Campagne sèche sur la plaine de Soum: la riziculture contre vents et marées

Repiquage du riz sur une parcelle à Soum.

La riziculture peine à prendre son véritable envol dans le périmètre irrigué du Soum, un village de la province du Boulkiemdé, région du Centre-Ouest. La faute à des aménagements qui n’ont pas été réalisés dans les règles de l’art. Pour irriguer les rizières, c’est souvent la croix et la bannière. Des producteurs installés loin de la cuvette ont enregistré des pertes sèches à la campagne écoulée par manque d’eau dans le canal pour entretenir leurs champs. Pour la présente campagne, ils sont de retour dans la plaine pour tenter encore leurs chances.

Ce jeudi 13 mars 2025, le soleil distille ses rayons ardents sur la plaine rizicole de Soum, dans la province du Boulkiemdé (région du Centre- Ouest). Le barrage, cinquième plus grand ouvrage du genre au Burkina avec ses 155 millions de mètres cubes, serpente les collines pour disparaître dans les méandres des contrées lointaines. La première infrastructure visible à l’entrée du site est le canal primaire. Il est gorgé d’eau et se présente comme la ligne de démarcation entre le périmètre irrigué et la zone hors plaine.

La verdure a repris ses droits. Les mauvaises herbes et les cultures s’entremêlent. Des parcelles non encore mises en valeur, on en trouve aussi aux côtés des rizières. Le décor offre une campagne sèche quelque peu timide. Pour autant, des producteurs intrépides sont sur pied et semblent défier la canicule. Munis de dabas, ils labourent, désherbent et compactent la terre, d’autres repiquent le riz. Basile Kafando, lui, produit le riz sur un quart d’hectare (ha). Il s’évertue à arroser sa rizière. La tâche se révèle plutôt ardue.

L’eau, au lieu de mouiller toute la parcelle, coule vers la pente, inonde une partie et en prive l’autre. Comment le riziculteur compte-t-il s’y prendre pour corriger cette

Le chef de Soum, Kassoum
Guiguemdé : « les aménagements
n’ont pas été réalisés dans les règles de l’art ».

imperfection ? En tous les cas, lui seul détient le secret. « L’aménagement de la plaine comporte des failles. A cause de ces insuffisances,   nous   souffrons énormément pour produire le riz », se lamente Basile Kafando. Faire remonter l’eau dans son champ relève d’un parcours du combattant.

« Au départ, nous avons remarqué que le terrain n’a pas été nettoyé. C’est pourquoi, jusqu’à présent, il est difficile d’envoyer l’eau dans les parcelles  »,  explique-t-il.  M. Kafando parle même d’un échec de l’aménagement. Ce projet qui a démarré sous ses yeux en 2006 constitue, selon lui, un véritable serpent de mer. « Depuis le début du chantier de construction du barrage jusqu’à nos jours, les problèmes ne cessent de se multiplier », s’indigne- t-il. Malgré tout, il ne décolère pas.

En dépit de ces lacunes, il compte tirer son épingle du jeu. Juste à côté de son champ se dresse celui de Badabé Bassinga, un autre riziculteur. Contrairement au champ de M. Kafando, celui-ci est bien arrosé. Le producteur dit avoir fait usage de ses muscles pour changer la donne. « J’ai initié des travaux de réhabilitation qui ont permis d’aplanir le sol », indique-t-il. Face à ses efforts personnels, il a ainsi réussi à surmonter un obstacle de taille. De nos jours, irriguer ses cultures ne lui pose plus aucun souci. Sa parcelle est bien humidifiée et son riz se hisse bien au milieu de l’eau.

« On ne peut pas résoudre tous les problèmes en un laps de temps. Il faut aller par étape», conseille-t-il. A l’évidence, la riziculture à Soum peine à imprimer ses marques. L’aménagement étant défaillant, ce sont les producteurs qui en font les frais. Georges Guiguemdé se débat dans son champ de riz. Le moral en berne certes mais avec la hargne de réussir sa campagne. Il évoque des tensions récurrentes autour de l’eau, sources de nombreuses disputes entre exploitants. « Si nous étions bien organisés, chacun aurait son tour d’eau pour irriguer ses cultures. Hélas, ce n’est pas le cas », déplore- t-il.

