Retour des « cerveaux » dans l’agriculture: des étudiants investissent Bagrépôle

Un incubé a réussi à produire environ un ha de Patate douce à chair orange (PDCO).

Des étudiants issus des universités publiques du Burkina ont décidé de retourner à la terre et en sont fiers. A Bagrépôle où ils ont pris pied, les cours théoriques font place à la pratique. Ces « cerveaux » dont le niveau d’études minimum est la licence sont en train de révolutionner un secteur longtemps resté en marge de la technologie et de l’innovation. Dans les champs, ils expriment déjà leurs talents d’agriculteurs. 

 

A Bagrépôle ce jeudi 13 février 2025, la campagne sèche bat son plein. Les sites de production grouillent de monde. De nombreux producteurs sont à pied d’œuvre dans leurs parcelles. Parmi ceux-ci, on rencontre des étudiants. Eux, ils ont été installés à plus de 20 km de la ville, plus précisément sur la rive droite du canal primaire. Plus connus sous le nom d’incubés de technologies agricoles, ils ont rangé leurs diplômes dans les placards pour entreprendre dans l’agriculture. Recrutés par l’Agence nationale pour la vulgarisation des résultats de la recherche (ANVAR), ces incubés ont déjà pris la température des champs. Loin de l’ambiance du campus et des regards indiscrets, ces « cerveaux » ne brillent pas seulement qu’en classe. Dans les champs, ils laissent des empreintes. Mahamoudou Sawadogo est un ancien incubé et titulaire d’une licence professionnelle en production végétale et agronomie.

Muni d’une simple daba, cet étudiant du centre universitaire de Ziniaré assène par la force des biceps, des coups secs dans le sol. Pour avoir enduré les épreuves du campus, ce n’est pas bêcher la terre qui lui posera problème. Avec l’aide de quelques ouvriers, il trace les sillons avec des ficelles. Il compte bientôt emblaver la pastèque, l’aubergine et le gombo. La tâche n’est pas aisée mais l’étudiant-agriculteur, convaincu de la noblesse de son activité, tient bon. Comme lui, Valentin Zoungrana transpire. En dépit de sa taille imposante, il se casse pour labourer une portion de sa parcelle fraîchement mouillée. Cet espace de 0,25 ha est destiné à la production de piment. Son champ qui s’étend sur un ha est en grande partie occupé par la pastèque (0,75 ha). La variété Kaolack qu’il a produite a un cycle de 90 jours.

Les plants s’étalent à la surface et portent de beaux fruits. Titulaire d’une licence professionnelle en production végétale et agronomie, M. Zoungrana, vient d’embrasser avec joie, son métier d’agriculteur. Un peu plus loin se dévoile le champ de Daniel Zongo, étudiant venu du centre universitaire de Gaoua et titulaire d’une licence en sciences appliquées et biologie. Lui, a jeté son dévolu sur la production de tubercules, notamment la Patate douce à chair orange (PDCO). Il produit trois variétés sur cinq déjà expérimentées à Bagrépôle. Il s’’agit de Tiébélé 2, Hèrè et Noma. Daniel Zongo se bat seul contre vents et

Daniel Zongo exploite un champ de PDCO et compte agrandir son champ.

marées pour maintenir sa parcelle au vert. C’est la course contre la montre pour arroser ses tubercules avant la tombée de la nuit. L’eau, il la capte directement dans le canal primaire grâce à une motopompe installée à côté et reliée au champ par un gros tuyau. Les espaces libres entre les buttes, il les remplit d’eau. Depuis qu’il s’est jeté dans ce métier, patauger dans la boue ne lui dit plus rien. Car, estime-t-il, cela fait partie désormais de son quotidien. Faute de main-d’œuvre, Daniel Zongo a décidé de scinder son champ en deux parties.

