Arnaque via le placement en ligne : Quand « Timex trading » réussit son coup à Manga

Timex trading proposait des taux d’intérêt élevés pour attirer les investisseurs.

L’investissement en ligne a connu un regain au premier trimestre de l’année 2021, à Manga, chef-lieu de la région du Centre-Sud. « Timex trading » a été, entre autres, une plateforme de placement via le net qui a attiré plusieurs personnes, motivées par un retour alléchant sur investissement proposé. Mais l’entreprise qui allait plumer jusqu’au dernier centime ses collaborateurs a soigneusement préparé son coup, en usant d’artifices et de faux.

«Timex trading, c’est 2.5 de votre investissement chaque jour et 300% de votre investissement en 120 jours payés ». Cette note de présentation, écrite en caractère gras sur le haut de page d’un des liens Facebook de la société est succincte et pour le moins que l’on puisse dire, très affriolante. Comme beaucoup d’autres plateformes d’investissements que les internautes mangalais ont découvertes en surfant sur la toile ou de bouche à oreille, au début de l’année 2021, Timex trading se présentait comme un « HYIP », « High-Yield Investment Program », en anglais ou encore « Programme d’investissement à haut rendement » en langue française.

Comme son nom l’indique, elle promet un rendement plus élevé que ce que les investissements habituels peuvent fournir, en général, au Burkina Faso, très peu au-delà de 7% du placement, selon les données publiées sur le site de l’Agence UMOA titres. A Timex trading, la mise minimale est de 25 dollars US, soit environ 13 750 francs CFA, qui donne droit à un gain journalier de 0,62 dollars US, soit environ 341 francs CFA et en fin de contrat après 120 jours, un gain total de 75 dollars US, soit environ 41 250 francs CFA correspondant à 300% de la mise. Le plus gros pack disponible est de 10 000 dollars US équivalent à 5 500 000 francs CFA environ, qui permet à l’investisseur d’obtenir, à échéance, 30 000 dollars US, soit environ 16 500 000 francs CFA.

Pour ceux qui réussissent à parrainer de nouveaux adhérents, ils obtiennent un retour sur investissement qui leur permet de remplir rapidement leur palier avant les 120 jours prévus. Mais cette option, Timex trading l’a rendue facultative, contrairement à d’autres plateformes du genre. Un business très lucratif donc pour les adhérents, tout comme les « leaders », les parrains de plusieurs investisseurs, qui rêvent tous de voir fructifier leurs économies. Par quel moyen Timex trading procède-t-elle ? Ismaël, nom d’emprunt d’un trentenaire qui a souhaité garder l’anonymat, dit ne s’être pas trop intéressé au sujet, lorsqu’il misait, le 22 février 2021, ses 200 000 francs CFA qui devraient lui rapporter en principe un total de 600 000 francs CFA.

Mais sur sa page Facebook, Timex trading faisait savoir qu’elle fait du trading forex ou marché des changes, qui implique l’achat et la vente des devises. Elle dit aussi faire du « trading sportif » c’est-à-dire des « paris sportifs » et l’arbitrage en crypto-monnaie qui consiste à acheter et vendre les monnaies cryptographiques ou virtuelles telles que le Bitcoin (BTC) et l’Ethereum (ETHER), réalisant ainsi des profits. Timex trading se vante même d’avoir sous sa coupe « une excellente équipe de traders professionnels du monde formée par un groupe de traders Bitcoin de 5 grands pays, Royaume-Uni, Japon, Russie, États-Unis et Australie », comme on peut le lire dans l’une de ses publications.

Une explication qui sonnait vraie pour Ismaël, surtout, dit-il, quand il réussit un premier test de retrait de 10 000 FCFA après que son compte a été crédité durant une semaine. Les dollars qu’il a amassés ont été d’abord transférés dans sa « Blockchain Wallet », un portefeuille électronique, puis à Xchange, un convertisseur de devises permettant de les convertir en francs CFA et enfin déposer dans son compte mobile personnel après soustraction des frais. Un procédé complexe mais « concret », se convainc-t-il davantage. Toutefois, comme beaucoup d’autres investisseurs, Ismaël était loin de se douter de la surprise que lui réservait Timex trading. Moins d’un mois après son intégration du groupe, l’entreprise mettait effectivement les voiles sans crier gare.Mais avant, elle avait su cacher son jeu avec un plan réglé comme du papier à musique.

