Attention, mon voisin aussi veut démissionner !

Mon voisin aussi veut démissionner. Je ne sais pas quelle mouche l’a piqué mais depuis quelques jours, il ne cesse de crier sur son toit qu’il va rendre le tablier. Il est même en train de boucler sa lettre de démission, un virulent pamphlet digne d’un bouquin. Oui, cent pages, c’est le réquisitoire sans ambages jeté à la face hideuse d’une intégrité désabusée. C’est une litanie sans mélodie digne d’une agonie, un discours à la Nation, gribouillé dans la boue fertile de toutes ces tares qui nous mettent en retard. Je ne sais pas où travaille mon voisin mais visiblement, il est très remonté contre tout le monde et personne. Il m’a dit que la démocratie était une supercherie organisée et entretenue par une oligarchie de ploutocrates déguisés en patriotes. Notre démocratie ressemble à un grand plat de riz gras fumant autour duquel les escabeaux sont des places réservées. Notre démocratie, ajoute-t-il, est une plateforme de joutes oratoires acerbes et de tirs croisés où les contradictions et les invectives ne relèvent que de la fiction. Entre l’opposition et la majorité, il n’y a qu’un jeu de mots sur fond de jeu de rôles exécuté à la perfection devant un public dépourvu des codes et du mode d’emploi. Entre Tom et Jerry, il n’y a pas vraiment d’inimitié, point d’adversité, aucune rivalité ; il n’y a que le ridicule qui se marre dans une mare de larmes. Parce qu’en politique, il n’y a pas d’éthique ; il n’y a que la pragmatique et la rhétorique ; le sophisme et le machiavélisme. Je ne sais pas pourquoi mon voisin veut démissionner pour des convenances politiques. Puisqu’en politique, on simule comme au lit, sans scrupule, on manipule les crédules dans le sens des pendules pour paraître vrai, juste et bon. Mais en vérité, en politique, il n’y a de vérité et de sincérité que devant l’intérêt.

Mon voisin veut démissionner pour être en paix avec sa conscience qui ne cesse de le gronder. Je ne savais vraiment pas qu’on pouvait démissionner pour un cas de conscience. Il m’a dit que depuis l’entame de la lutte contre la corruption, il n’y a que verbiage et habillage, que de gros mots pour combattre de gros maux. Il semble que pour mieux lutter contre la corruption, il faut beaucoup d’argent, beaucoup d’hommes, beaucoup de lois, suffisamment de moyens logistiques, un cadre confortable de travail, sans oublier l’indépendance totale des institutions de lutte. Et puis, on ne lutte pas contre la corruption sur la base d’allégations et autres élucubrations ; il faut des preuves et sans preuve, on ne peut poursuivre, juger et condamner un corrompu, même si on retrouve une cantine de liasses sous son lit. Même quand on prend quelqu’un la main dans le sac, cela ne veut pas forcément dire qu’il est en situation de corruption ! La présomption d’innocence est plus sacrée que la prétention d’accusation. Et puis, nous sommes dans un Etat de droit ! Les marchés publics sont devenus un vaste marché de nuit en plein midi dans lequel se trament d’illicites transactions, mais suffisamment bien réfléchies pour abuser des textes. Selon mon voisin, la lutte contre la corruption est un leurre, un prétexte d’enrichissement illicite, puisqu’on paie des gens qui luttent vainement contre un phénomène réel avec des armes à balles blanches ou pire, sans minutions. Quand la lutte contre la corruption nourrit son homme, comment voulez-vous en venir à bout ? Pour lui, la lutte contre la corruption est un serpent de mer sans tête ni queue, trimballé sur la place publique et combattu à coups de tam-tam et de débats aux allures d’ébats. Voilà pourquoi la lutte accouche toujours des rapports mort-nés enterrés dans des tiroirs, sans suite judiciaire. Ici la corruption nourrit toute une chaîne de productions.

Alors silence, la lutte continue !

Mon voisin veut démissionner pour se réconcilier avec lui-même, loin des calculs mentaux politiciens. Il m’a dit que la vraie réconciliation nécessite du courage et de la sincérité. Parce que dit-il, on peut faire le tour du Faso, rencontrer tout le monde ; on peut organiser des conférences, des fora et autres assises ; tant que le cœur ne sera pas en phase avec la tête, tant que le passé sera plus présent que l’instant dans nos vies ; tant que la douleur restera plus vivace que l’oubli, il faudrait inéluctablement que la vérité vienne libérer nos âmes du fardeau de l’injustice, de la culpabilité, de la haine et de la vengeance. Et cette condition dépasse même la volonté périssable des hommes que nous sommes. Elle relève et incombe à nos esprits, à nos cœurs vaillants, à notre foi en un Dieu et en un monde meilleur. Bref, il y a des vérités qui font autant mal que le mensonge qui blesse ; mais ce n’est pas la faute du miroir qui reflète ce que nous sommes.

On peut se maquiller et même se faire faire un lifting, une mue complète sur une table d’opération pour paraître beau, plus beau ! On ne peut pas cacher sa laideur …

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