Afrique du Sud : Malema, «fils» de Hani et de Biko

Les élections générales du 8 mai 2019 en Afrique du Sud, qui ont vu la victoire de l’ANC avec un peu plus de 57% des suffrages exprimés, ont confirmé un fait d’importance pour l’Afrique du Sud de demain (fait passé sous silence par les médias occidentaux et pour cause) à savoir la percée remarquable du parti de Julius Malema, les combattants de la liberté économique qui s’ en tire avec 10,7% des voix, alors que lors du scrutin passé, celui de 2014 Malema et les siens étaient au ras des pâquerettes.

Si les médias occidentaux n’en ont pas fait leurs choux gras, c’est bien parce que le « petit » et des militants constituent la menace la plus sérieuse pour la suprématie blanche dans l’Afrique du Sud postapartheid, une menace jadis incarnée par Steve Biko et Chris Hani deux leaders de la communauté noire, qui n’avaient pas la même vision que la direction de l’ANC dans la dévolution puis la gestion du pouvoir dans la Nation Arc-en-ciel (?).

Chris Hani d’abord (né Martin Thembisile Hani), secrétaire général du parti communiste Sud-africain et chef militaire de Umkhonto we Sizwe, branche armée de l’ANC, n’était pas clairement avant son assassinat en 1993, favorable à l’association au plus haut niveau de l’establishment blanc dans la gestion du pouvoir fraîchement dévolu aux noirs.

Instruit par une période d’apartheid pendant laquelle il avait vu ses frères noirs souffrir le martyre dans les townships (ghettos Sud-africains dont Soweto est le plus emblématique) et de son parcours personnel fait de misères de privations et d’exil (en Angola notamment où il a combattu auprès d’Agosthino Neto et le MPLA contre Jonas Savimbi), Hani avait compris que son peuple ne pouvait être défendu par un pouvoir «multicolore».

Il prônait donc à bon droit, l’insurrection généralisée contre le gouvernement blanc ce qui lui vaudra d’être assassiné le 10 octobre 1993 par Janusz Salis, à l’instigation d’un député du parti conservateur blanc, Cline Derby Lewis.Steve Biko ensuite, qui avait porté sur les fonts baptismaux le Mouvement Conscience Noire qui préconisait une émancipation des noirs par eux-mêmes.

Ledit mouvement s’ opposait donc au fait qu’une « minorité de colons impose un système entier de valeurs aux peuples indigènes » et préconisait « la libération psychologique avant celle physique », une philosophie qu’il avait héritée des penseurs Williams Du Bois, Marcus Garvey et plus près de nous Franz Fanon le «docteur haïtien» de la révolution algérienne.

Malgré sa stratégie non violente (plus par réalisme que par conviction au vu de la réalité du terrain) son mouvement est persécuté, et, lui-même finira par être arrêté avant de mourir en détention le 12 septembre 1977 dans des conditions troubles. Comble du cynisme, le ministre de la Justice d’alors, le boer Jimmy Kruger dira sans sourciller que sa mort le laissait «froid» (sic).

Et, comble de malheur, ce sont ses propres frères qui l’assassineront une seconde fois en 2003, avec une décision de justice qui «éteignait» les poursuites contre les policiers poursuivis dans ce crime odieux, «pour manque de preuves».

Un disciple de Mugabe

C’est que cette justice sud-africaine, tout comme de nombreux autres secteurs notamment celui de la finance, de l’agriculture et des mines est jusque-là aux mains des Blancs, plus de vingt ans après la fin de l’apartheid. Le fait le plus illustratif étant que cette communauté et « assimilées » (indiens notamment) détient 80% des bonnes terres alors qu’elle ne représente que 20% de la population.

Affaibli et «attendri» par 27 années de prison et «saoulé» d’honneurs et de prévenance par la communauté internationale à sa sortie de prison (on se rappelle son accueil princier à Londres par la Reine Elizabeth II) Nelson Mandela n’a pas su ou pu s’attaquer à cette inégalité emblématique alors qu’il avait le magistère et la légitimité pour le faire.

Une position qui avait déjà à l’époque divisée l’ANC entre durs et modérés, les premiers étant incarnés par Thabo Mbeki et les seconds par Jacob Zuma qui se posait ainsi en héritier de l’Amazoulou Chaka, le brasseur de peuples du XIXe siècle. On comprend du reste rétrospectivement pourquoi le règne de Zuma a été émaillé de scandales de corruption et de faits divers sur lesquels la décence nous interdit de revenir sauf pour dire que l’Occident est prête à s’asseoir sur ses propres principes chaque fois qu’il s’agit de «dégommer» un nègre récalcitrant.

Toute chose qui nous permet de «déboucher» sur un autre rebelle, Julius Malema, ancien poulain de Zuma entré en dissidence et qui se réclame entre autres de Thomas Sankara dont il n’a pas cependant la même retenue devant l’argent -roi.

Peu importe, le jeune «trublion» ancien président de la ligue de jeunesse de l’ANC dont il fut exclu pour indiscipline et propos incendiaires (il avait entre autres tirades, traité un journaliste blanc de cafre et de bâtard à la solde des exploiteurs du peuple) se veut un disciple de Mugabe dont il ne cesse de vanter la politique de réforme agraire et foncière tout en partageant son discours de «complot néocolonialiste».

Une politique agraire et foncière qu’il a qualifiée de «courageuse, correcte et réussie» et qu’il s’est promis de mettre en œuvre une fois qu’il accédera au pouvoir. Une hypothèse que nombre d’observateurs qualifiait de fiction et qui tend vers le réel au fil des différents scrutins.

Alors donc qu’il avait engrangé peu de voix en 2014, voilà son parti troisième force politique du pays à l’issue des élections du 8 mai avec 10,7% des suffrages.
Quand on sait que le parti démocratique du «nègre de service» Mmusi Maimane (c’est le parti des Blancs qui l’ont mis à sa tête pour rogner une partie de l’électorat noir) a peu de chances d’évoluer au-delà des 20% des voix, on peut affirmer sans risques que Malema constitue la plus grande menace pour l’ANC dans les années à venir.

En effet, l’impatience et la colère montent au sein de la population noire, face à un chômage de masse et aux inégalités sociales qui persistent. Conscient de cela, Cyril Ramaphosa a promis que le parti ferait sa révolution pour répondre aux aspirations des masses populaires, mais, la trop grande connexion de ses cadres avec les milieux bancaires et d’affaires incitent à la prudence.

Dans tous les cas, que ce soit l’ANC ou Malema, l’Afrique du Sud ne saurait faire trop longtemps encore l’économie de cette «révolution démocratique et populaire» qui doit suivre toute lutte d’émancipation. L’histoire des peuples nous l’enseigne, et, ce n’est pas pour rien que Malema se fait appeler Sankara. Vision et pragmatisme, la marque des grands hommes politiques et des fondateurs de Nations. Chaka le Conquérant doit se retourner de plaisir dans sa tombe.

Boubakar SY

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