La production d’ananas connait un regain d’intérêt au Burkina Faso, notamment dans la région des Hauts-Bassins. A Matourkou dans les encablures de Bobo-Dioulasso, un producteur a réussi l’exploit de récolter 108 tonnes d’ananas dans un seul hectare. Petit à petit donc, les vaillants producteurs sont en train de l’adapter aux conditions agro-climatiques du Burkina.
Samedi 8 décembre 2024 à Matourkou, village de la commune de Bobo-Dioulasso, chef-lieu de la région des Hauts-Bassins. C’est le week-end, mais loin de l’ambiance de la ville, nous voilà dans l’enceinte de la ferme Djoda, l’une des pionnières dans la culture de l’ananas au Burkina. Dans un champ de deux hectares (ha) poussent plusieurs pieds. Leur nombre ? 60 000 environ à l’hectare, nous confie-t-on. Cette journée est dédiée à la récolte d’un ha d’ananas. Autour du promoteur Oumarou Compaoré, s’agglutine une brochette d’invités, issus de diverses couches socio-professionnelles.
On dénombre parmi eux, des banquiers, des chercheurs, des agents d’agriculture, des entrepreneurs agricoles et, bien sûr, des ouvriers. Motif de ce rassemblement : montrer aux plus sceptiques que l’ananas réussit au Burkina d’une part et d’autre part, inciter les institutions financières à soutenir les projets agricoles dans ce sens. « Nos institutions financières ne s’y connaissent pas pour le moment parce que c’est une nouvelle culture. Quand on les approche, leurs agents sont réticents.
C’est pourquoi nous avons décidé d’inviter quelques-uns à s’imprégner des réalités dans notre ferme », affirme M. Compaoré.
La production de cette culture suscite admiration et curiosité chez nombre de visiteurs. Ce succès, Oumarou Compaoré le doit également à ses partenaires qui n’ont ménagé aucun effort pour l’accompagner. Dr Pascal Bazongo, enseignant-chercheur en agro-pédologie et chercheur associé à l’Institut de l’environnement et de recherche agricole (INERA) de Farakoba, dit épouser la vision du promoteur à qui il apporte son soutien. A toutes les étapes de la mise en œuvre du projet, il n’a pas manqué à ses obligations.
De l’étude du sol au choix des variétés en passant par les tests de fertilisants, il travaille d’arrache-pied en vue d’engranger d’excellents résultats. Ibrahima Zallé, journaliste-communicateur, évolue également dans l’entreprenariat agricole avec une spécialisation dans la culture de l’ananas. Pour embrasser sa nouvelle carrière d’agriculteur, ce gribouilleur de la presse écrite n’a pas hésité à troquer sa plume contre la daba. Cette activité lucrative, il la conseille fortement aux jeunes, à la seule condition qu’ils aient la passion du métier et soient armés de courage. « L’ananas a un cycle long compris entre12 et 14 mois. Si le producteur n’est pas patient, il va certainement se décourager », avertit-il.
« L’ananas n’est pas une plante hydrophile »

Les hôtes de M. Compaoré ont eu droit à une visite guidée à l’intérieur de la ferme. Certains découvrent la plante pour la première fois et ne s’en reviennent même pas. Comme quoi, qui aurait cru voir pousser un plant d’ananas sur les terres arides du Burkina ? D’un compartiment à un autre, le champ réserve des surprises agréables. Il présente un beau visage. Les plantes d’ananas arborent toujours leurs feuillages verts alors que depuis l’arrêt des pluies en octobre, aucune goutte d’eau n’a été versée sur elles.
C’est la preuve, révèle Oumarou Compaoré, que la plante n’est pas trop exigeante en eau. « L’ananas n’est pas une plante hydrophile c’est-à-dire qu’elle n’aime pas beaucoup d’eau », note Dr Bazongo qui déconseille au passage, sa culture dans les basfonds et les zones marécageuses. En campagne sèche, poursuit-il, il faut l’arroser deux fois par semaine. « C’est une plante dont les feuilles développent une réserve nutritive et d’eau très importante », fait savoir Dr Bazongo. Toutefois, prévient Ibrahima Zallé, la plante n’est certes pas hydrophile mais ne doit pas non plus être abandonnée à son sort.
A défaut de s’installer auprès d’un plan d’eau, il conseille de construire un forage à haut débit capable d’arroser le champ dès que nécessaire. « La plante n’est pas exigeante en eau mais comme il ne pleut que trois mois sur douze dans l’année au Burkina, il faut avoir une réserve d’eau qui puisse garantir la survie des plantes en saison sèche », indique-t-il. Une alternative, la ferme Djoda l’a trouvée.
Un forage alimenté par des plaques solaires a été réalisé. Des tuyaux souterrains drainent l’eau du forage vers un bassin piscicole. De là, cette eau enrichie aux micros nutriments est récupérée pour arroser la plantation. Ce dispositif est plus que jamais rassurant puisque jusque-là, les plants ne connaissent pas de stress hydrique.