Des dégâts causés par le tarissement du canal

Le problème d’eau est beaucoup plus criant chez les producteurs installés loin de la cuvette. Lorsque le niveau d’eau du barrage baisse, ils sont les premiers à ressentir les soubresauts. Parce que le canal qui les  dessert  se  tarit  vite.  Ce phénomène,  ils  le  craignent  au regard des dégâts qu’il a causés dans les champs l’année passée et qui restent fraîchement gravés dans les mémoires. Des cultures ont été détruites par manque d’eau pour les entretenir avec à la clé, des producteurs aux abois.

Certains ont engrangés de maigres récoltes. La majorité, elle, est rentrée bredouille. D’autres encore, en désespoir de cause, ont fauché les tiges sèches de riz pour nourrir leurs animaux. Salif Ramdé a assisté, impuissant, à ce fléau qui a ravagé tout un ha de son riz. Faute d’eau pour l’entretien du champ, les plants ont séché. « La campagne sèche écoulée n’a pas été bonne. J’ai subi des pertes », se souvient-il amèrement. Ousséni Kiendrébéogo, riziculteur installé tout près de là, a vécu le même calvaire. Il aurait préféré ne pas ressasser les mauvais souvenirs de ladite campagne mais difficile de ne pas en parler. « Tous mes efforts sont tombés à l’eau », rappelle-t-il.

Salif, lui, se garde de spéculer sur ses dépenses. Le chef coutumier de Soum, Naba Tigré (Kassoum Guiguemdé à l’état civil), déclare être au courant de la mésaventure des riziculteurs sur la plaine. Derrière le bonnet rouge qu’il coiffe fièrement sur la tête se cache son talent d’agriculteur. « Etre chef ne m’empêche pas de cultiver. J’ai mon champ personnel que j’exploite. Ce n’est pas comme dans l’ancien temps où le champ du chef était labouré par les gens du village », rappelle-t-il, nostalgique de cette belle époque où le

Salif Ramdé, riziculteur : « la
campagne sèche passée n’a pas bonne»

bonnet était bien respecté dans la société. Des histoires intéressantes et captivantes qui retiennent l’attention de ses visiteurs mais le temps fait défaut. A en croire le chef, il n’est pas attributaire d’un lopin de terre dans la zone dédiée à la riziculture. Cependant, précise-t-il, aucune information émanant de cette partie de la plaine ne lui échappe. « Les gens me font le point chaque fois quand ils ont des soucis sur le terrain», signale-t-il. Celui qui, depuis le lycée voulait devenir journaliste, pointe un doigt accusateur sur la qualité des aménagements. Le chef du village impute la responsabilité aux entreprises qui les ont réalisés. « Les aménagements n’ont pas été faits dans les règles de l’art. Il y a certaines parcelles où l’accès à l’eau est un casse-tête », martèle-t-il.

Il renchérit en dénonçant d’autres cas de mauvaise exécution de travaux qui impactent négativement la production rizicole. Il s’agit notamment des fuites d’eau au niveau du canal primaire et des sites inondés en permanence qui ne permettent pas aux riziculteurs de s’y installer. Le vœu le plus cher du chef est qu’une situation similaire à celle de la campagne écoulée ne se reproduise plus jamais dans la plaine. « J’assure que plus de la moitié des producteurs n’ont pas bien récolté », dévoile-t-il.

Et de poursuivre : « on sait que l’eau ne peut pas arpenter une colline. Donc, si on ne fait pas un bon planage, il va sans dire que l’eau ne pourra pas remonter dans les parcelles ». Salif Ramdé est du même avis. Il a un exemple sous la main, celui de son propre champ, situé dans la zone la plus exposée à la pénurie d’eau. « Quand vous regardez la plaine, le terrain n’est pas homogène. Certains endroits sont élevés par rapport à d’autres. Ce qui fait que l’eau arrive difficilement dans les parcelles », fait-il remarquer.

