Blocus du convoi militaire français à Kaya: Sur les traces des rescapés blessés !

Le  blocus imposé par des manifestants de Kaya au convoi militaire français en partance pour Gao (Mali), via Niger, du 18 au 20 novembre 2021, a fait des blessés évacués dans des formations sanitaires de ladite ville. Retour sur un blocus de trois jours ayant  marqué les populations !

Il est 12heures 37minutes. Le soleil est au zénith. Nous sommes au troisième jour (20 novembre) du blocus imposé par des populations de  Kaya au convoi militaire français, long sur plus de 5 km, en partance pour Gao, via Niger. Devant le parking où est retranchée l’Armée française, la pression des manifestants monte en crescendo du jour au jour. L’objectif : inspecter tous les containers. «Nous ne les empêchons pas de continuer leur chemin. Nous voulons s’assurer que ce convoi ne transporte pas des armes, munitions, motos, médicaments, etc. au profit des terroristes», arguent la plupart des manifestants. Les esprits se surchauffent entre les forces de l’ordre burkinabè, qui tentent «impuissamment» de contenir la foule, et les manifestants. Les soldats français sont «acculés». Ils multiplient les stratégies de dissuasion. Des chiens enchaînés sont emmenés tout près du grillage pour apeurer les manifestants. Peine perdue ! Certains manifestants veulent les faire passer à la marmite. Les soldats français sont contraints de mettre leur compagnon à l’abri. A chaque fois que les Français brandissent des actes d’intimidation, les manifestants entonnent l’hymne national, source d’inspiration. Désespérés, ils procèdent aux premiers tirs de sommation. C’est la débandade ! Par le biais de coups de fils téléphoniques ou des réseaux sociaux, la remobilisation est lancée. Des centaines de personnes fusent de partout pour rejoindre le lieu du blocus. La pression exacerbe. Pris de panique, deux soldats français s’évanouissent. Un hélico de combat français atterrit. Ils sont évacués en urgence. Un autre sillonne  les alentours. Des «éléments» de la Brigade anticriminelle (BAC), munis de gaz lacrymogène, de matraques et de casques de protection, peinent à contenir la foule en furie. Des jets de pierres s’enchaînent en direction du convoi. «Visages crispés», des militaires français, armés jusqu’aux dents, effectuent une fois de plus des tirs de sommation.

Saigner énormément

Cinq  manifestants blessés dont quatre par balles réelles et un par bousculade. Transportés, en tricycle ou à motos, les blessés graves bénéficient des premiers soins à l’infirmerie militaire de Kaya. Ils sont par la suite transférés par l’ambulance des bérets rouges au Centre hospitalier régional de Kaya (CHRK). Selon le chirurgien orthopédique-traumatologue du CHRK, Dr Jean Baptiste Vallian, parmi ces cinq blessés, trois ont subi une intervention chirurgicale. «Dans ces trois blessés graves qui ont été opérés, deux saignaient énormément. Il a fallu d’abord médicaliser les plaies, les rendre au maximum propre et puis faire un pansement plus ou moins compressif pour que les saignements s’arrêtent. Donc, ils sont arrivés pour les trois blessés, dans un état de saignement. Mais leur pronostic vital n’était pas engagé. C’est peut-être le pronostic fonctionnel surtout pour les deux pieds», déclare-t-il. Mohamed Bachirou Tontorogbo réside au secteur n°1 de Kaya. Allongé sur un canapé de deux places assises, il vient de prendre son petit déjeuner. L’air souriant, il nous reçoit sous un hangar colmaté en maisonnette dans sa cour familiale. Le rescapé Tontorogbo a reçu deux balles sur la planche du pied gauche. «Lorsque le médecin a extrait la première balle, il me l’a montrée. Je l’ai vu lorsque j’étais allongé sur mon lit d’hôpital. La deuxième balle a été enlevée et jetée dans un récipient. Et, j’ai entendu le bruit», se remémore-t-il, toujours sous le choc. Mohamed Bachirou Tonrogbo revient sur les circonstances de sa blessure. «J’étais assis de l’autre côté du goudron en train de discuter avec un petit. C’est au moment où je me suis levé pour me mettre à l’abri, parce que les tirs de sommation s’intensifiaient que les balles ont arrosé mon pied», déplore-t-il.