Des fruits juteux et sucrés

Le moment tant attendu est arrivé. Il s’agit de la récolte proprement dite. Les ouvriers se mettent à la tâche. Les mains couvertes de gants, ils arrachent les fruits de leurs supports et les dardent dans des caisses. Des visiteurs regardent ces fruits avec des yeux brillants et la bouche qui salive. Quelques fruits sont pelés et découpés en plusieurs morceaux. Ils sont destinés à la dégustation. Difficile de goutter ce fruit sans lancer une commande. Des invités jurent de ne pas repartir les mains vides. « C’est très délicieux », entend-on par-ci. « C’est doux plus que l’ananas importé des pays côtiers », réplique-t-on par-là.
Le soleil s’incline. Les visiteurs reprennent un à un le chemin du retour. La récolte, elle, se poursuit. Faute d’une unité de mesure, les fruits sont vendus dans des caisses. En fonction de leur taille, le tas de 12, 13 ou 14 fruits est cédé au client à 6 000 F CFA. Avec un rendement de 108 tonnes/ha contre 50 tonnes à ses débuts, le promoteur Compaoré se réjouit de cet exploit. En supposant une perte de 20% de sa production, il dit sortir toujours gagnant avec environ 86,4 t/ha.
D’après ses calculs, il engrangera, pas moins de 25 millions F CFA de recettes à la vente. « C’est mieux que la culture des céréales », insiste Ousmane Doumbia, producteur d’ananas à Péni. Secrétaire général (SG) de la Société coopérative Faso Djabibi, ce comptable toujours en activité entretien depuis 2023 une plantation de deux hectares d’ananas dans un village de la commune de Péni. Il compte bientôt brasser des millions à la vente de ses fruits.
La ferme Djoda a été sa source d’inspiration. Avant de se lancer dans cette activité, il a expérimenté l’ananas dans des pots de fleurs à domicile. « Je n’étais pas convaincu de la chose jusqu’à ce que Oumarou Compaoré m’amène un jour dans sa ferme. Quand j’ai vu ses investissements et fait les simulations sur la rentabilité de cette activité, je me suis rendu compte qu’on peut devenir facilement millionnaire dans la culture de l’ananas », avoue M. Doumbia. Embouchant la même trompette que son prédécesseur, Oumarou Compaoré déclare : « la production de l’ananas est vraiment rentable ».
Ce secteur « juteux » suscite l’engouement chez les producteurs burkinabè. M. Compaoré dit être sûr d’une chose, l’ananas produit au Burkina va bientôt s’imposer sur le marché par sa qualité. Aminata Barro, commerçante de fruits à Bobo-Dioulasso, peut déjà l’attester. A l’entendre, lorsque les chalands apprennent que l’ananas qu’elle leur propose est produit localement, il devient difficile de les contenir. Elle attend désespérément sa part du gâteau, étant entendu qu’un autre commerçant a réservé toute la production. « Les clients en raffolent parce que ce sont des fruits juteux », relève-t-elle.
Des propos soutenus par Dr Pascal Bazongo qui impute cela à l’énergie solaire qui participe au processus de la photosynthèse, stimulant le glucose qui se trouve dans le fruit en sucre. Ce qui fait que, révèle-t-il, on a un fruit non seulement juteux mais aussi très sucré. Le chercheur Bazongo reconnait cependant que l’excès de soleil pourrait provoquer des brûlures au niveau des fruits. Dans le champ de M. Compaoré, ils sont recouverts de papier biologique. Cette protection est censée, avance Dr Bazongo, les préserver contre les effets du soleil.
L’ananas s’adapte à tout type de sols

La ferme Djoda, entreprise agricole formalisée en 2018, nourrit de grandes ambitions. Accroître la production afin de ravir la vedette à l’ananas importé, telle est sa ligne de conduite. Pour Oumarou Compaoré, ce défi n’est pas la mer à boire pour peu que ses collaborateurs soient dans le même esprit que lui. « A mes débuts, même mes employés ne croyaient pas à mon projet », lâche-t-il. En effet, se souvient-il, son projet est né en 2020 à la suite d’un constat.
« Pendant la crise sanitaire, j’ai remarqué que l’ananas se faisait rare sur le marché à cause de la fermeture des frontières. C’est la raison pour laquelle j’ai saisi cette opportunité pour développer cette culture au Burkina Faso », raconte-t-il. Avec le concours des spécialistes, il parvient après moult échecs, à dompter l’ananas aux conditions agro-climatiques du Burkina Faso. Dr Pascal Bazongo loue la détermination du promoteur qui ne se laisse pas abattre par les obstacles.
De ses explications, l’ananas se cultive généralement sur les sols ferralitiques. Cependant, rassure-t-il, les sols ferrugineux tropicaux qui constituent 26% des sols au Burkina Faso sont adaptés à la production de ce fruit. Mieux, dévoile Dr Bazongo, l’ananas peut être cultivé également sur les autres types de sols.
Après avoir reçu plusieurs formations dans le domaine, Oumarou Compaoré lance ses activités avec la certitude qu’il fera des merveilles. L’itinéraire technique de production étant bien maîtrisée, rien ne pouvait l’empêcher de réussir. « Depuis lors, les choses ne font que s’améliorer d’elles-mêmes », s’enthousiasme-t-il. Tout naturellement, comme il le disait plus haut, les débuts n’ont pas été un long fleuve tranquille. Entreprendre un tel projet dans un pays sahélien comme le Burkina Faso n’était pas, de son point de vue, un pari gagné d’avance. Des défis et pas des moindres ont été relevés.