Des approches subtiles

L’investigateur numérique à la BCLCC, Gérald Yirga appelle les internautes à la prudence.

Pour Ismaël, sa première imprudence qui l’a poussé dans le panneau, dit-il, c’est d’avoir cru que toutes les formes d’usage de la crypto-monnaie conduisaient à la fortune rapide. « Aujourd’hui, je pense toujours que la crypto-monnaie est une monnaie d’avenir et j’ai même entendu récemment que la CEDEAO s’est prononcée favorablement sur la question. Mais ce dont je suis actuellement convaincu, c’est qu’il ne faut pas rentrer n’importe comment dans la crypto-monnaie pour espérer s’enrichir », se défend-il.

La prudence qu’affiche Ismaël vis-à-vis des placements productifs en ligne grâce à la crypto-monnaie, vient a posteriori. Avant sa mésaventure, Timex trading a veillé à brouiller les pistes qui l’auraient conduit à une telle réflexion ou attitude. Notamment avec un début de contrat sans fausse note. Son compte était crédité, du mardi au vendredi, comme annoncé, de 7,5 dollars US (environ 4 125 FCFA). Consciente aussi de la course engagée contre la montre, Timex trading a jeté son dévolu sur les réseaux sociaux, un espace où foisonnent les potentiels investisseurs, peu ou pas avertis, en l’occurrence dans des contrées comme Manga.

Elle a ainsi essaimé les plus populaires, WhatsApp, Facebook et YouTube, à travers lesquels, une batterie de communication est déployée pour appâter. Sur Facebook, les leaders de la société de différents pays y faisaient miroiter sur les perspectives d’enrichissement et la crédibilité du site. Un compte nommé Gigi225 était particulièrement très prolixe, n’hésitant pas à exposer ses nombreux gains et ses retraits. Sur You Tube, des vidéos aussi fusent et appellent à oser le risque pour sortir de la pauvreté. « Qui ne risque rien, n’a rien », « Rendez-vous au sommet », « Investissez maintenant, Timex vous aide à réaliser votre rêve », sont, entre autres, expressions martelées par un autre youtubeur.

A Manga, un groupe de discussion WhatsApp intitulé « Timex liberté financière » réunissait des investisseurs de la ville qui interagissaient et découvraient régulièrement des images, sons et vidéos promotionnels de la société. Ce qui rassurait davantage plus d’un sur le choix opéré et contribuait à la propagande de la plateforme. Mais la ruée vers Timex trading à Manga, soutient Ismaël, est surtout précipitée par les témoignages véhiculés de bouche à oreille. Un avis tout aussi partagé par Noufou Ouédraogo, un autre investisseur de la plateforme qui, après avoir résisté, dit-il, à une première tentative d’enrôlement par un ami en 2013, puis une seconde en 2018, a fini par prêter le flanc au jeu en janvier 2021.

Dans l’exercice de séduction, les leaders de plateformes surtout étaient les plus décisifs. « Certains savent tellement s’y prendre que s’ils te parlent des avantages et de ce qu’ils gagnent là-dedans, tu risques d’aller contracter un prêt pour y investir. Et malheureusement je connais des gens qui l’ont fait », assure Ismaël, qui prétend avoir été aussi une de leurs « proies ». La promotion de la société de personne à personne ou à travers les connaissances et amis paraît spontanée mais, à la vérité, elle faisait partie intégrante de la sombre machination de Timex trading, aux dires du chef de service informatique à la Commission de l’Informatique et des Libertés, Malick Ouattara.

« Ces sociétés savent que les anciens investisseurs vont faire leurs éloges. C’est pour cette raison d’ailleurs qu’elles créent aussi le système de parrainage qui permet d’augmenter rapidement les gains du parrain. Donc, plus vous faites entrer des gens plus vous amassez rapidement de l’argent. Vous comprenez alors que ceux qui disent à leurs filleuls qu’ils veulent les aider à s’enrichir travaillent, en réalité, pour s’enrichir eux-mêmes d’abord. Et en même temps, ils font aussi le jeu de la société qui gagnent en nombre d’investisseurs », détaille-t-il.

Dimanche noir

Timex trading offrait la possibilité de souscription à plusieurs packs sur son site.

