La CAN 2021 l’a rendu célèbre à cause de l’épisode de la fin du match de classement entre les Etalons et les Lions indomptables. Après une quinzaine d’année dans le football de haut niveau, Babayouré Aboubacar Sawadogo a dit stop.Le sous-officier de police de 35 ans s’est vite reconverti dans le coaching. Entraineur adjoint de l’AS police, le désormais ex-sociétaire du RCK, avec une vingtaine de sélections, fait un cours d’histoire sur sa longue et riche carrière.
En tant que gardien de but tu pouvais encore jouer 2 ou 3 ans dans le Faso foot. Pourquoi avoir décidé d’arrêter ta carrière en ce moment ?
Effectivement, je pense que j’ai toujours les jambes pour continuer. Après réflexion, j’ai jugé qu’il était temps pour moi de partager mes connaissances acquises durant toute
ma carrière. Cela, en plus des différentes formations d’entraineur que j’ai suivies. Je pense que j’apporterai plus à mes jeunes frères actuellement que de rester toujours sur le terrain. Ce sont entre autres raisons qui m’ont poussé à dire stop.

D’où est venue l’idée de devenir gardien de but ?
(Rires). Je vous raconte cette anecdote qui résume tout. J’ai commencé comme joueur de champ au collège. Un jour, notre gardien de but était indisposé. Pour pallier son absence au
match, je me suis porté volontiers volontaire pour garder les perches. J’ai fait un grand match et les choses se sont bien passées. Depuis lors, j’ai décidé de rester dans les buts.
Quelles sont les exigences de ce poste ?
D’abord, c’est la concentration et le travail. Un gardien de but doit travailler doublement plus qu’un joueur de champ. Il doit avoir le courage et surtout l’envie de travailler. Le travail est l’exigence première d’un gardien de but. Le football moderne exige qu’un gardien de but soit à l’aise balle au pied. C’est primordial. Tu as exercé plus d’une décennie
dans le championnat burkinabè.
Quels sont tes meilleurs souvenirs ?
Le meilleur souvenir reste sans aucun doute le but que j’ai marqué lors de la
dernière journée du championnat. Un but synonyme d’une victoire qui nous
avait permis d’être sacré champion du Burkina (NDLR : 2022). Je n’oublierai pas non plus le but que j’ai inscrit sur transformation d’un coup franc lors d’une coupe du Faso face à
IFFA Matroukou. Pour cette rencontre ci, je me rappelle que Le Père Kamou Malo avait refusé de me laisser sortir pour aller exécuter le coup franc parce que c’était presque
la fin du match. Dieu merci, je suis allé l’exécuter et j’ai fait gagner l’équipe à la dernière seconde.
Et les mauvais ?
C’est ma blessure contractée quand nous avons accédé à la première
division en 2009-2010. C’était ma première saison en D1. Malheureusement, dès mon deuxième match, j’ai eu une fracture.
Quels sont les entraîneurs et les clubs qui t’ont marqué dans ta carrière ?
Naturellement le RCK où j’ai fait pratiquement toute ma carrière. J’ai
tout gagné avec le RCK que j’ai intégré depuis 2009. Je suis resté fidèle à ce club. Concernant les entraineurs, il y en a beaucoup qui m’ont marqué. En commençant par
Kamou Malo que j’appelle affectueusement Le Père. Il y a feu Drissa Traoré Malo Saboteur, Oscar Baro, Amadou Sampo et Drissa Congo avec qui je travaillent
présentement à l’AS Police. Je n’oublie pas Firmin Sanou que j’appelle aussi affectueusement le tacticien.
Justement pourquoi appelles-tu Kamou Malo Le Père ?
Le Père tout simplement parce que quand je suis arrivé à Ouagadougou, je dirai que c’est lui qui a remplacé mon père. Je suis arrivé au RCK, alors en D2 en 2009. Kamou Malo est venu me trouver. J’étais le plus jeune des gardiens du RCK. Coach Malo m’a fait entièrement confiance. J’allais dire qu’il a eu l’audace de me placer dans les buts. Je me rappelle avoir disputé tous les matchs de la saison.
Après, il m’a nommé capitaine de son équipe. J’ai tout gagné avec lui. Même quand il s’agissait d’aller dans un autre club, je passais forcément par lui. Après ma formation à la police, pour que je puisse jouer en faveur du RCK après ma formation, il a fallu
qu’il intervienne. Je dois tout à ce monsieur et je l’appelle Le Père
Comment juges-tu le niveau de la Ligue 1 durant ta carrière dans ce championnat ?
Le niveau n’est pas mal mais, ce n’est pas arrivé. Nous devons encore nous
organiser. Nous pouvons faire mieux. Et cela commence par les infrastructures.
Que doivent faire les clubs et les autorités pour relever le niveau ?
