Aïcha Ouédraogo alias Aysha Junior : « Je me suis endettée pour réaliser Pays en lumière lors du FESPACO »

Aysha Junior : « je suis une personne très passionnée de ce que je fais, une personne qui aime le changement ».

Aïcha Ouédraogo alias Aysha Junior est l’une des rares dames très actives dans le show-biz au Burkina Faso. Présidente de l’association Couleurs de vie, elle est inlassablement à la recherche de l’innovation. Bien connue du public, elle est l’initiatrice de plusieurs événements dont « Pays en lumière », réalisé à la dernière édition du FESPACO. Dans l’entretien qui suit, elle nous parle de quelques-unes de ses actions.

Carrefour Africain (C.A.) : Lors du dernier Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO) vous avez apporté une innovation dans les animations en réalisant « Pays en lumière ». D’où vous est venue cette idée ?

Aysha Junior (A.J.) : Cette idée taraudait mon esprit depuis quelques années déjà. J’ai trouvé que ce n’était pas juste que depuis sa création en 1987, la place des cinéastes, qui est le cœur du FESPACO, reste inanimée après la cérémonie de libation à chaque édition. J’ai trouvé que les traditionnels sites d’animations proposaient toujours la même chose. Il fallait donc apporter quelque chose de différent, de nouveau qui puisse captiver les gens. D’où « Pays en lumière ». Le projet initial était dénommé FESPACO enchanté. Comme je n’ai pas eu le soutien de ladite structure, j’ai changé d’appellation.

Donc « Pays en lumière » signifie mettre en lumière le Burkina Faso. A cause de l’insécurité dont il est victime, il est peint en rouge et désigné comme infréquentable. Tout ce qui se dit n’est pas forcement vrai. C’est l’occasion, avec le FESPACO de le mettre en lumière et de dire que tout n’est pas sombre. « Pays en lumière », c’est également mettre en lumière les autres pays à travers leurs potentiels culturels et touristiques. Notamment, faire découvrir aux professionnels du cinéma des potentiels sites touristiques des pays afin de les inviter pour des tournages de films et de voyages de découvertes.

Quant à la décoration de parasols, j’avais déjà vu cette scène au cours d’un voyage en Europe. Je me suis promis de la réaliser un jour dans mon pays. C’est généralement exécuté dans des ruelles où la mise en œuvre est plus facile. Par contre, il faut beaucoup d’efforts et de logistiques sur une double voie.
Par rapport à la mise en scène, le parasol est présent pour se protéger du soleil, de la pluie et les couleurs choisies sont symboliques. Le blanc traduit la paix et le vert, l’espoir. Le noir, le deuil. La colonne de lumière jaune traduit la richesse de notre sous-sol en or qui est source de tant de convoitises.
Cette décoration de « Pays en lumière » est également un clin d’œil à tous ceux qui sont au front, les soldats et les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP). C’est pour leur signifier qu’ils ne sont pas oubliés et qu’on est avec eux. Sans eux, il n’y aura pas de biennale.

C.A. : La mise en œuvre de cette scène demande de gros moyens. Avez-vous bénéficié d’un soutien quelconque ?

A.J. : Je dirai non. Ni les sponsors, ni le FESPACO et le Ministère de la Communication, de la Culture, des Arts et du Tourisme à travers l’appel à projet innovant pour le FESPACO 2025 n’ont retenu le projet. Mais la mairie de Ouagadougou a trouvé l’idée géniale et a donné son feu vert pour la réalisation. N’ayant pas les moyens, j’ai sollicité de l’aide de part et d’autre. Je n’ai pas eu gain de cause. En plus de quelques aides venant de mes amis, je me suis endettée. Le refus de me soutenir a d’ailleurs été mon leitmotiv. J’étais persuadée que c’était une bonne idée qu’il fallait, à tout prix, mettre en œuvre. C’est le plan B du projet qui a été ainsi effectué. Sinon, l’initial est d’une grande envergure. Une partie du matériel est même restée en Chine.

C.A. : Etes-vous satisfaite de votre œuvre ?

A.J. : Au regard de l’engouement qu’on a constaté, mon équipe et moi sommes satisfaits. On était convaincu que le public allait apprécier, même si on ne s’attendait pas à un tel engouement. On avait espéré avoir 40 000 visiteurs. Mais il y a eu du monde fou. On rend grâce au Seigneur. Il a accompagné le projet du début jusqu’à la fin. Je vous raconte une anecdote. Quand on travaillait sur le projet, j’ai invité un responsable d’une téléphonie mobile sur le site afin qu’il essaie de déceler les opportunités d’affaires. Il regarde et il me demande si je pense que je peux réellement obtenir 300 visiteurs ici. Mais je crois qu’aujourd’hui, il a eu une réponse à sa question. Merci encore à ceux qui ont refusé de me soutenir. C’est grâce à eux que j’ai tenu à réaliser ce projet. Je profite dire aux uns et aux autres que quand on vous ferme les portes, ce n’est pas la fin du monde. Il faut croire en ce qu’on fait. Des gens disent qu’on va me l’arracher. J’espère qu’ils auront tort. Ce qui est sûr nous sommes tous des enfants de ce pays et je ne me laisserai pas faire. Qu’on arrête de vouloir tout le temps nuire à autrui. Il faut accompagner les initiatives. Je crois que le pays se construit avec l’apport de tous ses fils et filles. L’Etat à lui seul ne peut pas tout faire.