L’aventure de Timex trading avec ses investisseurs n’aura duré que quelque huit mois, jour pour jour, depuis sa création supposée à la date du 28 juillet 2020, comme mentionné dans l’une de ses publications sur Facebook. Pour Ismaël, le 28 mars 2021 qui a marqué la fin du parcours, a été un jour « sombre ». Il raconte : « c’était un dimanche. Le matin de bonheur, j’ai essayé d’accéder à la plateforme avec mon compte pour vérifier mon solde mais le lien n’existait plus. Ça affichait ‘’ce site est inaccessible ». J’ai contacté immédiatement d’autres personnes qui m’ont confirmé la même chose chez eux. Et là, j’ai compris que Timex trading a ‘’scamé’’ et je me suis rendu à l’évidence que j’ai été arnaqué Pour dire que la plateforme a cessé d’exister sur le net.

Les initiateurs s’envolent en général avec les fonds à leur disposition, fait comprendre Malick Ouattara. Pourtant avant le coup de grâce, des signaux s’étaient déjà allumés qui auraient dû alerter. Trois semaines avant le ‘’scam’’, Timex trading avait cessé de créditer les comptes mais en prenant le soin d’informer ses investisseurs sur la plateforme que le problème est temporaire et lié au fait que « les traders ont suspendu momentanément leurs activités à cause de leur participation à un carnaval au Brésil ». Puis une semaine après, le 15 mars 2021 elle change les règles de paiement. « Tout cela aurait dû mettre la puce à l’oreille des gens. La reprise était en fait un leurre.

C’était juste pour redonner confiance aux investisseurs et inciter les gens à miser encore. Et du coup, ils peuvent partir avec beaucoup d’argent. C’est une pratique propre à ces sociétés », confie le chef de service informatique de la CIL. Dans son sillage, Timex trading a laissé plusieurs victimes à Manga. Si Ismaël pleure aujourd’hui ses 200 000 F CFA qu’il aurait pu utiliser autrement, il dit compatir à la douleur de certaines de ses connaissances qui ont fait de plus grosses mises dans la même société.

Plus chanceux, Noufou Ouédraogo, lui, a pu récupérer son placement de 50 000 F CFA avec même quelques intérêts. « En réalité, c’est parce que j’ai fait au moins quelques mois dans la plateforme avant qu’elle ne ferme et puis j’ai eu à parrainer des gens aussi, donc mes gains ont augmenté rapidement. Mais je connais beaucoup de gens qui ont perdu tout ce qu’ils ont misé. Il y a même un ami qui a investi 200 000 FCA et le lendemain le site a disparu », confie-t-il. Aucune étude n’ayant été menée sur le sujet, des statistiques permettant d’évaluer le nombre exact de victimes de Timex trading ainsi que le préjudice causé n’existent pas.

Mais la société avait vraisemblablement eu la cote dans la ville, au début du premier trimestre de l’année, puisqu’elle a réussi, atteste Ismaël, à attirer des investisseurs d’autres plate-formes comme Xprime, Millionaire Circles, Liyepli-mal, PetronPay et Altine. Il confirme, d’ailleurs, une trentaine environ de victimes de l’arnaque dans « La cité de l’épervier », en se référant au nombre des membres du groupe WhatsApp où il figurait. Un chiffre très en-deçà de la réalité, précise-t-il. Les infortunés de l’aventure se comptent dans presque toutes les sphères socioprofessionnelles et plusieurs d’entre eux, dans les rangs des fonctionnaires du public, du simple agent aux cadres. En dépit des pertes enregistrées, les services de sécurité de la ville de Manga assurent n’avoir pas reçu de plaintes à ce propos. Pourquoi ?

« Peut-être parce que ceux qui sont victimes se disent que tout est perdu d’avance. La honte aussi pourrait y être pour quelque chose parce que certains ne voudraient pas que les gens découvrent qu’ils ont perdu si facilement de l’argent », tente d’expliquer M. Ouattara. « Le seul contact qu’on avait avec les responsables de la société est virtuel et c’est par mail. C’est à travers ce canal qu’on communiquait. On ne savait pas qui était derrière. Contre qui va-t-on porter plainte ? », interroge Ismaël qui rumine encore sa douleur.

Que du faux pour paraître vrai !