Comme je vous l’ai dit tantôt, il nous faut des infrastructures. Ça manque au
Burkina Faso. Après, il faut une réorganisation au sein de nos équipes.
Vous imaginez un joueur qui se donne et il doit faire 4 à 5 mois sans revenu.
Je n’ignore pas que ce n’est pas facile chez les dirigeants également, du
moment où souvent, c’est une seule personne qui doit gérer l’équipe. C’est
pourquoi j’insiste sur la réorganisation. Il faut mettre au sein des structures des personnes qui aiment le football et qui vont accepter investir et gagner en retour. Le football est devenu un business. Il faut investir, espérer vendre un joueur et récupérer. Si nous nous réorganisons, le Faso foot sera encore meilleur.
Tu as tenté entre temps une courte carrière hors du pays. Qu’est-ce qui
s’est passé ?
J’ai été effectivement en Arabie Saoudite pour une saison dans une équipe de D2. Personnellement, ça s’est bien passé. Malheureusement en fin de saison, les dirigeants de la Ligue 2 saoudienne ont décidé de ne plus prendre un gardien étranger. Presque tous les clubs avaient des gardiens étrangers. Nous étions au moins une dizaine de titulaires. Ils ont
décidé subitement de valoriser les gardiens locaux. C’est ce qui explique mon retour au bercail. Aussi, j’étais en disponibilité à la police pour une saison. J’ai eu après des contacts hors du pays. Mais, les conditions n’étaient pas très alléchantes. J’ai donc décidé de revenir et de continuer ma carrière dans le Faso foot.
Quel a été l’apport de ton corps, la police, durant ta carrière de
footballeur ?
La police a été déterminante dans ma carrière de footballeur. J’ai intégré ce
corps en 2013, après par une formation de deux ans. Après la formation, il fallait maintenant se consacrer au football. Heureusement que j’ai eu de bonnes personnes qui m’ont aidé. Elles m’ont permis d’aller jouer et même à aller monnayer mes talents ailleurs. Vous me tendez la perche pour remercier toute la
hiérarchie policière.
Pendant que mes frères d’armes sont au combat, nous sommes là d’une autre manière pour aider et permettre aux gens d’oublier beaucoup de choses. Une pensée au commissaire principal Syalé Palm. En son temps, c’est lui qui m’a permis d’aller jouer à l’extérieur. Je dis également merci au directeur général, au directeur de la DSAC, mon chef de service. C’est grâce à eux que je suis toujours Babayouré. Tu as été parfois convoqué chez les Etalons.
Expliques-nous la sensation et le processus d’intégration d’un
joueur évoluant dans le championnat burkinabè au sein des Etalons où la
majorité joue à l’extérieur ?
Extraordinaire ! Je souhaite que mes frères qui sont dans le Faso foot vivent cette expérience avec la sélection nationale. Se retrouver avec les professionnels est inexplicable. Il faut le vivre.
Quand je suis arrivé en sélection, j’ai trouvé les ainés tels que Charles Kaboré, Aristide Bancé, Bakari Koné et j’en passe. Je n’imaginais pas jouer avec eux un
jour. Je suis arrivé au centre de Daouda Sanou Famoso tout petit quand Charles Kaboré le quittait.C’était comme un rêve pour moi de jouer avec ces aînés. En plus de cela, défendre les couleurs du Burkina Faso a été un honneur pour moi.
Comment s’est déroulée ton intégration dès la première
convocation ?
Ma première sélection ne m’a pas surpris à partir du moment où j’étais le meilleur gardien du Faso foot. J’ai remporté les différents prix pour le poste de gardien de but. Seulement, quand j’ai intégré la sélection pour la première fois, j’ai eu un peu peur du fait que j’étais le joueur local parmi des professionnels. Cette peur est vite passée et la suite fut extraordinaire. Parlant de Babayouré les Burkinabè, surtout ceux qui ne te connaissaient
pas, retiennent le match de classement de la CAN 2021 au Cameroun. Un match qui t’a rendu célèbre.
Qu’est-ce qui s’est passé ce jour-là ?
Depuis ce jour, je suis devenu une star (Rires). Il y a des choses qui se passent en sélection qu’il ne faut pas propager. Je veux parler du secret des vestiaires. C’est la raison pour laquelle depuis lors, je n’ai pas voulu polémiquer sur ce match face au Cameroun. Beaucoup de choses se sont passées. Je pense que certains sont mieux placés pour l’expliquer. Peut-être que je pouvais faire mieux et je n’ai pas pu. Je m’en veux de ne pas avoir pu offrir cette 3e place au Burkina Faso. Il faut être un gardien de but pour comprendre cela. Beaucoup ne peuvent pas le comprendre parce qu’ils sont focalisés
sur la victoire.
