Il est ravi de voir émerger plusieurs plantes dans cette forêt villageoise, la pionnière, dévoile-t-il, dans le Kénédougou. A l’écouter, ce bosquet n’apporte que du bonheur aux riverains depuis sa création à nos jours. « Il y a des plantes qu’on ne peut trouver nulle part ailleurs en dehors de cette forêt », témoigne-t-il.
Deux espèces couramment utilisées dans les rites retiennent surtout l’attention. Il s’agit principalement du Pteleopsis suberosa (Giraa en mooré) et du Ceiba pentandra (Gounaha en mooré ou fromager en français). Ces plantes vertueuses bénéficient ainsi d’une protection particulière au sein des communautés. La forêt de Tin a été créée en 1995 et reconnue officiellement par l’administration en 2018.
De cette forêt sont cueillis divers produits forestiers non ligneux. On distingue, entre autres, les amandes de karité, les lianes, le néré. Considérés comme des produits biologiques, ils sont recherchés dans les différents marchés. De l’avis de la trésorière de la coopérative de Tin, Fati Barro, cette forêt leur a rapporté environ cinq millions FCFA en 2023.

est intarissable.
De ses explications, ces recettes sont issues essentiellement de la vente des amandes de karité par les femmes. « Comme ce sont des noix biologiques, elles ne suffisent pas », s’enthousiasme-t-elle. Des plantes disparues du village, rappelle Lassina Sanogo, refont progressivement surface. Une renaissance qui suscite beaucoup d’espoir au sein des populations. « Dans cette forêt, nos enfants découvrent de plus en plus de plantes qu’ils n’ont pas l’habitude de voir en brousse », se réjouit-il.
Pour la sauvegarde de ces forêts, les villageois ont mis sur pied des Sociétés coopératives simplifiées de gestion forestière (SCOOPGF). Ces structures, plus enclines à défendre ces patrimoines, sont soutenues par les services de l’environnement. Des activités et pas des moindres y sont menées chaque année. Sont de celleslà, les pare-feux et les reboisements.
Le président de la coopérative de Guéna, Mathias Traoré avoue que la forêt villageoise constitue un rempart contre l’avancée du désert. De plus, poursuit-il, elle joue un rôle crucial dans l’équilibre écologique. Selon lui, protéger les espèces végétales en voie de disparition en plus d’être une obligation, est un devoir citoyen.
« Il faut coûte que coûte les préserver au profit des générations futures », souligne-t-il. Ce massif forestier constitue, à ses yeux, un véritable sanctuaire de la biodiversité végétale. Aboubacar Zongo est le chef de service départemental de l’environnement de Orodara.
Destinée à promouvoir l’éco tourisme et l’éducation environnementale, la forêt de Tin, de son avis, est en outre un bel exemple de séquestration de carbone. « La majorité de la population de cette zone se soigne avec les plantes. C’est dans leur culture », atteste M. Zongo.
Des forêts menacées

départemental de
l’environnement de Kourinion,
exhorte les populations à
sauvegarder leur forêt.
Des dires de Mathias Traoré, la forêt villageoise de Guéna est prise entre deux feux. Les actions anthropiques néfastes d’une part et les effets du changement climatique d’autre part. Mutilation des arbres, coupe du bois vert, ramassage d’agrégats, chaleur, empiètement du domaine par des riverains sont autant de pratiques qui menacent la survie de la forêt.
Le comble, se désole Lamoussa Traoré de Guéna, est que les feux de brousse se sont invités dans la danse. Provoqués la plupart du temps par des fumeurs dont la protection de l’environnement semble être le dernier de leurs soucis, ils sont aussitôt circonscrits par les populations.
« Les mégots de cigarettes qu’ils jettent au bord du goudron finissent par embraser la forêt. Dès qu’un feu de brousse se déclenche, le village se mobilise pour l’éteindre », reconnait Woula Emmanuel Traoré, notable de Guéna. Dans leur mission de surveillance, les membres des coopératives traquent sans relâche les individus dont les activités sont de nature à dégrader ces forêts.