Cette astuce lui permet d’arroser de façon alternée chaque portion sans coup férir. Des étudiantes engagées dans la production, on en trouve également à Bagrépôle. Armées de dabas et de pioches, elles ne donnent aucune chance aux mauvaises herbes d’envahir leur champ d’oignon. La culture vedette, c’est bien l’oignon. Fatou Compaoré est issue d’un groupe de quatre étudiantes. L’esprit d’entraide les pousse à s’associer pour produire cette spéculation. Avec sa licence professionnelle en production et santé animale, Mlle Compaoré dit avoir opté pour la terre et pour cause ? « Je me suis dit pourquoi ne pas expérimenter autre chose que l’élevage, étant donné que l’agriculture et l’élevage se complètent », soutient-elle, toute souriante. Cette étudiante du centre universitaire de Ziniaré envisage créer une ferme intégrée dans son village pour peu que ses parents acceptent de lui donner un terrain. Les étudiantes, tout emmitouflées de leurs cache-nez, sont plus que jamais déterminées à faire prospérer leurs affaires dans le secteur agricole. Pas très loin de là, se trouve le champ de Nabonswendé Adéline Sawadogo, étudiante de l’université Norbert- Zongo de Koudougou et titulaire d’une licence en sciences appliquées et biologie. Tout essoufflée après une balade dans son champ, elle s’assoit un instant pour se reposer.

La daba toujours accrochée à l’épaule, elle a produit l’oignon et n’attend que la récolte. La variété « violet de Galmi » qu’elle a produite a bien donné. Son champ s’étend sur 0,72 ha et force l’admiration. A l’image de ses autres camarades, elle a déjà entamé avec sérénité sa carrière d’agriculteur et assume son choix. Entretenir près d’un ha d’oignon, ce n’est pas du jeu pour une débutante. Pour ce faire, Mlle Sawadogo a fait appel à deux de ses frères de Kaya pour l’épauler dans ses différentes tâches. Après la récolte, elle veut enchainer avec des spéculations à cycle court comme le concombre, le gombo et le piment. Cependant, son souhait est d’acquérir un terrain vers la zone de Sabou, dans le Boulkiemdé, en vue d’installer une ferme intégrée. Ces anciens incubés issus de la première promotion sont bien partis pour devenir des futurs entrepreneurs agricoles au Burkina.

A leur sortie en octobre 2024, les autorités n’ont pas manqué de les accompagner avec un minimum d’équipement. En effet, relève Bertrand Sigtbzouda, encadreur agricole de

-La production de la pastèque n’a plus de secret pour les incubés.

ANVAR, ces « cerveaux » ont bénéficié d’un soutien matériel et financier de la part de l’Etat. Des propos confirmés par Adéline Sawadogo, l’une des bénéficiaires, qui affirme que chaque kit d’installation est évalué à 12 millions F CFA. « Nous sommes les enfants gâtés du Burkina », ironise-t-elle. Le kit est composé essentiellement d’une motopompe, d’un motoculteur, d’un tricycle, de l’engrais, du compost, des tubes PVC et des semences améliorées. A cela, s’ajoutent un terrain d’un hectare offert par Bagrépôle et une somme de plus de 600 000 F CFA. Ratibwita Valentin Zoungrana est galvanisé par cet appui et jure de ne pas décevoir ses bienfaiteurs. Il estime que si sa pastèque réussit bien, il n’aura pas moins de cinq millions F CFA dans son escarcelle. Son champ est attaqué par la mouche blanche mais, il est parvenu à éradiquer rapidement la menace à travers un traitement phytosanitaire.  

Du concret à Bagrépôle

De la première promotion, nous voilà dans les champs des incubés de la deuxième promotion. Les tâches sont bien réparties et leur exécution ne souffre d’aucun débat. Loin des amphithéâtres et des RU (restaurants universitaires), les incubés se comportent en véritables agriculteurs. Dans les jardins, fleurissent sous leurs pieds, la laitue, la tomate, l’oignon, le chou, le blé. Toute la cohorte participe à l’entretien du champ collectif. Pas de place pour les paresseux. Juste à côté du champ collectif se greffent des champs individuels. L’on se hâte d’irriguer les cultures avant que le soleil ne dicte sa loi. En groupe, les uns et les autres ne sentent pas trop la fatigue. Le travail a l’air amusant et se termine très souvent à la tombée de la nuit. « Quand ils commencent, il faut forcément finir avant de rentrer, quelle que soit l’heure », informe Bertrand Sigtbzouda, l’un des trois encadreurs commis à l’assistance des incubés.

