Barrage de Soum, dans le Boulkiemdé: le typha s’invite dans la retenue d’eau

Petit à petit, ces herbes denses sont en train d’envahir le lit du barrage.

La cinquième plus grande retenue d’eau du Burkina Faso ne se porte pas à merveille. Quinze ans après sa mise en eau, le barrage de Soum, dans le Boulkiemdé, région du Centre-Ouest, est envahi par le typha, une herbe dangereuse qui engage son pronostic vital. Pour l’instant, toutes les actions de lutte entreprises pour venir à bout de cette « gangrène » n’ont pas produit les résultats escomptés. Constat.

Mardi 11 mars 2025 au barrage de Soum, dans la commune  de  Nanoro, province du Boulkiemdé. Malgré la canicule, les berges grouillent de monde pour les activités maraichères, tandis que quelques pêcheurs voguent sur le plan d’eau en quête de poisson. Mais au-delà, un phénomène étrange attire l’attention.

Les berges et le lit de la retenue d’eau semblent noyés dans une forêt ininterrompue de plantes herbacées. Au fur et à mesure que l’on s’y approche, un rideau d’herbes géantes, avoisinant trois mètres de hauteur, se dresse. Difficile de s’aventurer ou de se frayer un chemin dans cet écran de végétaux qui empêche parfois d’admirer le plan d’eau. Cette herbe dénommée typha ou massette, est un roseau invasif qui est en train de coloniser progressivement le barrage de Soum.

On se croirait dans un champ de petit mil, tellement il y a des similitudes. L’inflorescence de l’herbe qui est fixée au bout d’une longue tige, a une forme d’épi cylindrique. Cet épi allongé et dense s’éclate et se répand lorsqu’il est à maturité. En longeant les bassins versants de l’ouvrage hydraulique, le constat est ahurissant. A certains endroits, il n’y a que le typha qui dicte sa loi. Aucune autre espèce ne pousse à ses pieds. Les monticules de terres engendrées par l’ensablement, les rigoles creusées dans le lit du barrage par les maraichers et les milieux humides sont les endroits propices à la prolifération du typha.

A vue d’œil, les épis du typha s’apparentent à ceux du petit mil.

Hamado Kaboré est un producteur maraîcher dont le jardin est installé dans la bande de servitude depuis plus de dix ans. Dans sa parcelle, l’oignon, le maïs et les agrumes se côtoient. Entre son champ et le plan d’eau, se dresse une muraille de typha. Hamado s’inquiète de la progression rapide de cette espèce végétale qui risque d’engloutir, à court terme, son espace de production. Avant, argumente-t-il, il n’y avait pas cette herbe qu’il qualifie de mauvaise. A l’écouter, ce sont ces quatre ou cinq dernières années que le typha a commencé à prendre de l’ampleur. « Cela a commencé par une touffe d’herbes au bord de l’eau et progressivement, elle a envahi le lit du cours d’eau et les berges », se souvient-il, l’air médusé. Ce n’est pas seulement la prolifération  de  la  plante  qui préoccupe le producteur. Il y a aussi d’autres désagréments qui viennent se greffer.

Diminution du volume d’eau

A entendre Hamado, les riverains ont du mal à déposer de l’eau dans un récipient au moment de la maturité du typha. Car, ses épis se détachent sous forme de coton et couvrent la surface de l’eau, grâce à l’action des vents. Même le plan d’eau du barrage n’y échappe pas, alors qu’aux dires de M. Kaboré, certains riverains boivent cette eau. En outre, il dit avoir l’impression que l’eau du barrage s’amenuise au regard du développement fulgurant de la massette. Tout comme lui, ils sont nombreux à penser que l’ouvrage n’a plus sa capacité initiale de stockage de 155 millions de mètres cubes.

C’est aussi le constat fait par le chef  coutumier de Soum, Naaba Tigré, pour qui le rétrécissement de la capacité de rétention d’eau du barrage n’est plus un secret. Pour lui, même sans être un spécialiste du domaine, le constat est amer. « On remarque que ces herbes denses créent des monticules dans l’eau qui accentuent l’envasement de l’ouvrage », souligne-t-il, d’emblée. Producteur rizicole sur la plaine aménagée, le chef de Soum a assisté à l’implantation et à la mise en eau de l’infrastructure dans les années 2010. Il raconte qu’à cette époque, c’est au niveau du déversoir qu’une touffe d’herbes a été aperçue.