Echapper à la mort

Le déplacé interne Saidou François Sawadogo : «Ma famille souffre actuellement de faim».

Et de poursuivre : «Lorsque j’ai reçu les balles, j’ai tenté de fuir et je suis tombé. Ce sont deux jeunes qui m’ont transporté vers leur moto. C’est en ce moment que j’ai croisé un ami militaire qui m’avait appelé pour savoir ma position. C’est lui qui m’a emmené au CHR de Kaya». Mahamado Ouédraogo est un vendeur d’accessoires de téléphones portables à la gare routière du Sanmatenga, communément appelée «Sandaogo». Lui-aussi a échappé de justesse à la mort lors des tirs de sommation effectués par l’Armée française. Il nous invite à s’installer sur un banc sous le hangar de son lieu de vente.  Notre interlocuteur dandine toujours dans la ville de Kaya avec une balle logée dans sa joue droite. Il nous décrit le scenario. «Nos amis et frères FDS nous ont toujours conseillés que lors que nous entendons des crépitements d’armes de se plaquer au sol même si nous ne sommes pas les cibles. Donc, lorsque les tirs de sommation ont commencé, je me suis couché au sol. C’est en voulant me coucher que j’ai reçu une balle qui visait les pieds des manifestants…», regrette Mahamado Ouédraogo, sous forte émotion. Il suit actuellement un traitement qui devrait prendre fin dans 72 heures au moment de notre rencontre. «Le médecin m’a dit que si je prends les produits, la balle progressera vers l’extérieur afin de faciliter son extraction. Sinon, si on l’enlève à ce stade, je vais trop souffrir et l’opération risque de me paralyser», souligne-t-il. Ces propos ont été corroborés par son médecin-soignant.

Contre la politique française

«La balle est logé dans une zone  péri-osseuse au niveau de la mandibule. Nous ne l’avons pas retirée, parce que pour la retirer, il fallait inciser large alors que l’orifice d’entrée est très petit. Donc, nous avons préféré faire un pansement et après, normalement, l’organisme rejettera la balle quand elle sera en sous-cutanée et nous allons enlever», explique Dr Vallian. Durant les trois jours du blocus, les manifestants ont menés plusieurs actions pour exprimer leur ras-le-bol contre la politique française dans la lutte contre le terrorisme au grand Sahel. En effet, devant les soldats français, les manifestants ont, entre autres, incendié le drapeau français et un poster du Président français, Emmanuel Macron et  immolé une chèvre peint aux couleurs du drapeau français. Une fois la nuit tombée, les militaires français sont, jusqu’au petit matin, étouffés par des fumées  des pneus «assaisonnés» aux piments secs offerts gracieusement par un vieillard déplacé interne. Parmi les manifestants blessés, figurent également des Personnes déplacées internes (PDI). C’est le cas de Saidou François Sawadogo. Ce cinquantenaire est un ressortissant de Barsalogho. Cultivateur de profession, il a trouvé refuge dans le village de Louda, commune de Boussouma, depuis près de 2 ans. Saidou François Sawadogo est l’un des deux blessés qui ont perdu énormément du sang. Lui-aussi a failli passer la vie à trépasse. Tout comme Mohamed Bachirou Tontorogbo,  Saidou François Sawadogo a reçu aussi deux balles au niveau de son pied droit. «Une première balle a perforé l’os de mon tibia droit sans rester dans mon pied. La deuxième balle, elle, s’est enfouillée dans la chair à l’arrière du pied. C’est à l’hôpital qu’elle a été extraite. J’ai perdu énormément de sang…Je pensais que j’allais perdre la vie», se souvient-il, désespérément.