A l’aide d’une motopompe et des seaux d’eau, les uns arrosent, les autres désherbent. Solange Compaoré est une nouvelle incubée et titulaire d’une licence en production végétale et agronomie. Cette étudiante du centre universitaire de Ziniaré est visiblement ravie de participer à ces travaux pratiques. Elle confie que son passage à Bagrépôle lui a été très bénéfique. Entre les cours théoriques et la pratique, elle y perçoit un grand fossé. Créer sa propre entreprise agricole était et demeure son objectif de départ. Mouni Diapa a décroché une licence en production et santé animale au centre universitaire de Ziniaré. Cet étudiant passionné de l’agriculture dit ne pas comprendre pourquoi le Burkina n’arrive pas à nourrir sa population constituée à plus de 80% d’agriculteurs. Alors que dans d’autres contrées, fait-il remarquer, ils ne sont que 5% mais arrivent à se nourrir et à exporter des excédents.

Chose qui le révolte et qui le pousse à travailler dur pour inverser la tendance. De la préparation du sol à l’entretien du champ, il dit avoir assimilé beaucoup de choses. « Ici c’est du concret. Ce n’est pas comme en classe où on nous gave de théories », souligne-t-il. Il est midi mais personne n’ose suspendre ses activités pour aller déjeuner. Toundabamba Aude Sawadogo, ingénieure agronome en formation au centre universitaire de Fada, défie la canicule et les vents qui balaient son visage. Elle se dit prête à s’installer auprès de ses parents à Kongoussi après sa formation. Pour une fois, c’est à Bagrépôle qu’elle a compris qu’entre la théorie et la pratique, il y a une grande différence. « On nous a dit en classe qu’il n’est pas possible de produire le blé au Burkina. Sur le terrain, nous voilà dans notre champ de blé qui se présente très bien », avance-t-elle. La laitue, elle ne savait pas comment la produire.

Valentin Zoungrana, producteur de pastèque, a décidé de faire carrière dans l’’entreprenariat agricole.

Mais depuis son site de production, elle est devenue une experte en la matière. « Si on s’était limité à la théorie, ce n’était pas évident que je puisse le faire », lâche-t-elle, toute joyeuse. Des encadreurs agricoles d’ANVAR sont au chevet des anciens et nouveaux incubés. Des explications de Bertrand Sigtbzouda, sa mission principale, c’est entrainer les incubés à mettre en pratique ce qu’ils ont appris en théorie. «La théorie et la pratique, ce sont deux choses différentes », reconnait-il. Pour le moment, se réjouit-il, les incubés sont réceptifs aux conseils. D’ailleurs, ils sont conscients qu’ils n’ont pas droit à l’échec. Valentin Zoungrana semble avoir bien compris cela. « Dans la théorie, nous ne voyons pas les difficultés. Ce qui est le contraire de la pratique où nous les vivons au quotidien. Pour moi, c’est grâce à ces difficultés que nous pouvons nous perfectionner dans notre métier », affirme-t-il.

Cet étudiant compte louer des terres à Bagrépôle pour agrandir son champ. Pour asseoir sa ferme intégrée, un projet qui trotte toujours dans sa tête, il lorgne des terrains à Gandado (son village) dans le Passoré. D’après le directeur de la valorisation économique de Bagrépôle, Fidèle Traoré, ces incubés sont investis d’une mission qui est différente de celle des agro-investisseurs. « Les incubés, ce sont des gens qui ont fait l’université et qui ont une certaine capacité d’analyse. Ça, c’est quelque chose de très important pour nous », signale M. Traoré. Il poursuit en disant qu’avoir une certaine capacité d’analyse scientifique dans le domaine agricole, voire dans l’économie constitue un atout majeur. « On ne dit pas que nos parents ne savaient pas analyser.