C.A. : Comment comptez-vous éponger les dettes contractées ?

A.J. : Une partie des dettes sera payée grâce aux recettes tirées de la vente des tickets d’entrée.

C.A. : Tout le temps, vous êtes inlassablement à l’affût de la créativité. D’où vous vient cette énergie ?

A.J. : Rires. Je suis une personne très passionnée de ce que je fais, une personne qui aime le changement. Quand je veux faire quelque chose, je veux qu’il soit bien exécuté. Peu importe le prix.

C.A. : « Deni-show » fait partie de vos premières créations. Parlez-nous de cet évènement.

A.J. : En 1990, lors d’une rencontre fortuite, j’ai échangé avec Moustapha Labli Thiombiano qui m’a parlé de sa radio Horizon FM. Je fais le test et je suis retenue comme animatrice. J’y suis restée jusqu’en 1998. Quand je suis partie, j’ai initié « Deni-show » qui permet aux enfants d’imiter des artistes. En 2007, j’ai estimé qu’il fallait que j’arrête, compte tenu de certaines difficultés que j’ai eues avec des partenaires financiers du projet dont j’ignore les raisons. Quand on veut vous mettre des bâtons dans les roues, il faut savoir s’arrêter à temps.

C.A. : Il y a eu d’autres innovations dont Miss junior intelligence…

A.J. : L’idée était de réaliser le rêve de certaines fillettes pour devenir miss. Mais l’originalité de cette activité était qu’elles obtiennent d’abord de très bonnes moyennes en classe comme condition de participation. Par la suite, c’est devenu Ambassadrices juniors de l’intégration. Avec ce nouveau concept, chaque pays de l’espace CEDEAO devait désigner ses deux meilleures jeunes filles admises au Certificat d’études primaires (CEP) pour affronter celles des autres. La compétition se tenait chaque année dans un pays de l’espace. A la fin, les meilleures gagnaient des bourses de maintien dans le cursus scolaire. Mais en 2015, nous avons arrêté à cause de l’insécurité.

J’ai également initié l’émission télévisée, « LET’S DANCE ». C’est un concours de danse intergénérationnel où des personnes de 8 à 70 ans rivalisaient dans les anciennes danses. Depuis quatre ans, on a mis en marche la soirée Blanche caritative en soutien aux enfants atteints du cancer du Centre hospitalier universitaire Yalgado-Ouédraogo. Il y a aussi « Défis juniors », un autre projet où les enfants présentent le journal télévisé en français et dans quatre principales langues du Burkina Faso.

C.A. : A une certaine période, vous avez été « manager » d’un garçon, Madson junior. Comment cela a-t-il commencé et pris fin ?

A.J. : J’ai fait la connaissance de ce garçon de sept ans en 2003 lors d’une soirée au Centre culturel français Georges-Méliès de l’époque. Il courrait dans tous les sens. Je l’ai appelé pour échanger avec lui. Puis, je l’ai déposé chez lui. Le lendemain, il m’a recontacté. Et c’est parti comme ça. Après, j’ai fait ses papiers et je l’ai adopté. Il a voulu faire de la musique et je l’ai soutenu. Il a participé au Kora en Afrique du Sud en 2003, une cérémonie de récompenses des meilleurs artistes du continent africain. Grâce à cette visibilité, il a été repéré par Claudy Siar de RFI qui en a parlé à un de ses amis, un producteur américain.

Le même qui a produit Alicia Keys à l’époque. Il était prêt à aider Madson Junior, s’il arrivait à se rendre aux Etats-Unis. Au cours d’une édition du FESPACO, Claudy Siar est venu à Ouaga et nous sommes allés en parler au ministre de la Culture, en son temps. On n’a pas eu de soutien. L’histoire s’est terminée ainsi. C’est triste. Il faut signaler que quand la musique de Madson passait sur les antennes de RFI, rares étaient les artistes burkinabè qui avaient cet avantage. C’est pour dire que s’il avait été soutenu, il allait réussir et aider d’autres à son tour.

C.A. : Si à l’international, ça n’a pas marché, ne pouviez-vous pas continuer sur le plan national ?

