Irrigation des mangueraies dans le Kénédougou : une nouvelle arme contre le changement climatique

Dans le Kénédougou, rarement les plantations de manguiers sont irriguées. Elles gardent toujours un visage traditionnel qui ne permet pas une production de type industriel. Pourtant, la province, surnommée « le verger du Burkina », tire sa renommée de l’arboriculture fruitière. Face aux effets du changement climatique et à un marché de plus en plus exigeant en termes de qualité, les producteurs sont obligés de revoir leur méthode de travail. Çà et là, des vergers de manguiers modernes commencent à pousser comme des champignons.

Samedi 12 avril 2025 à Kourinion, commune rurale située à une quinzaine de kilomètres de Orodara, dans la province du Kénédougou, région des Hauts-Bassins. Malgré quelques pluies tombées dans la localité au mois de mars dernier, un soleil accablant s’abat sur le village. La canicule oblige les habitants à se réfugier, soit sous des hangars, soit dans l’ombre épaisse des arbres. Dans les environs, des vergers de manguiers et d’agrumes impressionnent. Nous sommes en plein cœur du « verger du Burkina » (surnom donné à la localité) où l’arboriculture fruitière se taille la part du lion dans les activités agricoles. La campagne des orangers et autres tangelos vient à peine de terminer. Celle de la mangue, quant à elle, est à ses débuts. Dans la plupart des mangueraies, les arbres portent ostensiblement leurs fruits, preuve d’une bonne saison. Mais au constat, la majorité des vergers de manguiers, excepté les agrumes, n’est pas irriguée.

Grâce à l’irrigation, Moussa Traoré, promoteur de verger moderne à Fampagalé, arrive à faire de bons rendements.

A quelques encablures du village, Moussa Traoré, la cinquantaine, possède un verger de 30 hectares (ha) dont 15 ha de manguiers et 5 ha d’agrumes. Nonobstant la présence d’un forage dans sa ferme, les manguiers ne sont pas arrosés. La faute à un débit très faible de cette source d’eau, pourtant acquise au bas mot à sept millions F CFA, selon ses dires. L’honneur revient aux agrumes d’être irrigués mais là aussi, de façon intermittente. Pour continuer de profiter de son forage, Moussa Traoré utilise une partie des interlignes pour produire des cultures maraichères, grâce à un système d’irrigation goutte-à-goutte. Le producteur reconnait les bienfaits de l’irrigation sur les arbres fruitiers, surtout pour les agrumes où il fait deux récoltes par an. Les manguiers ne doivent pas non plus être en reste. « L’irrigation améliore la productivité des manguiers et la qualité de leurs fruits », affirme-t-il. La preuve, à l’écouter, est que les pieds de manguiers qui sont situés à proximité de la zone irriguée se distinguent nettement par leur bonne physionomie et leur abondante production. « Par campagne, je peux récolter 100 tonnes de mangue. Mais si le verger était irrigué, j’allais engranger 150 tonnes, voire plus », se convainc-t-il. Les variétés de mangue telles que Amélie ou Gouverneur, communément appelée greffe, Brooks ou mangue retard, Lippens ou Timi timi en Dioula et Kent se disputent le verger de M. Traoré. D’ailleurs, c’est ce samedi 12 avril qu’il débute la cueillette de la variété Kent. A vue d’œil, la moisson s’annonce bonne, comparativement à la campagne écoulée où la canicule a joué négativement sur la productivité des arbres.