Beaucoup pensaient à une plante ornementale mais au fil du temps, elle s’est propagée et a envahi d’autres espaces. « Comme on ne connaissait pas la plante et vu sa prolifération rapide, on l’a qualifiée de mauvaise herbe. Tout ce qu’on savait d’elle, est qu’elle ressemble au petit mil », indique le responsable coutumier. A son avis, ce sont peut- être les engins de l’entrepreneur qui ont dû trimballer les grains du typha d’autres zones jusqu’à Soum, au moment de la construction du barrage. « Au début, si on avait su que c’était une herbe dangereuse, on allait la combattre à temps », regrette-t-il. Mais trop tard, le typha s’est répandu en un laps de temps. Naaba Tigré pense que l’action éolienne a aussi contribué à cette propagation.

Progressivement, le typha réduit la capacité de rétention d’eau du barrage de Soum.

Chaque  année,  les  populations riveraines entreprenaient des actions de reboisement sur les berges du barrage. Mais ces cinq dernières années, elles ont changé leur fusil envahissante. Selon les propos du chef de Soum, cela a consisté à couper le typha sur plusieurs hectares et à le brûler par la suite. Mais contre toute attente, il a repris ses droits dès les premières pluies en régénérant de plus belle. Ses propos sont corroborés par la plupart des maraîchers qui occupent les berges. Dans le souci de protéger leurs espaces de production, eux aussi initient des actions ponctuelles contre le typha qui jouxte leurs parcelles. Mais peine perdue.

« De façon spontanée, nous coupons et brûlons ces herbes régulièrement. Malgré tout, elles résistent. Elles repoussent et grandissent vite comme si on leur apportait de l’engrais. Notre objectif est de les faire disparaître, car elles constituent aussi des refuges pour les gros reptiles », témoigne le producteur d’oignon, Hamado Kaboré. Outre la coupe, il y a aussi l’arrachage qui a été expérimenté par nombre de producteurs mais toujours sans succès. Naaba Tigré estime que c’est parce que les rhizomes du typha vont en profondeur dans le sol que l’arrachage est difficile. « En plus, comme ce sont des herbes touffues, les racines s’entremêlent et compliquent davantage l’extraction », fait-il remarquer.

Une herbe résistante

Babou Bayili, maraicher sur la plaine aménagée, avoue ne pas comprendre pourquoi le typha résiste à toutes les formes de lutte. Tout en indexant une colonie dense de typha non loin de sa parcelle, il dit ne plus savoir le nombre de fois que ces plantes herbacées ont été coupées et brûlées. Mais à vue d’œil, elles donnent l’impression de n’avoir jamais reçu un coup de machette. En apparence, le typha n’est pas non plus bien appété par les animaux. Des bœufs, des moutons, des ânes, etc. sillonnent chaque jour les berges de la retenue d’eau mais ils préfèrent se ruer vers d’autres herbes au détriment du typha. Ce sont plutôt ses jeunes pousses qui sont quelques fois appétées.

Les spécialistes de l’eau, eux, soutiennent que les plantes du typha coupées ne doivent pas être brûlées. De l’avis du Directeur régional (DR) de l’eau et de l’assainissement de l’environnement du Centre-Ouest, Mamoudou Kandé, ce serait un simple transfert de pollution. « Après l’arrachage du typha, au lieu de le brûler pour polluer l’air, c’est mieux de l’utiliser pour fabriquer du compost ou du charbon écologique », conseille    l’inspecteur    de d’épaule en orientant leurs efforts vers la lutte contre le typha qui ne cesse de s’étaler.

Organisés en association, les jeunes se sont mobilisés pour livrer une bataille sans merci contre cette herbe  l’environnement. Cette solution a déjà été prise en compte à Soum mais elle n’est pas encore opérationnelle. Le chef de Soum se souvient qu’une fois, une dame est venue former la population aux techniques de fabrication de charbon écologique à base de typha. Et le président des pêcheurs de Soum, Baoyigsom Guigmdé, de préciser que la majorité des participants était des femmes, mais faute de matériel, elles n’ont pas encore commencé le travail.

Les rigoles creusées dans le lit du barrage par les maraichers sont des endroits propices au développement du typha.

