Biotechnologie et environnement

Dr Sié Kambou est spécialiste en biologie et écologie végétales. Après un séjour au Danemark et en Suisse dans le cadre des recherches, il est, de nos jours, responsable de la division de recherche appliquée au Centre national de semence forestière (CNSF). Sidwaya s’est entretenu avec lui sur la question des biotechnologies et de leur apport dans la protection de l’environnement.

Sidwaya (S) : Qu’est-ce que la biotechnologie ou la modification génétique des produits ?

Sié Kambou (S.K.) : Il n’y a pas une seule définition typique de la biotechnologie. Lorsqu’on fermente le dolo, c’est de la biotechnologie, parce qu’on utilise des organismes vivants pour produire l’alcool. De même, quand on fait la fermentation du soumbala, c’est aussi de la biotechnologie. La biotechnologie implique fortement les organismes vivants ; on va obliger ces derniers à produire ce dont nous avons besoin. On peut donc dire que la biotechnologie ou la modification génétique des produits est l’utilisation des propriétés des orga-nismes pour la production des matières et services au bénéfice de l’humanité.

S : Quel lien peut-on faire entre le greffage et le clonage ?

S.K. : Le greffage consiste à implanter dans les tissus d’un fragment quelconque prélevé sur une autre plante ou de la même plante pour que celui-ci continue à croître, en faisant corps avec la première. Et comme le greffage répond à la question de comment pouvoir produire une variété donnée identique en plusieurs, nous dirons que le greffage est aussi du clonage, puisque c’est des copies identiques à l’arbre désiré qu’on a produites.

S : Que comprendre par culture génétiquement modifiée (OGM) ?

S.K. : Il faut savoir que le génétiquement modifié existe dans la nature. En réalité, il existe dans la nature une bactérie appelée Basileus turgescent (Bt) qui infecte des plantes et leur injecte certains gènes pour les obliger à lui produire des protéines avec lesquelles elle se nourrit. Dans la nature, les choses sont déterminées par des gènes. La couleur des yeux, de la peau, la taille… sont le fait des gènes. Et c’est cette logique que les chercheurs suivent dans leur travail. Ce n’est pas une invention de l’esprit. Partant de ce constat, on se dit que forcer la plante à produire ce dont on a besoin n’est pas mauvais. Par exemple, dans le domaine de la médecine on oblige certains organismes à produire la pénicilline pour l’homme. Dans le cadre des OGM, on peut schématiser suivant l’exemple de la murette. On veut clôturer un espace avec une murette de deux couches complétée avec du grillage. On construit le mur en deux couches avec des briques en parping. Il se trouve que dans votre construction, il y a des passages d’eau que vous n’avez pas prévus et lors de la saison hivernale, une partie du mur est emportée par l’eau de ruissellement. Vous décidez de la réparer en utilisant des briques en pierres. A la fin, vous aurez un mur dont une partie est en pierres et l’autre en parping, et vous mettez de la tyrolienne.

S : Est- ce qu’il y a un problème ?

S.K. : Il n’y a pas de problème et vous avez votre mur. C’est cela les OGM, la culture des produits génétiquement modifiés.

S : Que reproche-t-on au coton Bt ?

S.K.: Je préfère vous référer à l’INERA qui a beaucoup travaillé là-dessus. Cependant, il faut noter que le coton Bt utilise moins de pesticides et cela est économiquement rentable pour nos cotonculteurs. La différence entre le coton Bt et le coton local réside dans la longueur des fibres. Il faut, pour ce faire, effectuer plusieurs traitements pour le coton Bt et c’est cela que les industriels déplorent, car cela leur coûte cher. En tant que chercheur, on pouvait donc continuer les recherches pour comprendre pourquoi ces fibres sont-elles moins longues et ainsi de suite jusqu’à obtenir ce qu’on veut.

S : Pourquoi les populations sont frileuses face aux produits GM ?

S.K. : Les Etats-Unis sont les premiers à travailler sur les OGM, et l’opinion publique n’en fait pas un problème. Le soja, le maïs sont cultivés sur des milliers d’hectares et cela ne pose pas de problème chez les Américains. Le problème, c’est au niveau des Européens, mais cela ne les empêche pas de conti-nuer à travailler sur les OGM, car ils savent que le génétiquement modifié existe dans la nature à travers le Basileus turgescente (Bt). La communication sur le rejet de la consommation des produits OGM est le fait des agitateurs. Sinon, comment comprendre que l’on veuille renier ce qui existe dans la nature ? De nos jours, plus de 60% de soja est produit à partir du soja OGM ; on n’en fait pas un problème et il est consommé partout. Je dis donc qu’il est bon qu’il y ait des gens qui soient «contre» pour que ceux qui sont «pour» prennent les précautions pour respecter l’éthique.

