Compostage des résidus de la mangue: une « mine d’or » peu exploitée à Orodara

Ces déchets de mangue déversés sur un site identifié par la mairie de Orodara auraient pu servir à faire du compost.

A Orodara, des milliers de tonnes de déchets sont produits chaque année par les unités de séchage de la mangue. Faute d’une gestion adéquate, la plupart de ces résidus se retrouvent dans la nature avec des conséquences déplorables. En vue de pallier ces difficultés, des individus ont trouvé l’idée de valoriser ces ordures en les transformant en compost, bien prisé des producteurs. Mais la pratique reste encore au stade embryonnaire.

Une poubelle de résidus de mangue à ciel ouvert. Dans un large cratère, gît une quantité énorme de noyaux de ce fruit.La peau et la chair ont eu le temps de disparaitre sous l’effet des intempéries.Au beau milieu de ce trou béant, stagne une eau noirâtre dans laquelle nagentces déchets organiques. Sur les lieux, de la puanteur à couper le souffle se dégage.Difficile d’y rester pendant longtemps. Nous sommes à la sortie-ouest de la commune de Orodara, dans la province du Kénédougou, région des Hauts-Bassins. Ce site a été provisoirement identifié par les autorités municipales, de concert avec les services de l’environnement de la localité, pour y jeter les déchets provenant des unités de séchage de la mangue. Ces résidus se composent, entre autres, d’épluchures, de noix et de fruits pourris qui n’ont pu être utilisés.

A quelques encablures de là et en bordure de la Route nationale 8 (RN8), se dresse une unité de séchage dont les activités sont à l’arrêt, la campagne étant terminée. Les déchets industriels, eux,restent visibles. Dans une plantation de manguiers, située à proximité des bâtisses, s’étale un dépôt d’ordures issues de la transformation. Unedécharge « sauvage », parce que non autorisée par la mairie. A vue d’œil, des tonnes de détritus y ont été

déversées pendant plusieurs années. Nombre d’arbres qui n’ont pas pu supporter ces immondices sont morts, d’autres toujours dans un état critique avec des branches desséchées. Ce tapis de rejets industriels ne laisse aucune chance aux autres végétaux de pousser.

Du compost fait à base de résidus de mangue pour fertiliser les champs.

Autre lieu, même constat. Dans le village de Bandoukou, à la périphérie-nord de Orodara, trône majestueusement une unité de séchage de la mangue. Noumoukié Konaté en est le propriétaire. A côté, s’étend son verger de manguiers, vaste de 12 hectares, qui lui procure la matière première. Grand producteur de mangues, il s’illustre également dans la transformation. Pour plus d’efficacité, il a préféré rapprocherl’unité de sa ferme.

Afin de lutter contre la mouche de fruits, il dit avoir appris des techniciens d’agriculture que les mangues pourries ne doivent pas trainer dans les plantations mais être enfouies dans le sol. Mais pour ce qui concerne les déchets générés par son unité de séchage, Noumoukié Konaté semble n’avoir aucune solution pour leur gestion. Au moment du séchage, des tonnes de résidus sont rejetées chaque jour par l’unité. Ils s’amoncellent comme des montagnes et au fur et à mesure, deviennent encombrants. Les désagréments ne manquent pas :puanteur, pullulement de mouches, eaux stagnantes, pollution de l’air …

Il faut s’en débarrasser mais M. Konaté ne sait où les jeter. Faute d’espace ou de bacs à ordures suffisants pour les stocker, ces résidus se sont retrouvés dans la nature, notamment dans son champ d’anacardiers où les allées sont dégagées. Sur les lieux, ce 9 décembre 2024, le spectacle est ahurissant. Nonobstant l’arrêt des activités de transformation, les déchets sont toujours entassés. Aucune herbe ne pousse dans ce capharnaüm d’ordures. Le sol noirci donne l’impression d’avoir été couvert d’huile de vidange.

 Une richesse peu connue

Drissa Traoré, membre de l’Union provinciale des producteurs de mangues du Kénédougou : « il y a un début de compostage de la mangue mais il est encore timide ».

C’est ce visage qu’offrent les alentours de certaines unités de séchage à Orodara, la plupart ne sachant que faire de leurs résidus. Pourtant, ces déchets constituent une richesse énorme encore peu connue du monde paysan. Selon les spécialistes de l’agriculture, ces matières organiques peuvent être compostées pour fertiliser les champs. « Chaque année, nous faisons des formations sur le compostage de la mangue. Il y a deux types de déchets de la mangue, à savoir les résidus issus de la transformation et les restes de fruits pourris dans les champs.

Nous conseillons de composter ces matières, soit dans des fosses, soit en tas », indique Karim Dao, agent au service des productions végétales à la direction provinciale de l’Agriculture, des ressources animales et halieutiques du Kénédougou. A l’écouter, le compost fabriqué à base de résidus de mangue est de très bonne qualité. Seulement, déplore-t-il, la technique n’est pas encore vulgarisée dans la province, alors réputée dans la production de la mangue.