Des patrouilles organisées à cet effet permettent d’interpeller certains individus malintentionnés. Les patrouilles sont certes dissuasives mais, rappelle Mathias Traoré, des sanctions sont également prévues à l’encontre des fautifs. Des agressions, la forêt de Guéna en a déjà subies à maintes reprises. Leurs auteurs sont souvent appréhendés et sévèrement punis conformément aux règles de la coutume. «
Quand nous interpellons un fautif, nous lui faisons payer des amendes pour des sacrifices de réparation », avoue Zakaria Traoré, chef de terre de Guéna. Pas plus que l’année passée, se souvient Mathias Traoré, trois individus qui menaient des activités clandestines dans la forêt de Guéna ont été arrêtés par les équipes de contrôle.
Après constat des dégâts causés, des sanctions ont été prises à leur encontre. « Chacun a dû payer un bouc, du dolo et un poulet pour les sacrifices de réparation des fautes commises», soutient Woula Emmanuel Traoré.
Toutefois, la surveillance de la forêt n’est pas une mince affaire. Celle de Guéna est confrontée à un problème de taille, la délimitation. En effet, la population se plaint du manque de bornes délimitant clairement la forêt. En lieu et place de ces bornes, un marquage à la peinture blanche est opéré par les agents de l’environnement sur les troncs d’arbres. «
Comme la peinture s’efface, les gens pensent que la forêt n’est pas délimitée », déplore le lieutenant des Eaux et forêts Souleymane Séré. Adamou Sanou est l’unique gardien de la forêt de Tin. Fusil en bandoulière, il est aux trousses des individus qui s’introduisent dans la forêt avec de mauvaises intentions.

départemental de
l’environnement de Kourinion,
exhorte les populations à
sauvegarder leur forêt.
Ce bénévole, c’est la nuit seulement il se repose. «Généralement, c’est pendant les nuits que les gens coupent les arbres. De nos maisons, nous entendons parfois le bruit. De plus, les jeunes et les femmes en profitent, par exemple, pour récolter des fruits immatures tels que le néré», relate-t-il. En dépit des difficultés, Guéna et Tin se disent prêts à défendre coûte que coûte leurs forêts contre toutes formes d’agression.
Le hic, selon le forestier Aboubacar Zongo, est que les techniques de prélèvement des plantes médicinales ne sont pas toujours bien maitrisées par les tradipraticiens. L’adjudant-chef Aboubacar Zongo regrette le fait que certains déterrent carrément les racines ou mutilent les parties sensibles de l’arbre, l’empêchant de se régénérer.
De plus, dénonce Amidou Traoré à Tin, ces prélèvements sont effectués sans autorisation préalable des coopératives villageoises ou du service de l’environnement. Pour lui, la sécurisation de la forêt incombe avant tout aux populations, quitte aux agents de l’environnement de leur apporter du soutien. Boureima Sanogo est un tradipraticien résidant à Tin. Des plantes médicinales, il les a souvent cherchées dans la brousse en vain. Dès lors, la forêt villageoise devient son unique espoir.
Cependant, sa technique de prélèvement laisse à désirer. « Si j’ai besoin des racines, je les déterre avant de faire le prélèvement puis après, je referme le trou à l’aide de la terre. Au fur et à mesure que la plaie au niveau de l’arbre se cicatrise, le malade qui se soigne avec ces racines recouvre progressivement sa santé », détaille-t-il. Le tradipraticien Sanogo estime qu’il profite de la forêt plus que tout le monde au village. Etant un habitant de Tin, il ne trouve pas nécessaire de demander une autorisation auprès de qui que ce soit.
Ces arbres qui sauvent les coutumes
La disparition progressive des plantes nourrit des craintes au sein des communautés locales. Ne diront pas le contraire, les organisateurs du « Dwo » ou « donoblih », rites de passage d’adolescence masculins et féminins tous les trois ans, sortie de masques célébrant l’accession des hommes au dernier grade tous les 40 ans. A entendre Lassina Sanogo, les initiés ont eu beaucoup de peines à obtenir des fibres par manque de leurs plantes dans les bois sacrés et en brousse. Or, dit-il, durant les trois mois que ces initiés passent en brousse, ces fibres sont leur unique vêtement qu’ils portent jusqu’à leur retour au village. Partant de là, il estime que la leçon a été bien apprise. Car, poursuit-il, ceux qui
s’adonnaient à la protection des arbres avec une certaine négligence sont revenus à la raison. « Il y a un lien fort entre la forêt, les plantes et les traditions. Ce qui s’est passé sous nos yeux nous a tous interpellés sur notre devoir de préserver les plantes et ces forêts villageoises », avance-til. Ces plantes sont constituées essentiellement du ptelopsis suberosa et ceiba pentandra.