Avant cette CAN, j’étais le deuxième gardien. J’ai joué quatre à cinq matches des éliminatoires en l’absence d’Hervé Koffi blessé. Koffi est revenu terminer les éliminatoires. Arrivé à la CAN, je suis devenu le troisième gardien pour ne pas dire le quatrième. Les deux premiers que sont Hervé Koffi et Farid Ouédraogo étaient blessés. Il restait Kyllian Nikièma et moi. J’ai pris la décision de rentrer quand Farid s’est blessé. Sinon, je n’étais pas le troisième gardien. Je voulais faire quelque chose de grand pour mon pays. Je n’ai pas pu. Ça s’est retourné contre moi. C’est la volonté de Dieu. Je le prends ainsi. La vie
continue.
Cette après CAN a été certainement un choc pour ta famille ?
Tout à fait ! Ça n’a pas été facile, surtout du côté de la maman. Elle a été touchée moralement. Comme toute mère, elle ne supportait pas les attaques à mon égard. Souvent, j’essaie de lui expliquer que tout cela va passer. Entre temps, elle a compris que tout le monde n’était pas contre moi. Mon épouse également n’a pas pu supporter. Par la suite, j’ai pu les convaincre toutes.
Avec cette expérience, comment faire pour trouver des ressources mentales afin de rebondir comme tu as su bien le faire ?
Mon mental de policier m’a sauvé. Aussi, il y a eu de bonnes personnes qui me sont restées fidèles. Elles m’ont soutenu. Elles m’ont beaucoup parlé. Je pense à mon chef de service François Zongo. Il s’est déplacé chez moi. Nous avons échangé. Je suis resté moi-même. Anecdote pour anecdote, à mon retour de la CAN, j’ai dit à mes coéquipiers du RCK qu’il nous faut remporter le titre de champion du Burkina. Je leur ai dit que je voulais être champion pour prouver à certains qu’ils se sont trompés. Dieu faisant bien les choses, nous avons terminé à la première place. Cet épisode de la CAN Camerounaise t’as rendu célèbre chez les enfants qui clamaient ton nom à la fin de tes matchs en championnat.
Quels sont les sensations qui t’ont animé lors de ces
moments ?
(Rires) Cela m’a permis quelque part de ne pas sombrer. Je pense
particulièrement aux enfants. Partout où je vais, les « Babayouré gaandé »
fusent de partout. Cela m’a permis de rester moi-même. C’est d’ailleurs
pour cette raison que j’ai décidé entre temps de créer un camp vacances
uniquement pour les enfants. C’est un environnement dans lequel je me
retrouve très bien. Je leur dis merci de m’avoir permis de rester dans la bonne
direction.
Avec le recul, regrettes-tu ton temps de passage en équipe nationale ?
Pas du tout ! Je ne regrette pas un instant mon passage en équipe nationale. Il y a eu des bons et des mauvais souvenirs. Je ne retiens que les bons. L’équipe nationale m’a
permis de côtoyer pas mal de personnes et de me faire des relations.
Elle m’a aussi permis de me battre pour mon pays. Quand vous entendez
entonner le Ditanyè dans un stade, c’est quelque chose d’extraordinaire, d’inexplicable.
Comme reconversion, tu as décidé d’embrasser une carrière d’entraîneur. Cette idée a-t-il germé à quel moment ?
L’idée de coacher a germé depuis mon bas âge. Avoir connu à mes débuts un grand monsieur comme Daouda Sanou Famoso y est aussi pour quelque chose. Je me rappelle qu’à l’époque, il n’acceptait pas que nous l’appelions coach mais plutôt Monsieur à l’instar des professeurs. Avec lui, j’ai beaucoup appris. Après, j’ai obtenu la licence D d’entraineur il
y a de cela maintenant quatre ans.
Tu es aujourd’hui le coach adjoint de l’AS Police, en D2. Quels sont vos objectifs en ce début de saison ?
Nous sommes dans une refondation de l’équipe de l’AS Police. L’équipe a été remaniée à plus de 85%. Nous avons un projet sur trois-quatre ans. Nous allons créer des équipes de jeunes et celle féminine. Nous avons un nouveau président dynamique qui vient d’être porté à la tête de l’équipe. Il s’agit du commissaire Armiyaho Zongo. Nous allons travailler pour que dans les quatre ans à venir, l’AS Police soit une équipe comme l’AS Douanes, l’USFA, ou l’AS SONABEL.
C’est l’objectif qui nous a été assigné. Je voulais profiter de vos colonnes pour dire merci au peuple burkinabè. Merci au public sportif. Ça n’a pas été certes facile, mais, nous pensons avoir fait de notre mieux pour le rendre heureux. C’est de dire vraiment merci à ce peuple, merci également à ce beau public, à tout le public sportif. Merci à tous mes dirigeants et aux différents coaches qui m’ont vu passer. Mes
remerciements vont aussi à la presse avec qui nous avons passé de bons moments. Je n’oublie pas ma famille, grâce à qui je suis resté moi-même.
Interview réalisée par Yves OUEDRAOGO