Afin de barrer la route au typha, l’Agence de l’eau du Mouhoun qui couvre le barrage de Soum, vole parfois au secours des acteurs engagés dans la lutte. A ces occasions, informe Naaba Tigré, quelques hectares de typha sont désherbés. Toutefois, la lutte semble être de longue haleine, au regard de l’ampleur de l’herbe qui s’étend sur plusieurs hectares. « Dans d’autres localités, le typha a détruit des barrages. Si on n’y prend garde, cela peut nous arriver », prévient le responsable coutumier de Soum. Pourtant, rappelle-t-il, cette retenue d’eau, cinquième plus grande du Burkina Faso, offre d’énormes opportunités aux populations locales.

« En plus des animaux, il y en a parmi nous qui boivent l’eau du barrage. Grâce à lui, nous produisons en campagne sèche et pratiquons la pisciculture. En somme, le barrage nous permet de lutter contre l’insécurité alimentaire et la pauvreté », relève Naaba Tigré. Dans le combat contre le typha, les populations estiment qu’il faut redoubler d’effort et mobiliser de gros moyens. Le chef de Soum  confie que l’an passé, le Comité local de l’eau (CLE) a mené une opération en collaboration avec les populations des communes de Kordié, Nanoro et Soaw pour couper le typha. Certaines herbes se trouvant au beau milieu du plan d’eau, il a fallu le concours des pêcheurs qui ont apporté des pirogues. Des bottes, des gants, des machettes, etc. ont aussi été utilisés comme matériel de travail. De cette synergie d’actions, quatre hectares de typha ont pu être désherbés.

Bannir les mauvaises pratiques agricoles

Le pêcheur Baoyigsom Guigmdé reste convaincu que la superficie dégagée allait être plus grande si les moyens mis à leur disposition étaient conséquents. « A certains endroits dans l’eau, personne ne pouvait pénétrer les touffes d’herbes qui étaient très denses. Nous y avons découvert des cobras qui empêchaient notre progression », relate-t-il. La présence du typha dans le lit du barrage affecte énormément les pêcheurs qui voient leur marge de manœuvre se réduire de façon continue. Selon leur président, en plus d’être un refuge pour les sauriens, les reptiles et autres oiseaux granivores, ces végétaux aquatiques constituent également un abri permettant au poisson d’échapper aux pêcheurs.

Naaba Tigré, chef de Soum : « si on n’y prend garde, notre barrage risque de disparaître ».

Le chef de service régional de l’assainissement des eaux usées et excrétas du Centre-Ouest, Daouda Ouédraogo, est formel : la prolifération du typha au barrage de Soum est due aux mauvaises pratiques agricoles qui sont en vogue sur ses berges et dans son lit. En  effet,  signale-t-il,  plusieurs maraîchers ont pris d’assaut la bande de servitude de la retenue d’eau pour des activités agricoles.

Ce constat, nous l’avons également fait lors de notre passage où des cultures jardinières, notamment l’oignon et la tomate, s’étendent à perte de vue. D’autres ont même creusé des rigoles dans le lit du barrage pour rapprocher l’eau de leurs parcelles. La plupart de ces excavations sont devenues des lieux propices au développement du typha. M. Ouédraogo accuse aussi les engrais chimiques non homologués que les producteurs utilisent de participer à la   propagation   rapide   des « mauvaises herbes ». « Ces herbes ont des conséquences terribles sur la ressource en eau, puisqu’elles contribuent à diminuer le volume d’eau stocké dans le barrage, tout en dégradant l’ouvrage », insiste-t-il. Et le DR chargé de l’eau de renchérir que les engrais chimiques créent les conditions favorables à cette prolifération, parce qu’ils provoquent une pollution azotée.

Pour sa part, Daouda Ouédraogo recommande aux maraichers d’adopter des pratiques culturales saines qui respectent les bandes de servitude, à savoir 100 mètres à partir de la ligne des plus hautes eaux. C’est-à-dire le point où l’eau est censée atteindre quand le barrage est en crue. Pour combattre efficacement le typha, il suggère une lutte multiforme et multisectorielle.

« Chacun doit apporter sa contribution, sinon les techniciens seuls n’y peuvent rien », se convainc-t-il. C’est également l’avis du DR Mamoudou Kandé qui prône une lutte mécanique et intégrée. Tout en exhortant les populations locales à y adhérer, il sollicite l’appui de son ministère de tutelle, car, prévient-il, à un moment donné, les actions ordinaires ne pourront plus.

Mady KABRE

dykabre@yahoo.fr

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