Entreprenariat féminin: la transformation des produits locaux, un véritable gagne-pain

La promotrice de Yéhi Nature, Almen Nacera Compaoré, pense qu’avec ses produits, on gagne en temps dans la préparation.

A la faveur de la Journée internationale de la femme, le 8 mars, nous faisons un clin d’œil à trois jeunes entrepreneures burkinabè : Almen Nacera Compaoré, Jeanne Yaméogo et Youmali Haliatou Nassouri. Installées à Ouagadougou, leurs entreprises essayent de faire de la transformation des produits locaux comme des céréales, des légumineuses et des feuilles, leur spécialité. 

 

Yéhi Nature d’Almen Nacera Compaoré, Wendyam Produits locaux et services de Jeanne Yaméogo et Youmali P’tits délices de Youmali Haliatou Nassouri, font des innovations dans la transformation des produits locaux. Si la première s’est investie dans la transformation des légumineuses et des feuilles en précuits séchés, les deux autres se sont orientées vers la fabrication de biscuits, de gâteaux, de pains à base de petit mil, de manioc, de patate…  En effet, Almen Nacera Compaoré est la promotrice de Yéhi Nature, une entreprise qui transforme des légumineuses et des feuilles couramment consommées au Burkina Faso en précuits séchés. Ce sont les feuilles d’aubergine locale (Kumba, Solanum aethiopicum) d’amarante (Burumbura, Amaranthus hybridus), d’oseille (Bito, Hybiscus sabdariffa), de patate douce (Nanyou-vaado, Ipomoea batatas), de feuilles de moringa (Arzen tiiga, Moringa oleifera), de feuilles du chou africain (Kennebdo, Cleome gynandra)…

Les précuits séchés, emballés, sont faciles à transporter.

Elle en fait des cocktails avec des légumineuses comme le zamnè, le poids de terre, etc. Bref, les amateurs des mets traditionnels comme le « gonré », le « babenda » peuvent se réjouir. Les prix varient de 500 à 1 500 F CFA. Par exemple, le babenda de 320 g coûte 1 500 F CFA. Pour la préparation du zamnè précuit, elle recommande d’y renverser de l’eau

bouillie. Le laisser pendant dix minutes et passer à la vapeur. Du Ochata instantané dérivé du souchet, on en trouve à Yéhi Nature. Il suffit, selon la promotrice, de laisser reposer le produit pendant vingt minutes dans l’eau avant de l’écraser. Puis filtrer, ajouter des glaçons et consommer. On peut ne pas y ajouter du sucre, car il contient déjà de la datte. Toutes ces innovations lui ont permis d’être la gagnante de « Pépites d’entreprises » 2024, un programme télé de la chaine nationale bf1. Elle a obtenu dix millions F CFA cash et cinq millions de bons de communication.

« Grâce aux précuits, j’espère faciliter et soulager les ménages, les célibataires, les compatriotes qui sont à l’étranger qui ont envie de mets locaux. L’objectif est de réduire le temps de cuisson », explique-t-elle. Pour ses débuts, Mme Compaoré dit qu’elle achetait des produits locaux transformés pour les revendre. C’est en 2022, à la suite de deux commandes qui n’ont pas été livrées dans les normes, qu’elle décide de se lancer dans la transformation. Aujourd’hui, avec son entreprise Yéhi, elle a sept employées permanentes. Les quantités de production varient selon les périodes. A l’entendre, le chiffre d’affaires a dépassé aujourd’hui le million après son sacre à « Pépite d’entreprises ». Les bénéfices s’élèvent à 500 000 F CFA par mois. Les points de vente sont à Kossodo, Cissin, Pissy, Ouaga 2000 et Saaba. Sans oublier la boutique située du côté-nord de la pédiatrie Charles-De-Gaulle.  

Jeanne Yaméogo fait du biscuit au maïs pour inciter à la consommation des produits locaux.

Avec Jeanne Yaméogo, la nécessité de consommer des produits locaux ne souffre d’aucun doute. Comptable de formation, titulaire d’un Master 1 en management de projets, elle est la directrice de l’Entreprise Wendyam Produits locaux et services. Celle-ci fait de la transformation de céréales locales sa principale activité. Le petit mil, le sorgho rouge, le riz, le fonio, la patate douce… sont transformés en variétés de biscuits, de pains, de gâteaux et de grumeaux. Elle confie avoir choisi de mener cette activité en vue de valoriser nos produits locaux, en plus de veiller sur la santé de ses enfants. « Les weekends, j’essayais de transformer les céréales en biscuits ou en pains pour donner à mes enfants. Au fur et à mesure que j’apportais des améliorations, mes proches trouvaient que c’était bon. Cela m’a encouragée », confie-t-elle.

C’est ainsi qu’elle a opté d’en faire une source de revenus. Avec 26 000 F CFA, elle achète le nécessaire pour fabriquer le biscuit du petit mil et du maïs. Elle vend dans son service et dans des alimentations. Le retour est positif et incitatif. Aujourd’hui, Dame Yaméogo est réconfortée dans son choix. Elle arrive à transformer un sac de 50 kilogrammes de farine améliorée par mois. Les prix des produits varient de 500 à 1 500 F CFA. En décembre passé, ses bénéfices s’élevaient à 260 000 F CFA.  Pour gouter aux biscuits de mil ou de maïs, rendez-vous est donné dans les alimentations ou boutiques à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso.