Défaut de moyens financiers

A un jet de pierre de là, se dresse le verger de Drissa Traoré, le chef du village de Kourinion. Vaste de 37 ha, on y trouve des anacardiers, des agrumes, un site maraicher et des manguiers (27 ha). Il est bordé par un cours d’eau. En dépit de cette faveur naturelle, les manguiers ne sont pas irrigués. Seuls les agrumes et le périmètre maraicher ont cette chance. Pourtant, estime Drissa Traoré, cette rivière est capable de lui fournir la quantité d’eau nécessaire pour arroser toute la superficie de son verger. Puisqu’elle est intarissable. Mais hélas. Les moyens financiers, selon lui, font défaut pour acquérir une motopompe performante à cet effet. Le producteur souligne que ses manguiers ne veulent même pas d’un arrosage à plein temps, mais juste un minimum. « Quand on regarde les manguiers qui sont proches des agrumes, les fruits sont plus qualitatifs que ceux qui sont éloignés. Même si ce n’est pas tout le verger de manguiers, l’idéal serait d’avoir quelques hectares irrigués », souhaite-t-il. Le responsable traditionnel reste persuadé que l’irrigation des mangueraies tient à cœur tout arboriculteur dans la localité. Car, justifie-t-il, contrairement à ce que peut penser l’opinion publique, le Kénédougou enregistre chaque année de grosses pluies mais subit toujours les coups de la sécheresse. « Dans notre province, outre la canicule, il y a une mauvaise répartition des pluies due aux effets du changement climatique. Nous pouvons avoir trois ou quatre bons mois de pluie, avec de grandes quantités d’eau, mais qui ne profitent pas aux arbres. Parce que la période de sécheresse est très longue, se situant entre huit et neuf mois », déclare Drissa Traoré.

Béma Traoré déplore le faible débit de son forage qui l’a contraint à suspendre l’irrigation de ses manguiers.

Avec les manifestations du changement climatique qui impactent négativement la productivité des arbres fruitiers, les arboriculteurs sont obligés de revoir leur méthode de travail. De plus en plus, on assiste à la création de vergers modernes de manguiers, avec l’aide de certains partenaires. Ces fermes sont munies de forages avec un réseau d’irrigation et respectant les itinéraires techniques de production. Béma Traoré fait partie de ces privilégiés qui ont pu créer ces nouveaux types de vergers grâce au soutien du Programme d’appui aux filières agro-sylvo-pastorales (PAFASP). Avant d’accéder à sa plantation, il faut arpenter une élévation. Difficile de croire que des arbres fruitiers peuvent survivre sur ce sol caillouteux. Mais contre vents et marées, Béma Traoré a pu faire pousser des pieds de manguiers dans ce milieu aride. Sur les lieux, les variétés Brooks, Lippens et Kent présentent une fière allure. Bien alignés, les arbres portent des mangues presque matures. Ce verger de 5 ha, implanté en 2015, est entièrement irrigué. Un château d’eau métallique, des plaques solaires, des tubes PHD qui serpentent aux pieds des manguiers, etc. constituent le matériel qui sert à assurer l’irrigation dont le système adopté est le goutte-à-goutte. Le promoteur, qui dit avoir eu l’appui du PAFASP à hauteur de 30 millions F CFA dont 3 millions de contribution personnelle, ne cesse de louer ce projet, sans lequel sa mangueraie n’aurait pas réussi. « L’irrigation permet à tous les plants de survivre et d’avoir des fruits de qualité. Ce sont de jeunes manguiers d’abord mais par campagne, je peux récolter entre cinq et six tonnes. Alors que si ce n’était pas arrosé, je n’allais jamais atteindre cette quantité », dévoile-t-il, sourire aux lèvres. Toutefois, cet air de satisfaction est vite étouffé lorsque nous abordons les contraintes liées à l’irrigation. De prime abord, l’on constate que les goutteurs n’émettent plus de jets d’eau aux pieds des manguiers, laissant découvrir un sol totalement asséché sous l’effet de la chaleur. Le château d’eau, lui, commence à être gagné par la rouille tandis qu’une partie de la tuyauterie est endommagée à la suite de l’exposition aux intempéries et autres rongeurs.