« Pour le moment, le compostage des résidus de mangue n’est pas expérimenté à grande échelle. Ce sont des phases de tests d’abord. Parmi les producteurs qui ont reçu des formations, certains ont commencé à composter et d’autres non. D’autres encore ont essayé et abandonné par la suite », souligne l’agent d’agriculture. De son avis, cette situation s’explique par plusieurs raisons. Il explique que la mangue étant une biomasse qui contient assez d’eau, son compostage demeure laborieux. En outre, ajoute M. Dao, le matériel servant à composter la mangue coûte cher, ce qui limite la promotion de l’activité.

Ses propos sont corroborés par le directeur de la Coopérative agricole du Kénédougou (Coopake), Souleymane Konaté. Pour lui, il faut mobiliserenviron cent millions F CFA pour acquérir les équipements adaptés au compostage de la mangue.Sa structure en a l’intention mais les moyens font défaut. Disposant d’une unité de séchage de la mangue, elle a eu l’idée depuis 2017 de transformer les résidus en compost. « Nous avions constaté que nous produisions beaucoup de déchets qui polluaient l’environnement, parce qu’ils étaient jetés dans la nature.

Arboriculteur à Orodara, Oumar Traoré fait partie de ceux qui transforment les mangues pourries en compost à travers la technique du « bokashi ».

C’est pourquoi la Coopake a pris à bras-le-corps cette question de compostage qui entre dans le cadre de la protection de l’environnement », relève M. Konaté. A cet effet, des dispositions ont été prises pour faciliter le travail. « Nous avons tenu des sessions de formation au profit des différents techniciens et des producteurs membres de la coopérative afin que chacun de son côté puisse valoriser les déchets de la mangue », fait-il savoir.En attendant la mobilisation des gros moyens, ce sont des broyeurs qui sont acquis par la coopérative pour brocarder et composter ces résidus.

Pour l’instant, détaille-t-il, ce n’est qu’un simple compostage en tas qui est mis en œuvre pour permettre aux producteurs de fertiliser leurs fermes. Après le broyage des résidus de la mangue, explique Souleymane Konaté, l’on fait un mélange avec d’autres produits pour obtenir le compost. Ce sont des dizaines de tonnes d’engrais organiques qui sont ainsi produites chaque année. Malgré tout, mentionne-t-il, ce n’est pas la totalité des résidus qui est compostée.

« Ce sont de grandes quantités de déchets que nous produisons, parce que nous traitons entre 200 et 600 tonnes de mangues fraiches par campagne.Ce que l’on n’arrive pas à composter est convoyé vers un siteidentifié par les services de l’environnement », affirme M. Konaté. Pour lui, l’obtention d’un compost de meilleure qualité demande un investissement conséquent. Toutefois, il assure que la Coopake travaille à parfaire ce qu’elle produit déjà afin qu’il soit mis sur le marché.

A l’unité de séchage de l’Association vive l’arboriculteur (AVLA), à la périphérie-nord de Orodara, le compostage de la mangue figure également en bonne place dans les agendas des premiers responsables. Seulement, les mêmes difficultés sont signalées. Le coût du matériel est hors de portée, à les entendre. « Nous avons songé au compostage des déchets de la mangue.

J’ai même suivi une formation dans ce sens il y a trois ans de cela. Notre patron a promis de nous trouver le matériel mais cela n’est pas encore effectif », déclare le chef de production de l’unité AVLA, Denis Traoré. Il se dit convaincu qu’avec un seul broyeur, il peutdébuter l’activité. « Nous avons déjà la matière première, car en plus des résidus de la mangue, nous avons aussi des coques d’anacarde qu’on peut composter. Maintenant, ce sont les moyens qui nous manquent », révèle-t-il.

 Un problème de salubrité publique

Cette décharge « sauvage » de déchets de mangue tue à petit feu les arbres.

Si dans certaines unités de séchage, on évoque le manque de matériel pour composter les résidus de la mangue, dans d’autres, on n’a pas encore connaissance de cette technique de valorisation de ces déchets. C’est le cas chez Noumoukié Konaté de Bandoukou qui dit ignorer que les résidus de la mangue peuvent être transformés en compost. « Non, je ne le savais pas », lâche-t-il, ébahi, avant de plaider pour une formation en la matière.

Ce dont il était informé est l’utilisation de ces déchets dans l’alimentation des animaux. Car, à l’entendre, des partenaires de Bobo-Dioulasso avaient promis de transformer ses déchets industriels en aliment pour bétail. Mais jusqu’à présent, c’est le statu quo.« S’il y a une alternative pour valoriser ces ordures en compost, c’est vraiment une bonne chose », se réjouit M. Konaté. Sinon, poursuit-il, les rejets de l’unité sont encombrants et indisposent les travailleurs. Il n’oublie pas non plus la prolifération de la mouche de fruits et la pollution environnementale que cela occasionne.

Tout commeNoumoukié Konaté, ils sont nombreux à souhaiter que les résidus de la mangue soient transformés, parce qu’ils posent un problème de salubrité publique. Une vingtaine d’unités de séchage de la mangue sont implantées à Orodara et le problème de gestion des déchets industriels se pose avec acuité. Aux dires des responsables de l’environnement, nombre de ces unités déversent leurs ordures dans la nature. « Notre service a détecté plusieurs sites de dépôts de ces ordures dont la zone SONATUR, les alentours des unités de séchage, les parcelles vides, les réserves administratives, etc.