Parmi ceux-ci, celui de l’eau est en tête. D’où la construction d’un forage à haut débit à l’intérieur de la ferme pour pallier cette difficulté. Pour se procurer les rejets, M. Compaoré s’est tourné vers la Côte d’Ivoire. L’unité, il l’a achetée là-bas à 200 FCFA. « On a commencé avec 300 plants environ et le but était d’avoir les rejets », relève-t-il. Après avoir testé sept variétés d’ananas, la ferme Djoda a finalement opté pour le Pain de sucre. Ibrahima Zallé, entrepreneur agricole, souligne à cet effet que le Burkina a acclimaté, à ce jour, deux variétés. Il s’agit, selon ses dires, du Pain de sucre et de la Cayenne lisse. « C’est la variété Pain de sucre qui est la plus vulgarisée au Burkina », précise-t-il.
Dr Pascal Bazongo estime pour sa part que la Cayenne lisse a été « purement et simplement » déclassée à cause de son goût aigre.
Pour ce qui est de l’arrosage du champ, le promoteur Compaoré a porté son choix sur l’irrigation par micro aspersion, quoique coûteuse. « Le goutte à goutte ne marche pas. Nous sommes actuellement à 60 000 pieds à l’hectare. Donc installer 60 000 goutteurs, ce n’est pas évident », informe-t-il. En plus de cela, soutient-il, la quantité d’eau indispensable à l’entretien d’un ha a été évaluée.
M. Compaoré confie qu’elle se situe autour de 60 mètres cubes (m3) d’eau, correspondant à dix heures de pompage pour un forage de 6 m3. Tout compte fait, les producteurs d’ananas investissent des sommes colossales dans la fertilisation de leurs sols. A la ferme Djoda, on utilise la fiente des poules pondeuses qui est très riche en azote. L’eau du bassin piscicole, riche en micro nutriments, contribue également à amender le sol. A côté de ces fertilisants organiques, le responsable de la ferme développe d’autres types d’engrais spécifiques adaptés à la culture de l’ananas.
Une nouvelle filière en gestation

Dr Pascal Bazongo est en train de réaliser un « essai multi fertilisants » dans une parcelle où se disputent une multitude de pieds d’ananas. Cette approche consiste à tester sur une même parcelle plusieurs fertilisants afin de voir celui qui paraît le plus efficace. A en croire Oumarou Compaoré, l’objectif visé est de minimiser les coûts de production en adoptant le fertilisant le plus efficace et le plus accessible au producteur.
Ce test devrait, à terme, lui permettre d’observer le comportement agronomique de la plante vis-à-vis du fertilisant et du type de sols. De plus, cette démarche lui permettra de voir parmi les fertilisants, lequel va mieux se comporter avec la plante et donner de bons rendements. Dr Bazongo fait comprendre qu’avec l’ananas, on applique le fertilisant au niveau de la base des feuilles et non dans le sol. « L’ananas a besoin de ces fertilisants pour développer son système foliaire c’est-à-dire son feuillage », avance-t-il.
Il appuie aussi la ferme Djoda dans la mise au point d’engrais foliaire dont les phases d’essai sont toujours en cours. L’ananas est ravagé par des termites, toute chose qui a dissuadé certains producteurs qui ont essuyé échec et mat à leurs premières tentatives. Cette menace, M. Compaoré dit l’avoir aussitôt éradiqué dans sa ferme grâce aux produits phytosanitaires qu’il a développés avec l’aide des spécialistes.
De nos jours, il est sollicité de partout pour aider des promoteurs débutants à s’installer. « Tous ceux que nous encadrons ne subissent pas d’attaque de termites dans leurs champs », note M. Compaoré. Du reste, Dr Pascal Bazongo rappelle que les résultats sont prometteurs, convaincu que l’ananas a un bel avenir au Burkina Faso.
D’ores et déjà, les acteurs ont commencé à s’organiser pour créer une filière. Deux sociétés coopératives ont vu le jour à cet effet. L’une regroupe les producteurs de la région du Centre (Ouagadougou) et environnants et l’autre, ceux du Grand-ouest.
Ousmane Doumbia, le SG de la Société coopérative Faso Djabibi, zone Ouest, croit à l’avenir de cette nouvelle culture. A l’écouter, le plus dur est l’investissement de départ. La vision de la coopérative, aux yeux de M. Doumbia, c’est de travailler à organiser la filière à travers des ventes groupées, constituer un réseau et surtout rechercher des partenaires qui puissent les accompagner, ne serait-ce que dans la formation.
Après Matourkou, des localités comme Pô, Koubri et Ouagadougou ont procédé à leurs premières récoltes. Le pays des Hommes intègres fait ainsi son entrée dans le cercle des pays producteurs d’ananas en Afrique.
Ouamtinga Michel ILBOUDO
omichel20@gmail.com
