Dr Tinkoudougou Cathérine Sawadogo/Ilboudo, maître de recherche à l’IRSAT : « La germination suicidaire consiste à éliminer les graines du Striga dans le sol en l’absence des cultures-hôtes »

Dr Cathérine Sawadogo/Ilboudo est convaincue que le Burkina Faso parviendra un jour à éradiquer le Striga de son sol.

Maître de recherche à l’Institut de recherche en sciences appliquées et technologies (IRSAT), un des quatre instituts du Centre national de la recherche scientifique et technologique, Dr T. Cathérine Sawadogo/Ilboudo mène un combat sans merci contre l’espèce Striga hermonthica, une herbe parasite qui attaque le sorgho, le mil, le maïs, etc.
Dans le cadre de sa thèse de doctorat, ses travaux se sont focalisés d’une part sur la recherche de variétés de sorgho résistant au Striga et d’autre part, la recherche d’extraits de plantes locales dont les huiles essentielles pourront être utilisées comme des bio herbicides contre cette espèce adventice. Elle explique dans les lignes qui suivent
comment les résultats de ses travaux peuvent contribuer à lutter contre Striga hermonthica au Burkina Faso.

Carrefour africain (C.A) : En quoi ont consisté vos travaux sur la lutte contre le Striga ?

Cathérine Ilboudo (C.I): Nos travaux se sont focalisés sur deux grands aspects. Le premier aspect c’est la recherche de variétés de sorgho résistant au Striga hermonthica. Le deuxième aspect a porté sur la recherche d’extraits aqueux et d’huiles essentielles de
plantes locales qui pourront servir de bio-herbicides contre le Striga.

C.A : Quels sont les résultats auxquels vous êtes parvenus à l’issue de vos travaux ?

C.I : Concernant la recherche de variétés résistantes, nous avons utilisé des mutants de sorgho. La mutation a été provoquée. On a effectivement constaté qu’il y a des mutants qui résistent au Striga. On a fait les expérimentations au niveau du laboratoire. Par la suite on a fait une évaluation en conditions de serre et également sur le terrain en conditions
naturelles. Il y a au moins cinq variétés mutantes qui résistent au Striga, qui ne sont pas infestées ou très faiblement infestées. On a constaté qu’en milieu naturel, le Striga n’a pas joué sur le rendement du sorgho. Concernant la recherche de bio-herbicides,
particulièrement sur les huiles essentielles, nous avons eu à utiliser dix huiles essentielles avec deux objectifs.

Le premier c’était de trouver des huiles essentielles qui vont inhiber la germination des graines du Striga. Le deuxième objectif, c’était de pouvoir identifier des huiles essentielles qui vont stimuler (provoquer) la germination des graines du Striga. On a pu identifier trois huiles essentielles qui inhibent effectivement la germination des graines du striga au laboratoire et cinq qui stimulent la germination de ces graines. Parmi les cinq, il y a l’huile
essentielle Cymbopogon citratus c’est à- dire la citronnelle qui stimule
beaucoup la germination. Et quel est l’intérêt de la stimulation ? La stimulation veut dire qu’on veut un produit capable de provoquer la germination de la graine du Striga en l’absence de cultures. Puisque les graines du Striga sont dans le sol,dormantes. Elles attendent d’être à proximité d’une culture et les racines de cette dernière doivent lui fournir un stimulant pour qu’elles puissent germer.

La plantule issue de la germination se fixe directement sur les racines de la
culture et y tirent toutes les substances nutritives pour pouvoir grandir. Donc,
la stimulation de la germination, c’est de pouvoir éliminer les graines du
Striga en l’absence de culture. Ce phénomène est dénommé dans notre
jargon, la germination suicidaire. Puisque la graine va germer, la plantule
est là mais il n’y a pas un support pour se fixer et cette plantule est appelée à
mourir.

C.A : La vulgarisation de ces technologies, comment comptez-vous la réaliser ?

C.I : Il faut dire que les moyens ne sont pas disponibles pour appliquer
ces technologies sur le terrain d’abord. Pourquoi ? Parce que ce que nous avons fait, ce sont des travaux de notre thèse de doctorat. L’efficacité de l’huile essentielle dont
nous avons évoqué plus haut, c’est à une concentration de deux millilitres par litre. Il nous faut des moyens pour réaliser d’autres tests. Peut-être qu’on va identifier une autre concentration qui est plus efficace, ce que nous appelons la concentration optimale.Une fois qu’on a ça, il faut des moyens pour faire des travaux de
formulations pour pouvoir expérimenter dans des champs avant de parler de vulgarisation qui est une application réelle sur le terrain.

C.A : Autrefois, les producteurs utilisaient une plante sauvage qu’on appelle Desmodium pour lutter contre le Striga. Aujourd’hui, cette plante a disparu du Burkina. En avez-vous entendu parler ? Si oui, comment peut-on l’utiliser pour combattre le Striga ?