Surchauffer les esprits

Il était au premier plan des manifestants en face des forces françaises avec sa pancarte portant cet écriteau : «Abas la France». Que s’est-il exactement passé ? «Au moment des tirs, j’étais au premier plan des manifestants en face de nos forces de sécurité qui empêchaient les manifestants d’atteindre le grillage dans l’enceinte se trouvaient les militaires. Mais à un certain moment des milliers de gens fusaient de partout de la ville en direction du grillage. La foule dépassait les jours écoulés. La pression des manifestants ont surchauffé les esprits des français qui se sentaient menacer. Un soldat a fait sortir un chien et l’amené au niveau du grillage.  Un garçonnet a pris un bois le tapé. Et il l’a ramené dans un véhicule. C’est par la suite qu’il a ordonné à ses collègues de procéder à des tirs de sommation. Premièrement, ils ont ouvert le feu en air. Mais, il y a un soldat à mon regard, c’est une femme courte. C’est elle seule qui a raflé en bas sous les pieds des manifestants et c’est son fusil qui a occasionné tous les 4 blessés», relate Saidou François Sawadogo. Et d’ajouter : «Lorsque je suis blessé, sur le champ je n’ai pas fui. J’ai demandé aux manifestants de reculer, parce que les français tirent sur les gens à balles réelles. C’était pour éviter la panique. Je les ai faits reculer un à deux mètres avant de me retirer. C’est en ce moment que des jeunes m’ont aperçu en train de tituber. Lorsqu’ils m’ont pris, ils sont d’abord allés me présenter aux éléments de la Compagnie républicaine de sécurité (CRS) qui ont voulu m’embarquer dans leur véhicule. Mais, les jeunes ont refusé et ils m’ont mis dans un tricycle. Lorsque le propriétaire de l’engin voulait démarrer, deux autres blessés sont venus s’ajouter. Il s’agit d’un garçon de 15 ans et d’un homme ayant reçu une balle  au niveau de sa joue droite».

Accuser les forces burkinabè

Moumouni Sawadogo dit ressentir toujours des douleurs de sa blessure.

Le jeune de 15 ans en question est Sawadogo Moumouni, un déplacé interne de Dablo. Il a élu domicile dans la zone non lotie du secteur 4 de Kaya depuis un an. L’adolescent Moumouni a aussi reçu une balle au niveau de sa cheville droite. «Ce jour-là, j’étais dans la foulée au niveau des citernes non loin du site d’accueil des PDI. Lorsque nous avons entendu les tirs de sommation, je me suis mis à courir pour me cacher à l’intérieur du site. C’est en ce moment que j’ai reçu la balle.  Je suis tombé. Et ce sont des jeunes inconnus qui m’ont mis dans un tricycle en direction de l’hôpital»,  affirme-t-il, sous un regard angoissant. Pour son géniteur Sibiri Sawadogo, son garçon a failli perdre la vie. «Il a perdu beaucoup de sang. Car, après l’intervention chirurgicale, il est resté deux à trois heures dans le coma. Je croyais même qu’il était même mort. J’ai vraiment eu peur», relate-t-il. Des faits que le porte-parole du chef d’Etat-major des Armées françaises, le colonel Pascal Ianni, balaie d’une main de revers en accusant les forces burkinabè d’être à l’origine de ces blessures. En effet, sur la chaine télévision France24, il a déclaré ceci, je cite : «C’était bien des gendarmes burkinabè qui étaient bien au contact direct avec les manifestants à Kaya et pas les soldats français. Un groupe de manifestants plus violents que les autres a tenté de forcer le grillage dans l’enceinte où  était stationné le convoi. Les gendarmes burkinabè ont procédé à des tirs de gaz lacrymogène. Les soldats français ont effectué des tirs de  sommation. Ce que je peux vous affirmer de manière très claire, ce que les Français n’ont pas tiré sur les manifestants bien évidemment ce n’est pas dans nos habitudes. Et que nous n’avons observé aucun blessé du fait de l’action des soldats français. Il faut que les choses soient très claires», Fin de citation.