Nous avons interdit tout cela », soutient Gérard Dabini, responsable de la préservation de l’environnement à la direction provinciale en charge de l’environnement du Kénédougou.En vued’assainir la ville, avance-t-il, un site temporaire a été trouvé hors des habitats pour accueillir les ordures. Malgré les sensibilisations, informe le technicien supérieur de l’environnement, des individus ne font qu’à leur tête, en contrevenant à la règlementation. « Beaucoup ne sont pas sensibles à la question environnementale et ne pensent qu’à leurs intérêts », déplore-t-il.

A la Coopake, une partie des résidus de mangue sert à fabriquer du compost.

Pour les réfractaires qui se font prendre, aux dires de M. Dabini, ce sont des sanctions administratives qui sont appliquées pour le moment. Elles consistent en la saisie du matériel ayant servi au transport des déchets, la convocation de la personne et le paiement d’une amende. « On partait déposer nos déchets hors de la ville. La quantité pouvait atteindre quatre ou cinq tonnes par jour et parfois la police municipale nous verbalisait. Nous avonsdéjà payé des amendes de 25 000 F CFA », témoigne Denis Traoré de l’unité AVLA.

Le compostage des résidus de la mangue constitue également une préoccupation au sein des producteurs de ce fruit. Dans le cadre de la lutte contre la mouche de fruits, il est conseillé aux arboriculteurs de ramasser les mangues pourries et de les enfouir dans le sol. Mieux, les techniciens d’agriculture recommandent de les composter. Même si la pratique est encore timide, des arboriculteurs s’activent à donner une seconde vie aux déchets de mangue. Sont de ceux-là, Oumar Traoré, propriétaire d’un verger de sept hectares de manguiers à Orodara. A l’entendre, le pourrissement de la mangue est un souci majeur qui peut engloutir presque le tiers de la production. « Avant, on ne savait pas quoi faire avec ces mangues pourries. Mais avec l’accompagnement des services techniques de l’agriculture, nous les transformons de nos jours en compost », déclare avec satisfaction M. Traoré.

Le « bokashi » à base de mangue très apprécié

Le directeur de la Coopake, Souleymane Konaté : « pour le moment, nous n’arrivons pas à composter la totalité de nos déchets ».

En association avec d’autres producteurs, il utilise un autre procédé de compostage appelé « bokashi » pour obtenir des résultats en l’espace de deux semaines. Mot japonais signifiant « matière organique bienfermentée », le « bokashi » est le résultat d’un mélange de plusieurs biomasses dont le son de maïs ou de riz, les résidus de mangue, les coquilles d’œuf, la bouse de vache, la poudre de charbon, le sucre, la levure, etc.

Selon Karim Dao de la direction provinciale de l’agriculture, le « bokashi » est plus riche que les autres engrais organiques, surtout celui fabriqué à base de résidus de mangue. Une efficacité confirmée par Oumar Traoréqui utilise ce compostdepuis 2022dans son champ. Selon ses propos, beaucoup d’arboriculteurs dans le Kénédougou sont de plus en plus intéressés par le compostage de la mangue. Cette technique, espère-t-il, pourra contribuer à absorber toutes ces quantités de mangues qui tombent dans les plantations à cause de la mouche de fruits.

A entendre Drissa Traoré, l’un des membres de l’Union provinciale des producteurs de mangues du Kénédougou, la réflexion sur le compostage des déchets de la mangue est menée au sein de la structure. L’idée, pour lui, est de s’inscrire dans la dynamique du chimiste français Antoine Lavoisier selon laquelle, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. « Les unités de séchage tout comme les producteurs doivent utiliser des fosses fumières pour composter les déchets de mangue. Pour cela, il faut que les ministères en charge de l’agriculture et de l’environnement les accompagnent », plaide M. Traoré. En attendant, suggère-t-il, les acteurs doivent se contenter d’abord des moyens du bord avant l’acquisition des équipements modernes.

Noumoukié Konaté dit ignorer que les résidus de mangue peuvent être transformés en compost.

Les spécialistes de l’environnement et de l’agriculture sont formels : les résidus de mangue jetés dans la nature ont des conséquences énormes. Aux dires de l’agent agricole, Karim Dao, déversées directement sur le sol, ces ordures produisent des substances nocives pour les microorganismes et appauvrissent les terres.

« Rien ne pousse là où on a jeté les déchets de mangue. Pour que le sol récupère, il faut au minimum deux ou trois ans », informe-t-il. Pour sa part, le technicien supérieur de l’environnement, Gérard Dabini, rappelle que l’installation d’une unité de séchage est précédée d’une étude d’impact environnemental mais nombre de promoteurs ne respectent pas les textes. L’alternative à la gestion des résidus de mangue, aux yeux de beaucoup d’acteurs, reste le compostage.

Mady KABRE

dykabre@yahoo.fr