C.I : Oui, j’ai connaissance de cette plante. C’est lors de nos recherches que
nous l’avons découverte. Même si la plante n’existe plus au Burkina, elle existe toujours au Cameroun où elle est toujours utilisée. C’est une plante qui produit une substance qui empêche les plantules de Striga de se fixer sur les racines de la culture. C’est ce qu’on appelle plante piège dans la lutte contre le Striga. Le Desmodium augmente
aussi la fertilité du sol par la fixation de l’azote. Etant une plante de couverture, il protège également le sol contre l’érosion.

C.A : Selon les spécialistes des plantes, les graines du Striga peuvent résister jusqu’à 20 ans et une seule plante peut produire environ 100 000 graines. Cela n’estil
pas de nature à compliquer davantage la lutte contre cette plante adventice au Burkina Faso ?

C.I : Le Striga est une plante très difficile à combattre à cause des aspects que vous venez de souligner. Puisque la graine est dormante, vivante mais tant qu’elle n’a pas
réuni les conditions de stimulation de sa germination elle reste dans le sol jusqu’à 20 ans. Le combat est de longue haleine. Voilà pourquoi nous avons pensé que l’utilisation du bio
herbicide pourrait être la meilleure méthode de lutte parce que, ne serait-ce que la stimulation, ça va permettre d’éliminer du sol les graines de Striga. Autrement dit, ça va contribuer à réduire la banque de semences du parasite et d’assainir le
sol.

C.A : De plus en plus les chercheurs parlent de lutte intégrée qui consiste à combiner plusieurs méthodes différentes en vue de pouvoir vaincre ce fléau. Parmi celles-ci figurent les nouvelles variétés de sorgho mises au point par irradiation gamma avec l’appui
de l’AIEA et la FAO. Le Burkina a été représenté par Dr Philippe Nikièma. Etes-vous au courant de ces travaux ?

C.I : Oui, je suis au courant de ces travaux. Nous avons même eu pratiquement les mêmes encadreurs. Nous avons travaillé dans le même laboratoire. L’une des meilleures
solutions contre le Striga, c’est comme je l’ai déjà dit, c’est la résistance variétale. Nous avons commencé nos travaux à peu près à la même période et moi j’étais censée travailler sur la mutagénèse provoquée par des produits chimiques. Et Dr Philippe Nikièma
était chargé de travailler sur la mutagénèse provoquée par les irradiations. On travaille ensemble en quelque sorte. Notre objectif c’est d’avoir des projets en commun.
Donc on travaille en synergie. Parlant de la lutte intégrée, c’est la meilleure manière de pouvoir combattre le Striga.

C.A : Vos travaux ont été concluants. Quelle sera la suite ?

C.I : On ne peut pas dire qu’on est à la fin. Il y a des perspectives. Il y a des travaux complémentaires à faire pour pouvoir rendre les résultats que nous avons obtenus, utilisables sur le terrain.

C.A : En quoi consisteront ces travaux complémentaires ?

C.I : Quand on prend le cas de la mutagénèse, les travaux complémentaires vont consister à faire des croisements entre les variétés locales qui sont adoptées et préférées par nos producteurs avec les mutants que nous avons évalués afin de pouvoir transférer les gènes
de résistance à ces variétés produites par les cultivateurs au Burkina. Concernant le volet bio herbicide, il s’agit de faire d’autres tests complémentaires et mettre au point
des formulations pour pouvoir appliquer ces résultats sur le terrain.
Donc, on n’est pas à la fin des travaux pour le moment. Raison pour laquelle j’évoque le problème de moyens.

C.A : Dans ce cas, qui doit financer la suite de vos travaux de
recherches ?

C.I : Nous aurions souhaité le faire nous-mêmes mais nous n’en n’avons pas les moyens. Pour le moment, on essaie d’avancer avec les moyens du bord. Pour pouvoir accélérer il faut un bailleur, que ce soit l’Etat ou d’autres partenaires. En tout cas, il nous faut un financement pour achever nos travaux afin de rendre nos résultats exploitables.

C.A : Est-ce que vous avez espoir qu’on parviendra un jour à éradiquer le Striga au Burkina ?
C.I : Bien sûr. L’espoir est permis. Seulement, il faut encore beaucoup d’investissements, d’investigations et de travaux. Par conséquent, il faut des financements importants. Si les
partenaires délient les cordons de la bourse et que des efforts sont conjugués, on peut arriver à bouter le Striga hors du Burkina Faso. Pour l’instant on ne peut pas donner un
délai parce que le combat est assez complexe.

C.A : D’autres éclaircissements en lien avec votre thème de recherche s’il y en a

C.I : Si éclaircissements il y a, c’est peut-être rappeler que l’effet du Striga se sent beaucoup sur les sols pauvres. En attendant qu’une solution efficace soit trouvée, il faut mettre l’accent sur la fertilisation des sols. Si les sols sont un peu riches, l’infestation du Striga peut être réduite.

Interview réalisée par
Ouamtinga Michel ILBOUDO
omichel20@gmail.com