Des performances grâce à l’irrigation

Actuellement, Béma Traoré a arrêté d’irriguer ses arbres. La raison, il l’impute à un débit très faible de son forage qui est de cinq mètres cubes par heure (5m3/h). « Pourtant, la nappe phréatique est bien fournie. Seulement, mon matériel, notamment les plaques solaires et la pompe immergée, n’est pas performant », soutient-t-il. En outre, avance-t-il, comme les arbres ont grandi, leur besoin en eau s’est accru. Ne pouvant pas satisfaire à cette nouvelle exigence des manguiers, le promoteur a dû suspendre l’irrigation, quatre ans seulement après la mise en place du verger. « Si on n’arrive pas à apporter la quantité d’eau nécessaire à chaque arbre, les fruits tombent. Donc c’est mieux d’arrêter d’irriguer », éclaire-t-il.

Pour minimiser les coûts, le chef du village de Kourinion, Drissa Traoré, suggère de réaliser des forages communs pour les producteurs partageant les mêmes frontières.

Ses propos sont soutenus par Moussa Traoré, précédemment président de l’ex-Chambre régionale d’agriculture (CRA) des Hauts-Bassins. Lui aussi bénéficiaire d’un verger moderne de 5 ha, créé en 2015 grâce au soutien du PAFASP, il a actuellement cessé d’arroser ses manguiers. « Le manguier a besoin d’eau les deux ou trois premières années de plantation. S’il franchit cette étape, il n’en a plus tellement besoin », indique-t-il. Contrairement à Béma, Moussa dispose d’un forage dont le débit est impressionnant : 20 m3/h, l’équivalent de 200 barriques à l’heure. Au moment où ses manguiers étaient irrigués, chaque arbre recevait 16 litres d’eau tous les cinq jours. Ce qui semble trop à ses yeux. C’est lui qui a volontairement arrêté l’irrigation de la mangueraie au profit des agrumes. Dans son verger de manguiers à Fampagalé (commune de Kourinion), ce lundi 14 avril, deux principales variétés se partagent la poire en deux : 2,5 ha pour la Kent et autant de superficie pour la Brooks. Malgré la suspension de l’arrosage, la physionomie des fruits augure une bonne récolte. Le promoteur dit attendre 40 tonnes environ pour l’ensemble de la Brooks et entre 20 et 30 tonnes pour la Kent dont la cueillette est prévue pour fin avril. Il reconnait que c’est grâce à l’irrigation qu’il a pu atteindre ces performances. En plus, mentionne-t-il, elle a permis de mettre en place un système de plantation à haute densité (400 plants/ha). L’espacement entre les arbres étant de cinq mètres. Moussa Traoré justifie le choix des deux variétés de mangue par leur facilité d’écoulement sur le marché.

Contrairement à ce que pensent les producteurs, le Directeur provincial (DP) des Eaux et forêts du Kénédougou, le commandant Idrissa Sanou, soutient qu’un manguier doit consommer entre 50 et 120 litres d’eau par jour. Ses besoins, avance-t-il, varient selon les saisons et les stades de son développement. « La consommation d’eau augmente pendant la phase de croissance active et celle de développement des fruits et baisse pendant la floraison », précise M. Sanou. Pour lui, si le manguier est sur un terrain où la nappe phréatique est superficielle, comme c’est le cas au Kénédougou, son système racinaire lui permet de tirer l’eau facilement. Alors, on aura l’impression qu’il n’en a pas besoin.
Parmi les bénéficiaires des vergers modernes du PAFASP, figure également le chef du canton de Kourinion, Santa Ernest Traoré. Sur son site de 5 ha, la même scène est observée : arrêt total de l’irrigation. Au constat, le verger n’est pas homogène en termes de réussite des plantes. Le sol semble aride, le matériel d’irrigation à l’abandon, la tuyauterie endommagée. Toutefois, certains arbres brandissent des fruits fort appréciables. Trois variétés de mangue à savoir Kent, Brooks et Amélie y sont produites.