Je veux dire que ces étudiants ont plus d’outils pour apprécier le contexte national et international avant de planifier leurs activités », note Fidèle Traoré. A ce qu’il dit, les attentes envers ces étudiants, ce sont aussi les bons exemples en matière de pratiques agricoles. « Dans le domaine agricole, ce qui est plus important, c’est le partage d’expériences », signale M. Traoré. Aussi, souligne-t-il, la direction de Bagrépôle a déjà échangé avec ces étudiants sur divers sujets dont celui relatif à l’écoulement de leurs productions. A l’écouter, des conseils leur ont été prodigués d’aller vers l’agriculture contractuelle, une approche beaucoup plus novatrice et sure. L’étudiant Daniel Zongo ne veut pas se contenter de produire uniquement des tubercules. Il trouve même qu’un ha de terrain pour faire de l’agro business, c’est peu. En quête d’espace pour installer une ferme intégrée, il compte sur les revenus qu’il engrangera à Bagrépôle pour investir dans son projet.

Les nouveaux incubés ont produit du blé dans leur champ.

Les incubés ne tarissent pas de conseils à l’endroit de leurs camarades. Mahamoudou Sawadogo est un vieux routinier des concours directs. Mais actuellement, vu les opportunités qu’offre l’entreprenariat, il ne songe plus passer les concours. Mieux, il croit fermement à une belle carrière dans l’entreprenariat agricole. Les pieds fourrés dans des bottes et les mains couvertes de gants, il affronte son destin avec courage et détermination. Daniel Zongo est du même avis. L’entreprenariat agricole le rassure. « J’ai cherché les concours pendant quatre ans en vain. L’Etat ne peut pas recruter tous les diplômés. L’entreprenariat est une alternative crédible », conseille-t-il. Les étudiantes, accrochées à leur travail, en ont cure de la fonction publique.

Fatou Compaoré avoue qu’elle n’est plus intéressée sous prétexte qu’elle trouve son compte dans l’entreprenariat. Ce souhait est exprimé par bon nombre d’incubés qui préfèrent l’entreprenariat agricole à la bureaucratie. Toutefois, la question foncière reste le nœud-gordien de cette politique et risque de saper le moral de certains incubés. En effet, Fidèle Traoré explique que Bagrépôle a signé une convention avec ANVAR et un contrat de trois ans avec les incubés. Ce n’est qu’à l’issue de ce délai qu’une évaluation sera faite afin de décider s’ils doivent rester ou partir.

Au départ, l’Etat devrait aider les incubés à disposer des terrains sécurisés dans leurs communes d’origine. L’application de cette mesure s’est heurtée au refus des propriétaires terriens, obligeant l’Etat à renoncer. La déception est perceptible dans le rang des étudiantes dont les droits fonciers leur sont souvent refusés. A Bagrépôle, rien ne semble entraver la bonne marche de ce projet d’incubés de technologies agricoles. Des incubés motivés, des autorités qui restent à leur écoute, des encadreurs dynamiques. En résumé, ce projet suscitera à terme, un nouveau type d’agriculteurs capables d’impulser une transformation structurelle de l’économie burkinabè. 

Ouamtinga Michel ILBOUDO

omichel20@gmail.com


Des étudiants à Bagrépôle

L’histoire donne raison à Thomas Sankara

Assurément, l’histoire semble donner raison au capitaine Thomas Sankara, ce leader révolutionnaire considéré comme étant trop en avance par rapport à son peuple. Durant sa gouvernance, il a tenté de convaincre les étudiants à s’engager dans l’agriculture. A Bagré, des logements avaient même été construits pour les installer. Malheureusement, ce projet ambitieux n’a pas fait long feu après les évènements du 15 octobre 1987. Ironie du sort, c’est sous la houlette d’un autre capitaine, Ibrahim Traoré, que ce vieux projet renaît de ses cendres. L’idée consiste à faire de l’agriculture burkinabè, un secteur en phase avec l’évolution technologique, afin de le rendre plus productif et attractif. Désormais, il ne sera plus l’apanage des producteurs illettrés qui se battent pour assurer leur survie. Cette belle initiative est à saluer d’autant plus que le secteur agricole offre plus d’opportunités aux jeunes de s’auto-employer et de créer des emplois. 

O.M.I