Autrefois disponibles dans les bois sacrés, ils se font rares de nos jours. Faute de les avoir trouvés en brousse, la plupart des initiés du « donoblih » ont pris d’assaut la forêt de Tin où ces espèces sont bien conservées. La satisfaction a été au rendez-vous. « Cette forêt nous a sauvés parce que nous avons pu avoir les arbres qui servent à fabriquer les fibres », confie Brama Traoré, notable de Orodara.
A l’entrée de la cour de celui-ci sont suspendues sur le mur d’une maison, des fibres noires et autres objets culturels. Ils ont été abandonnés en ce lieu par les initiés qui s’en débarrassent dès qu’ils reviennent de la brousse. « Il leur est interdit de rentrer dans leurs maisons avec ces fibres. C’est pourquoi elles sont exposées à l’entrée des concessions », dit Adama Sanou, habitant au secteur 2 de Orodara. Mathias Traoré estime que la rareté de ces plantes est révélatrice de l’ampleur de la déforestation que connait la province.
A ce titre, il attire l’attention de tous sur leur responsabilité à protéger ces arbres, convaincu que la survie de leurs traditions en dépend. « La disparition des plantes constitue une réelle menace pour nos traditions », s’alarme Zakaria Traoré, chef de terre de Guéna. Fibres noires et autres objets culturels sont également visibles sur le mur d’une case ronde à l’entrée de la cour de Adama Sanou, fervent adepte de la religion traditionnelle. Même dans ses rêves les plus fous, il n’a jamais songé un instant à se convertir à l’islam ou au christianisme. Il dit préférer suivre la voie de ses ancêtres et en est fier.
Pour ce faire, il ne se laisse pas influencer par une quelconque religion. Convaincu de son choix, il affirme n’avoir aucun complexe à adorer ses ancêtres à visage découvert. « Il y a des gens qui se cachent la nuit pour venir faire des sacrifices de poulets ici », atteste-t-il. Brama Coulibaly est du même avis.
Pour avoir été initié et obtenu le dernier grade de sa communauté, adorer des dieux étrangers ne semble pas l’emballer. Pour toutes ces raisons, Bakary Coulibaly, secrétaire chargé de la gestion de la forêt de Tin, prône des actions vigoureuses dans la gestion de leur forêt. Veiller à ce qu’elle ne soit pas dégradée est, de on point de vue, un impératif. Il martèle qu’avec l’appui des services de l’environnement, la sécurité du site est plus ou moins assurée.
« Si nous avons une difficulté quelconque, nous leur faisons appel et ils nous aident à trouver des solutions », indique-t-il. Dans les croyances traditionnelles, toujours fortement enracinées dans le Kénédougou, la brousse occupe une place centrale en tant qu’espace naturel à l’origine de tout et en lien à l’invisible. C’est dans ce sens que la communauté Sèmè (Siamu) continue de pratiquer l’initiation au « Dwo » ou « donoblih».
La dernière édition a eu lieu en 2023 Rendez-vous est pris pour 2063 pour la prochaine édition. « Nous sommes nés trouvé cette tradition. Nous ferons tout pour la préserver de manière à ce que les valeurs qu’elles prônent soient transférées aux générations futures », insiste le sexagénaire Brama Coulibaly. Du reste, les populations demandent aux autorités de les accompagner à mieux sécuriser ces espaces boisés qui participent du même coup à la sauvegarde de leurs coutumes.
Ouamtinga Michel ILBOUDO
omichel20@gmail.com
Les funérailles du vieux baobab
A Guéna, la population vénère certains arbres. Le baobab en fait partie. Les vieux baobabs qui meurent sont traités avec respect et considération. La population célèbre leurs funérailles à l’image d’une personne âgée qui est décédée. Cette pratique est censée calmer la colère des génies qui se cachent très souvent dans ces arbres séculaires. Pour organiser leurs funérailles, les femmes préparent le dolo et les hommes apportent des animaux. Cette manifestation solennelle ne saurait cependant dépasser une journée. Cette pratique est révélatrice de la place de l’arbre dans la vie de l’homme. Dès qu’un tel arbre meurt, son bois n’est pas consommé. Même es petits enfants savent ces choses élémentaires et s’en méfient.
O.M.I
