Adresse à la Nation du Président Damiba : « Le bilan est mitigé », Laurent Kibora, expert en sécurité

Chercheur sur les questions sécuritaires liées à l’extrémisme violent et sur la radicalisation, Laurent Kibora, analyse, dans cette interview, les grands axes du discours du chef de l’Etat, Paul-Henri Sandaogo Damiba.

Sidwaya (S) : Comment analysez-vous le discours du président du Faso ?

Dr Laurent Kibora (L.K.) : A mon avis, il y a eu un effort de sincérité, de la redevabilité et de la résilience dans ce discours. Autrement dit, cette allocution marque un nouveau départ à partir des leçons du passé. Nous devons changer dans nos manières de faire si nous voulons obtenir des résultats plus positifs.

S : Comment trouvez-vous la gestion de la Transition en rapport avec la crise sécuritaire à l’aune de ce discours ?

L.K. : En ce qui concerne la gestion de la crise sécuritaire, d’importants efforts ont été consentis. Le président lui-même l’a souligné. Il fallait remobiliser la troupe. Et, c’est dans ce sens qu’il a effectué de nombreuses sorties sur le terrain pour soutenir, encourager, motiver les Forces de défense et de sécurité (FDS). Deuxièmement, il y a ces réformes qui ont été entreprises parmi lesquelles le nouveau maillage du territoire afin d’apporter une réponse plus efficace à la lutte contre l’hydre terroriste. Mais, les attentes sont toujours nombreuses. Les résultats ne reflètent pas l’attente des populations. Et il faut être sincère sur cet aspect. Les populations ont fait confiance au MPSR qui est dirigé en grande partie par des militaires. Pour elles, la situation devrait, pour ce faire, connaitre un début d’amélioration. Il ne faut pas se voiler la face. Mais, nous ne devons pas également tomber dans la critique stérile. Il faut néanmoins avoir le courage de dire que ces efforts déjà consentis doivent être renforcés. Pour trancher dans le vif, on dira tout simplement que les résultats sont en deçà des attentes de la population.

S : Le président a réitéré son appel aux groupes combattants à déposer les armes. Quel commentaire faites-vous de cette politique ?

L.K. : Cette politique du dialogue avec les groupes armés radicaux est à encourager. Il faut essayer. Nous sommes dans une situation où toutes les initiatives allant dans le sens de la paix et la sécurité sont les bienvenues. Il faudrait que les populations fassent des critiques constructives et non celles qui détruisent. Quand vous prenez l’histoire de l’Algérie, c’est le pays qui a beaucoup expérimenté les résolutions du phénomène terroriste. Il a engagé le dialogue. Il y a eu des djihadistes qui ont été amnistiés. Il y a eu beaucoup d’efforts qui ont été faits dans ce sens et cela a payé. Je ne pense pas que dans un premier temps tous les groupes armés radicaux tendent la main à l’Etat ou qu’ils se démobilisent et déposent les armes. Mais, même si on a une ou deux personnes qui déposent les armes, cela est déjà encourageant. Petit à petit, nous parviendrons à ramener nos frères et sœurs qui ont emprunté ce chemin qui ne les arrange pas. Mais, cette option de déradicalisation peut prendre du temps ou même s’avérer difficile. C’est le cas, par exemple, de Boko-Haram au Nigéria. Jusqu’à présent, il est très difficile de convier ce groupe à la table du dialogue. Mais, ce n’est pas pour autant que l’Etat a renoncé à cela. En revanche, nous avons la chance, hormis les groupes armés terroristes, d’avoir des combattants qui acceptent déposer les armes et dialoguer. Nous devons donc soutenir cette stratégie.

S : Alors, quel bilan pouvez-vous dégager globalement des actions menées en faveur de la lutte contre le terrorisme et que doit-on retenir concrètement ?

L.K. : En ce qui concerne le bilan, je trouve qu’il est mitigé. Dire que le bilan est acceptable, c’est se voiler la face parce que les problèmes demeurent. Si on nous dit également que le bilan est catastrophique, c’est comme si l’on sabotait ses propres efforts. Quoi que l’on dise, il faut reconnaitre qu’il y a eu d’énormes efforts qui ont été faits. Il y a eu des opérations dans le Centre-Nord, au Nord et à l’Est. Il y a des politiques de renforcement des capacités des FDS et en les adaptant à la guerre asymétrique. Pour cette première tranche de la Transition, on peut dire que le bilan est passable. Ce que nous devons retenir, après avoir écouté le discours du chef de l’Etat, est que la Transition semble demander à la population de lui accorder une autre chance. Dans son discours, le chef de l’Etat a parlé des devanciers, Naaba Koom II, Ouezzin Coulibaly, bref de notre histoire commune. Et aucun Burkinabè ne peut rester insensible à cette partie de son histoire, ni à la combativité ni à la bravoure des devanciers qui ont lutté face au péril qui planait sur l’avenir de la Haute-Volta. C’est donc un message pour appeler à l’unité, au sursaut patriotique afin de lutter ensemble main dans la main. Il n’a exclu personne. C’est aussi un discours d’inclusion parce qu’il a cité tous les anciens chefs d’Etat jusqu’au président Roch Marc Christian Kaboré.

En d’autres termes, il s’agit d’un discours fédérateur pour appeler à la cohésion nationale. Car, il est difficile de venir à bout de l’hydre terroriste dans la division. L’autre message du Président Damiba a consisté à rappeler aux Burkinabè qu’en dépit de la récurrence des attaques terroristes, de nombreux efforts sont consentis. Autrement dit, « nous nous battons, nous n’allons pas croiser les bras, des efforts sont faits ». Les efforts commencent à être perceptibles. Et les plus fins observateurs le savent : il est difficile de régler le problème du terrorisme en cinq mois. Mais, je pense que tout ce que souhaite la population, c’est un langage de vérité, une culture de la redévabilité afin de susciter un sursaut patriotique basé sur la vérité.

Entretien réalisé par Soumaïla BONKOUNGOU O

umar Paténéma OUEDRAOGO

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