De l’avis du chef de service informatique de la CIL, Malick Ouattara, Timex trading faisait du Ponzi pour rémunérer ses investisseurs.

La Brigade centrale de Lutte contre la Cybercriminalité (BCLCC), basée à Ouagadougou et spécialisée dans les enquêtes sur les infractions en matière informatique ou au moyen des technologies de l’information et de la communication, a poussé ses investigations sur les prétendus responsables de Timex trading. Une plateforme, informe-t-elle, qui n’est, en réalité, pas à sa première apparition sur la toile puisqu’elle a déjà été mise en ligne en 2013 avant de disparaître au bout de quelques temps puis de réapparaître en juillet 2020 et de disparaître de nouveau en mars 2021. Selon l’investigateur numérique au sein de la BCLCC, Gérald Yirga, la signature au bas du slogan de l’entreprise porte généralement le nom, « Abdel Mahmoud ». « Mais nous pensons que l’identité n’est pas réelle et il s’agit certainement d’une personne fictive », indique-t-il.

L’origine ukrainienne dont se réclame également la société est, vraisemblablement, une autre fausse piste car « il n’existe aucun document sur son enregistrement en Ukraine », ajoute l’investigateur numérique de la BCLCC. L’argument sur la méthode de réinvestissement des fonds permettant de produire les bénéfices servis aux investisseurs seraient tout aussi fallacieux. L’entreprise assure faire du trading forex, du trading sportif et l’arbitrage en crypto-monnaies. Mais, elle userait plutôt d’une autre pratique commune aux HYIP, explique le chef de service informatique à la CIL. « Ces sociétés font généralement ce qu’on appelle le Ponzi.

C’est-à-dire que l’argent qui est redistribué aux premiers adhérents provient de l’investissement des nouveaux. Et c’est comme cela qu’elles arrivent à respecter dès les débuts les clauses de contrats. Mais ce système ne peut pas tenir dans la durée car s’il n’y a pas assez d’investisseurs, par exemple, il n’y aura plus d’argent pour le paiement et tout s’écroule », explique Malick Ouattara. Après sa mésaventure avec Timex trading, Ismaël dit avoir mis définitivement une croix sur les investissements en ligne et souhaite que l’Etat burkinabè les proscrive du paysage numérique à l’échelle nationale. Il estime d’ailleurs que l’accessibilité des plateformes sur le net participe à tromper des internautes qui les croiraient légales ou cautionnées par l’Etat. « C’est une erreur que les gens commettent en pensant que le fait qu’une plateforme est accessible sur le net est légale.

Le caractère légal est lié plutôt à la conformité des textes en vigueur », réagit M. Yirma. Concernant l’éventualité de l’assainissement du paysage numérique public desdites plateformes sur l’étendue du territoire national, l’expert de la BCLCC précise que l’option est certes « possible » s’il est avéré qu’elles agissent à l’encontre des textes en vigueur. « Mais la difficulté c’est que ces plateformes se créent à tout moment. Et il existe toujours des méthodes de contour-nement que les gens vont utiliser pour les rejoindre à cause de la recherche du gain facile. La meilleure recommandation, à défaut de l’abstention, reste la prudence et surtout, il ne faut investir que ce qu’on est prêt à perdre », fait comprendre Gérald Yirga.

D’ailleurs, pour aider à combattre le phénomène qui a fait, sur le plan national, plusieurs centaines de victimes et un préjudice de plus de 300 millions F CFA, selon les données de la BCLCC, M. Yirga appelle les victimes à porter plainte et à dénoncer les cas auprès de la Brigade. En cette fin de mois d’août 2021, plus aucun lien ne renvoie à l’ancien portail de Timex trading qui permettait la connexion aux comptes des investisseurs. Annuaire Cash ou Maniabook, des plateformes d’avis sur les sites et applications, l’ont même estampillé en rouge « ARNAQUE », comme pour prévenir les internautes dans l’éventualité d’une autre réapparition de la plateforme.

Mamady ZANGO

mzango18@gmail.com

1 COMMENTAIRE

  1. Il y a également Crowd1 qui sévi à Ouaga. Il faut que les services en charge de la cyber criminalité y jette un coup d’œil pour limité les dégâts quand ça va péter. À mon avis ça ne va plus durer à tomber.

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