La présente campagne sèche est à sa dernière ligne droite. La bonne pluviométrie enregistrée durant la campagne humide rassure les exploitants sur le risque d’assèchement du canal principal. Un nouveau défi est donc lancé à leur endroit. Celui de contribuer, grâce à leurs efforts, à la souveraineté alimentaire à travers l’initiative présidentielle et l’offensive agropastorale et halieutique. Ousséni Kiendrébéogo prépare sa parcelle pour le repiquage du riz. Il avait confié le labour à un tractoriste, mais celui-ci a décliné l’offre à la dernière minute. « Il a dit que les diguettes que nous avons élevées au milieu de notre champ ne sont pas de nature à lui faciliter la tâche.

Je lui ai dit qu’il peut les raser complètement pour pouvoir avancer mais il est resté droit dans ses bottes », regrette-t-il. Alors que la campagne humide se profile à l’horizon, il sent qu’il est en retard. En lieu et place du tracteur ou du motoculteur, M. Ouédraogo, la cinquantaine révolue, s’est résolu à accomplir le travail par la force de ses bras. Pour le repiquage de son riz, il entend s’attacher les services des Personnes déplacées internes (PDI).

Poser un bon diagnostic

Une station de pompage en panne.

D’une rizière à une autre, le constat reste le même. La disponibilité de l’eau et du matériel agricole constitue une préoccupation majeure. Marcelin Bassolé est arrivé dans ce périmètre irrigué l’année dernière. Il est bien vrai que ses efforts n’ont pas été couronnés de succès mais il n’est pas prêt à jeter aussitôt l’éponge. « Comme on veut travailler, on n’a pas d’autre choix que de rester dans la plaine », souligne-t-il. C’est dans ce contexte plus ou moins incertain que Georges Guiguemdé a aussi regagné son site de production. Loin de se décourager, il est persuadé que cette fois-ci sera la bonne. M. Guiguemdé souhaite que les autorités explorent toutes les pistes devant conduire à la résolution des équations. La pénibilité du travail a contraint Salif Ramdé à solliciter l’appui du tracteur. Mal lui en a pris. « Le tractoriste a refusé de labourer mon champ.

J’ai fait appel à un autre qui, à la limite, a bâclé le travail », dénonce-t-il. Sidéré, M. Ramdé dit ne plus savoir à quel saint se vouer. Toutefois, ses regards sont tournés vers les autorités qui ont enclenché une nouvelle dynamique consistant à trouver des alternatives aux multiples maux qui minent la plaine. Georges Guiguemdé pense qu’il est temps de siffler la fin de la recréation. La relance des activités est bel et bien entamée. De ce fait, nous confie-t-on, les encadreurs agricoles travaillent sans relâche, parfois privés de leurs jours de repos.

Dans cette optique, la direction régionale en charge de l’agriculture a promis aux producteurs du matériel d’irrigation destiné à siphonner l’eau du canal pour arroser les cultures en cas de panne du système gravitaire. Ce matériel, constitué essentiellement de motopompes et accessoires, n’est pas encore arrivé. D’autres initiatives avaient été auparavant entreprises afin de pallier les insuffisances de l’aménagement. Il s’agit notamment de la construction des stations de pompage. Malheureusement, ces infrastructures restent, pour l’instant, hors service.

Contacté, le directeur régional en charge de l’agriculture du Centre- Ouest, Antoine Zorma, n’a pas répondu favorablement à notre requête. De nos échanges au téléphone, il parle d’une relance avec quelques difficultés sur le terrain. « Si vous revenez dans deux mois, nous aurons quelque chose à vous montrer. Sinon actuellement, si nous vous accordons une interview, qu’allons-nous dire ? », s’interroge- t-il. Une chose est sûre. Si le diagnostic est bien posé avec de bonnes solutions, la riziculture prendra sans conteste son véritable envol à Soum.

Ouamtinga Michel ILBOUDO

omichel20@gmail.com