L’irrigation des manguiers, une nécessité

Le promoteur étant en déplacement, c’est au téléphone qu’il raconte ses déboires : « j’ai arrêté l’irrigation à cause d’une panne de matériel. Celui-ci a été installé en 2015 sans protection et la foudre a endommagé le coffret et la pompe immergée la même année. Comme je ne savais pas, j’ai remplacé le matériel endommagé et il y a eu un deuxième incident qui a encore touché le coffret mais pas la pompe. Cela a freiné mon élan ». Cette série d’incidents malheureux a contraint le promoteur à arrêter l’irrigation. Mais ses soucis ne se limitent pas là. « A la deuxième année, j’ai enregistré beaucoup de dégâts de rongeurs sur la tuyauterie. Sans oublier les contractuels qui blessent les tuyaux avec leurs machettes lors des travaux de désherbage », ajoute-t-il. Santa Ernest Traoré compte reprendre l’irrigation de son verger mais après l’avoir fertilisé.
Ancien président de l’Union nationale des producteurs de mangues du Burkina Faso, de 2011 à 2020, Paul Ouédraogo, arboriculteur et transformateur basé à Orodara, donne les raisons de l’intérêt porté par les arboriculteurs sur l’irrigation de nos jours. Il explique qu’à la campagne 2016-2017 de la mangue, les arbres ont bien fleuri et les fleurs ont chuté par la suite. Ne comprenant pas ce phénomène étrange, les acteurs de la filière ont organisé un symposium pour débattre de la question.

Selon le DP chargé de l’agriculture du Kénédougou, Gassi Lougué, les pluies tombées en mars dans la localité ont fait du bien aux arbres fruitiers.

« Beaucoup ont parlé de vieillissement des arbres. Mais un ingénieur agricole a démontré le contraire. Pour lui, ce sont les effets du changement climatique qui ont provoqué la chute des fleurs », détaille M. Ouédraogo. A l’époque, note-t-il, il y a eu un bond de la température qui a coïncidé avec la floraison. Les arbres avaient donc besoin d’eau. C’est à partir de là, relève-t-il, que les arboriculteurs ont senti la nécessité d’aller à l’irrigation des vergers de manguiers pour avoir une production optimale. C’est dans cette optique que le PAFASP a subventionné la création des vergers modernes. Paul Ouédraogo estime ces vergers irrigués à 1 235 ha, répartis sur le territoire national. Ils viennent s’ajouter aux 33 000 ha de vergers de manguiers déjà existants. Par la même occasion, rappelle M. Ouédraogo, les ingénieurs agronomes ont aussi suggéré le renouvellement des vergers de manguiers par des tailles de fructification et d’entretien.

Les pannes du matériel d’irrigation sont généralement la cause du découragement des arboriculteurs.

Au-delà des tailles, d’autres ont opté de remplacer les vieux manguiers par de jeunes plants plus productifs.
A entendre le DP de l’Agriculture, des Ressources animales et halieutiques du Kénédougou, Gassi Lougué, l’irrigation des manguiers n’était pas ancrée dans les habitudes des producteurs de la localité. Généralement, fait-il remarquer, les arboriculteurs plantent les jeunes manguiers en juillet ou en août, une période de pluie qui va les accompagner jusqu’en octobre pratiquement. Mais avec le changement climatique, la donne commence à changer. De nos jours, l’irrigation apparait comme une nécessité. Dans le cadre de l’Offensive agropastorale et halieutique 2023-2025, informe M. Lougué, le Programme de résilience du système alimentaire en Afrique de l’Ouest (PRSA) a accompagné quatre ou cinq producteurs du Kénédougou à implanter des vergers irrigués. Concernant le renouvellement des vergers, il révèle que sa province a bénéficié de plus de 2 000 plants de manguiers pour rajeunir 22 ha. Tous les producteurs sont unanimes que l’irrigation va contribuer à booster leurs rendements.
Toutefois, ils continuent de plaider pour que la mangue soit achetée au kilogramme dans les plantations.

Mady KABRE
dykabre@yahoo.fr

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