Youmali Haliatou Nassouri est étudiante en management de la qualité en industrie

Jeanne Yaméogo tire du four un gâteau à base de sorgho rouge.

agroalimentaire à l’université Joseph-Ki-Zerbo. Tout en poursuivant ses études, elle s’est lancée dans l’entreprenariat en créant Youmali P’tits délices. C’est une entreprise qui fait également de la transformation et de la commercialisation des produits locaux. Elle utilise des céréales comme le mil, le sorgho, le riz, le manioc, les patates pour fabriquer du pain, des biscuits, des farines infantiles…

Elle les vend en ligne, dans les alimentations, dans des boutiques, à l’université, aux prix de 250 à 1 000 F CFA. « C’est grâce à ma maman que je me suis intéressée à cette activité. Toute petite, je l’aidais à faire des mets avec des céréales locales. Plus tard (en 2021), j’ai compris que ces céréales pouvaient servir à faire d’autres choses comme des biscuits », confie-t-elle. Ces ventes peuvent lui apporter souvent 100 000 F CFA comme recettes mensuelles. 

Sur la question de la qualité, les jeunes entrepreneures rassurent. La cheftaine de Yéhi affirme que son équipe a reçu des formations à l’hygiène. Elle s’attelle à faire une demande de certification à l’Agence burkinabè de normalisation, de la métrologie et de la qualité (ABNORM). Selon les confidences de la responsable de l’entreprise Wendyam, ses produits ont été soumis au contrôle du service d’hygiène et du laboratoire national. Pour Youmali sa filière contrôle qualité en agroalimentaire lui permet de produire dans les normes hygiéniques. 

Des difficultés

Haliatou Nassouri transforme le manioc en biscuits.

Etre entrepreneur n’est pas chose aisée. Ce ne sont pas nos fondatrices qui diront le contraire. Elles doivent se battre pour surmonter certaines difficultés dont l’insuffisance de financements, le manque de matériels et d’équipements. La fluctuation du prix des matières premières est une autre difficulté dont les entreprises doivent surmonter. En effet, elles se plaignent du coût élevé des céréales qui varie régulièrement. « Il m’arrive souvent de fixer un prix avec un client et d’aller trouver que le prix de la matière première a augmenté. Je ne peux plus revenir sur ma parole.

D’où, un manque à gagner », annonce Mme Yaméogo. Elle est aussi confrontée au problème d’écoulement par manque de visibilité autour de ses marchandises. Pour Youmali Nassouri, la plus grosse difficulté se résume à l’insuffisance de moyens financiers. Elle a besoin de fonds pour mieux s’équiper, pour recruter du personnel afin de booster sa production. Quant à Yéhi Nature, la difficulté à trouver des vendeuses sérieuses coûte des insomnies à sa fondatrice. Celle-ci trouve que certaines jeunes vendeuses manquent de patience et veulent vite gagner gros. 

Malgré ces quelques obstacles nos jeunes entrepreneures n’entendent pas baisser les bras. Elles ont toutes des projets afin d’agrandir leurs entreprises. D’où la recherche de sources de financement, la mise sur le marché de nouveaux produits, l’augmentation du nombre de

points de vente aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Elles envisagent parcourir le monde pour faire la promotion de leurs produits. Jeanne Yaméogo espère fructifier ses affaires pour booster sa production à une tonne par mois. La construction et l’équipement d’un nouveau local, la participation à des forums dans la sous-région, l’augmentation du chiffre d’affaires à cinq millions F CFA par mois en 2025, sont autant de projets qui tiennent à cœur Almen Compaoré.

Quant à Haliatou Nassouri, elle espère à long terme produire ses matières premières. Etant

une gamme variée de biscuits de Youmali P’tits délices.

donné, dit-elle, qu’elle est en voie d’obtenir les compétences nécessaires pour y parvenir. En effet, elle bénéficie d’une formation en agro-sylvo-pastoral pour une incubation dans le cadre d’un Projet d’incubateurs de technologies et de valorisation agricole (PITVA), organisée par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation au profit d’étudiants. 

Pour changer la donne, les trois entrepreneures invitent la population à consommer local. Nacera Compaoré soutient qu’en se procurant ses produits qui sont de bonne qualité, variés, prêts à l’emploi, c’est apporter un soutien aux producteurs. Par ailleurs, elle conseille à ses jeunes frères et sœurs entrepreneurs de ne pas baisser les bras face à des difficultés. « Soyez résilients. S’il faut du recul pour mieux sauter, faites-le. Surtout, ne baisser pas les bras », déclare-t-elle. Jeanne Yaméogo invite la population à consommer ses produits qui sont obtenus grâce à des matières premières locales. Selon elle, avant qu’elle ne les propose en vente, ils sont consommés en famille. La créatrice de P’tits délices, Youmali Nassouri croit qu’au-delà du prix, c’est la qualité du produit qu’il faut voir.

 

Habibata WARA