A.J. : Les moyens ne suivaient pas. Il a fallu lancer un SOS pour qu’il participe au Kora. Un jour, à la recherche de soutien, j’ai croisé une journaliste de la télévision nationale dans le bureau d’un responsable. Celle-ci a plaidé en notre faveur. Ce qui n’a pas plu au responsable qui a préféré nous remettre ce qui était destiné à la journaliste. C’est vraiment dommage. Sous d’autres cieux, avec tout le travail que nous faisons, nous ne serions plus à ce stade.
L’Etat ne peut pas tout faire. Mais il doit accompagner ceux qui ont de belles initiatives.

C.A. : Est-ce le manque de moyens, seul, qui a mis fin à l’ascension du petit ?

A.J. : Au manque de moyens, il faut souligner qu’il n’était pas facile à gérer. Madson Junior était un enfant vivant dans la rue. Les gènes de la rue ne disparaissent pas si facilement. Il faut du temps.

C.A. : Que devient-il aujourd’hui ?

A.J. : Dieu merci, il va bien. Il est avec moi. Madson a travaillé sur « Pays en lumière ». Il est actuellement DJ dans un maquis de la place. Il n’a pas totalement décroché avec la musique. Je lui ai conseillé de patienter. Il n’y a pas d’âge pour faire la musique.

C.A. : Vous vous êtes lancée dans la musique à travers le groupe « Les Premières dames ». Etait-ce une revanche après l’échec de votre protégé à percer dans la musique ?

A.J. : Rires. Non. Le concept « Les Premières dames » était un coup de folie. On voulait juste s’amuser, parce que c’était la tendance. Il y avait des groupes masculins comme « Le Pouvoir », « Le Gouvernement », « La Cour suprême ». On s’est dit que les femmes ne devraient pas être en marge. C’est ainsi que Maguy Oka, Kady Jolie et moi-même avons créé « Les Premières dames ». C’était juste une parenthèse. Rires.

C.A. : Vous avez, en 2005, assigné en justice un promoteur culturel. Que s’est-il réellement passé ?

A.J. : J’avais un ami qui m’a fait part d’un projet sur une cérémonie de récompenses des femmes leaders.
On l’a dénommée « Oscars de Yennenga ». L’idée était bonne et il fallait la retravailler. Un travail que j’effectuais avec des étudiants de l’université de Marseille qui venaient chaque année faire un stage sur « Deni Show ». Après, on a présenté le projet à une ancienne ministre. Elle était enchantée et s’est chargée d’en parler à certaines structures et à la première Dame de l’époque, Chantal Compaoré. Après avoir longtemps attendu sans qu’elle ne nous fasse signe, nous sommes repartis la voir.

Elle nous a fait savoir que le projet n’emballait pas les gens. Nous avons récupéré nos papiers. Nous les avons déposés au Bureau burkinabè des droits d’auteurs (BBDA) afin de nous mettre à l’abri de toute surprise désagréable. Un jour, je sollicite l’aide d’une amie auprès de sa société en vue de réaliser ce projet. Elle me demande si je plaisante parce que la cérémonie est prévue dans deux jours. Et que la publicité passe à la télé. Je constate que c’est la même chose que mon projet. J’ai cherché à comprendre. Je prends un avocat. L’organisateur, un citoyen d’un pays de la sous-région, est interpellé à quelques heures de la cérémonie puis relâché sur un coup de fil
avec l’autorisation d’organiser sa manifestation. Je ne crois pas que je peux agir de la sorte dans un autre pays. J’ai gagné le procès, mais j’étais déçue. J’ai donc préféré abandonner
« Oscars de Yennenga ».

C.A. : Vous avez également donné du beau à voir sur le plan sportif, notamment en hand-ball.

A.J. : J’ai pratiqué le hand-ball en Côte d’Ivoire dès le primaire. Avant de jouer à l’Association sportive du Faso (ASFA-Yennenga), à Ouagadougou, je jouais à l’ASEC d’Abidjan. Mais à cause de mes problèmes de dos, j’ai abandonné.

C.A. : Que signifie « 1 000 femmes VDP, 1 000 Kits de dignité », une autre de vos trouvailles ?

A.J. : L’idée « 1 000 femmes VDP,
1 000 kits de dignité » a été lancée l’année dernière au profit des combattantes. Un kit est composé de serviette hygiénique, de savon, de paires de basket, … Le kit de dignité est une réponse à l’appel du Président du Faso, Ibrahim Traoré. Celui-ci nous invite à être VDP. Je me suis sentie interpellée. Si je ne pars pas au front, je peux initier quelque chose. Je lance un appel à tous les Burkinabè de se battre pour élever le nom du pays. Nous devons accompagner les autorités qui font des efforts pour sortir le pays de cette impasse.

C.A. : Des projets à l’horizon ?

A.J. : Pour le moment, mon association « Couleurs de vie » doit préparer « Défis juniors » pour les vacances. On va aussi penser aux fêtes de fin d’année. Les autres projets viendront après.

Entretien réalisé
par Habibata WARA