Benin : vider le dossier Madougou

Cela fait plus de trois mois et demi, que l’opposante béninoise, Reckya Madougou, croupit dans une cellule de la maison d’arrêt d’Akpro-Missérété, à la périphérie de Porto-Novo. Depuis le 3 mars, la candidate du parti Les Démocrates, principale formation politique de l’opposition, est poursuivie par la justice de son pays pour « association de malfaiteurs et financement du terrorisme ». Elle est accusée d’avoir financé un projet de meurtre de deux hommes politiques dans sa ville natale, Parakou, dans le but, selon le procureur, « de provoquer la terreur, le chaos et parvenir à faire suspendre le processus électoral ».

Depuis lors, c’est la descente aux enfers pour l’ex-ministre de l’ancien président béninois Thomas Yayi Boni. En effet, la protégée de l’ex-chef d’Etat est perçue comme la véritable bête noire du pouvoir en place. Sa candidature à l’élection présidentielle du 11 avril dernier avait été officiellement invalidée par la Commission électorale, faute d’avoir recueilli les 16 parrainages d’élus requis par la loi. Les déboires actuels de dame Madougou sont-ils l’aboutissement d’une machination politique orchestrée par le pouvoir en place ou la résultante de la turpitude d’une opposante aux grandes ambitions ?

En tous les cas, Reckya Madougou continue de clamer son innocence et nie connaître le colonel Touré, un gendarme à la retraite, présenté comme celui qui aurait dû être l’exécutant du crime. Les autorités judiciaires de leur côté, poursuivent leurs investigations. Elles explorent plusieurs pistes à l’effet de percer le mystère des fonds de la campagne de Mme Madougou. Des autorités togolaises et un homme d’affaires burkinabè sont soupçonnés d’être la « vache laitière » de l’ancienne conseillère en communication du président Faure Gnassingbé Eyadéma.

C’est donc une bataille judiciaire palpitante qui est en cours. Pour quand ? Mystère et boule de gomme, car aucune date n’a encore été programmée ? Néanmoins depuis sa cellule, l’ancienne ministre de la Justice organise sa défense à travers des notes et éléments de langage à l’attention de ses avocats. A propos, ces derniers ont décidé de donner de la voix. Une plainte a été déposée, le lundi 21 juin, par leurs soins. A travers cette citation, la défense de l’opposante entend dénoncer certains faits, dont elle est victime. A commencer par son arrestation qui, à leurs yeux, reste arbitraire et confine leur client à la séquestration.

Ces derniers temps, ses avocats pointent du doigt les conditions difficiles de sa détention. Les visites hebdomadaires de sa mère, âgée de 71 ans, seule personne autorisée à lui apporter des repas, ont été réduites de cinq à trois. Quatre personnels de prison, suspectés de bienveillance à son égard, ont été relevés de leurs fonctions. Après une fouille nocturne de sa cellule, le 15 avril, tout ce qui pouvait soulager l’opposante de son incarcération a été supprimé. Il s’agit, entre autres, de réfrigérateur, de ventilateur et de radio. Ces conditions « inhumaines » dont elle est victime, tout comme celles subies par la centaine de détenus d’opinion (blogueurs, militants, manifestants, politiques…) ont été dénoncées par des ONG de défenses des droits de l’homme comme Amnesty International et Freedom House.

De tels acharnements laissent présager une volonté de pousser à bout les prévenus à l’effet de les induire en erreur. Si tel est le cas, cela n’honore guère le pays de Patrice Talon autrefois réputé pour ses valeurs démocratiques. Pourquoi la justice béninoise traine-t-elle les pas dans le dossier Madougou ? Dans ces conditions, plus le suspense s’éternise, plus les rangs de ceux qui pensent à la thèse d’une cabale politique contre une opposante vont grossir. Les autorités judicaires gagneraient donc à rendre une justice impartiale dans cette affaire, car si l’objectif recherché était simplement d’écarter un adversaire encombrant, cela pourrait produire un effet indésirable. C’est-à-dire contribuer à créer un héros. L’ex-président Laurent Gbagbo, rentré au bercail à la suite de son acquittement par la CPI, après 10 ans de détention à La Haye en est une parfaite illustration.

Abdoulaye BALBONE

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