S : En quoi la biotechnologie peut-elle participer à la protection de l’environnement ?

S.K. : Les OGM peuvent nous permettre d’avoir des plantes qui résistent aux pesticides, et nous libérer de leur utilisation. Cela n’est-il pas mieux que d’arroser l’environnement avec des herbicides et autres? Et c’est là l’importance des OGM pour la protection de l’environnement. La quantité des pesticides qui entrent au Burkina Faso chaque année, constituent un danger public parce que vous rompez une chaîne alimentaire. Les herbicides détruisent les plantes dont se nourrissent les insectes ; les insectes qui mangent ces plantes meurent ; les oiseaux qui mangent ces insectes vont aussi mourir de même que les autres animaux qui vont manger ces oiseaux et par la suite, l’homme du village va se saisir de cet animal mort et le consommer à son tour. Si on pèse les pour et les contre, en expliquant bien ce que sont les OGM et ce qu’est l’apport des pesticides, je crois que la population va préférer consommer OGM.

S : La peur des risques peut-elle justifier le rejet des avantages des cultures génétiquement modifiées ?

S.K. : Le rejet des cultures génétiquement modifiées ne peut s’expliquer que pour deux raisons que sont l’éthique et la dépendance des grandes firmes ou sociétés pour l’obtention des sources d’approvisionnement des semences. L’éthique dont les gens parlent, c’est d’enlever un gène animal et l’introduire dans la plante ou prendre un gène chez l’homme et l’introduire dans la plante. Sinon l’OGM permet de s’affranchir des barrières naturelles. Par exemple, vous ne pouvez pas croiser un manguier avec un citronnier, mais vous pouvez prélever un gène de résistance chez le manguier si cela est intéressant et l’introduire chez le citronnier parce que naturellement cela ne peut pas se faire. Les hommes, par précaution, ont peur de ce qui est nouveau, exemple de Louis Pasteur à la découverte du sérum antirabique. Mais quand on a vu le succès du sérum, il s’est répandu et on l’utilise encore de nos jours. C’est normal qu’on ait un peu peur de ce dont on n’a pas l’habitude, mais cela ne justifie pas qu’on arrête les travaux là-dessus. Et on ne peut pas arrêter le progrès. Qu’on le veuille ou pas, on ne peut pas arrêter aujourd’hui de produire OGM ; cela va même s’amplifier, car les OGM nous rendent d’énormes services. Maintenant c’est bon que le chercheur prenne des précautions et que les pays pauvres se mettent à la page de la technologie. Nous avons des hommes capables de travailler sur les OGM, il suffit de les équiper. Et la preuve, quand MONSANTO est venu, il a travaillé avec des Burkinabè. Ils ont bien travaillé, car ils sont très bien formés.

S : Mais MONSANTO est décrié…

S.K. : Monsanto n’a pas trop de problèmes avec les OGM ; il a beaucoup plus de problème avec l’herbicide tel que le gluconate. Monsanto ne travaille pas seulement sur les OGM. Je n’ai pas encore vu un article qui met en cause l’utilisation des OGM qui soient nuisibles à l’homme. Il n’y a pas un écrit scientifique qui le prouve.

S : Quelle posture souhaitez-vous pour le Burkina face aux OGM ?

S.K. : L’avantage qu’on a au Burkina est indéniable. Nous sommes l’un des rares pays en Afrique à avoir une agence nationale de biosécurité qui permet de contrôler tout ce qui est lié aux organismes modifiés. En tant que Burkinabè, humain, le chercheur n’est pas prêt à mettre à la disposition des autres un produit qui n’est pas bien. Le chercheur a un devoir moral de ne pas mettre à la disposition de la population des produits dont la consommation est nuisible à leur santé. La consommation bio est une question de mode qui ne veut pas dire forcément anti OGM, mais plutôt anti pesticide et les produits OGM sont aussi sur cette lancée. Pour moi, on ne peut pas arrêter le progrès ; on a plutôt intérêt à accompagner le progrès et à disposer des équipements et des laboratoires qui puissent être à la pointe de cette nouvelle technologie qui si elle est utilisée à bon escient est très utile pour nous-mêmes.

ADEGUEROU Waliou A.

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