Policiers désarmés

Des propos que les blessés qualifient du refus d’assumer la responsabilité des actes posés par l’Armée française. «Hormis les gendarmes qui escortaient le convoi militaires français, les policiers qui encadraient la foule étaient munis de gaz lacrymogènes, de matraques et de casques de protection. Lorsque les soldats français effectuaient les tirs de sommation, nos FDS se sont mêmes courbés pour éviter les balles. C’était la gendarmerie qui était armée mais ils étaient à l’écart de la foule», témoigne Mohamed Bachirou Tonrogbo. Et d’ajouter , «au moment où l’Armée française effectuait les tirs, l’Armée burkinabè se retirait en direction de Ouagadougou. Certains enfants se sont mêmes camouflés dans les véhicules de nos FDS». Le déplacé Saidou François Sawadogo renchérit que les policiers qui tentaient de contenir la foule étaient désarmés.

Durant les 72 heures de blocus, nous avons constaté la participation active des PDI. Elles nous livrent leur source de motivation.  «Les PDI sont les premières victimes des attaques terroristes. De ce fait, nous ne pouvons pas rester insensible face à la lutte des populations-hôtes qui, d’ailleurs, nous soutiennent», justifie Saidou François Sawadogo. Pour eux, l’Armée française est en «connivence» avec des groupes armés terroristes dans le Sahel.

Prise en charge médicale gratuite

Que cela ne tienne, les blessés traduisent leur remerciement pour avoir bénéficié d’une prise en charge médicale et alimentaire appropriée et gratuite durant les 4 jours d’hospitalisation. «Mes soins ont coûté plus de 300 000 F CFA. Je n’ai rien dépensé. Que Dieu rend au centuple les bonnes volontés qui ont contribué à nos soins», se réjouit Mohamed Bachirou Tontorogbo. A écouter le Directeur général (DG) du CHR de Kaya, Auguste Joël Somda, les manifestants blessés ont bénéficié du dispositif de prise en charge médicale rapide et gratuite mis en place par sa structure au profit des FDS et VDP blessés au front. «Ce dispositif traite les cas urgents ou imprévus sur le plan national et qui concerne par exemple un drame national», précise-t-il. M. Somda poursuit que pour faciliter l’accès rapide aux examens, actes d’opération et produits, à chaque fois qu’une ordonnance est émise, il est mentionné : «Blessé des manifestations contre le convoi militaire français». Les parents des PDI blessées se sont également satisfaits du mécanisme de prise en charge médicale.

Frais de soins : 900 000 francs CFA

Le chirurgien orthopédique-traumatologue, Jean Baptiste Vallian

Pour le père du jeune Moumouni, Sibiri Sawadogo, sans ce dispositif de prise en charge gratuite, sa progéniture aurait passé la vie à trépasse. «En tant que déplacé interne, je n’ai même pas de quoi survire à plus forte raison débourser plus de 200 milles francs pour soigner mon enfant», souligne-t-il. Selon le représentant des accompagnants des blessés, Moumouni Tontorogbo, à la date 28 novembre, les frais de soins des 5 blessés s’élevaient à plus de 900 000 francs CFA.  «Nous disposons toujours de l’argent des blessés donné par les bonnes volontés pour poursuivre les soins…», rassure M. Tontorogbo. De ce fait, il traduit sa reconnaissance à l’endroit de toutes les bonnes volontés qui ont contribué aux soins des blessés, notamment le Chef de l’Etat qui a dépêché une délégation avec une enveloppe de 500.000 francs CFA. Ses salutations vont également à l’endroit des autorités régionales (gouverneur) et élus locaux pour leur implication dans la gestion de cette situation . A l’entendre Moumouni Tontorogbo, un dispositif est mis pour le suivi et le pansement des plaies tous les trois jours. «Evidemment, après l’intervention, nous les avons dotés de produits pour prévenir les infections. Et, les blessés viennent tous les trois jours pour les pansements. Ils ont également des rendez-vous avec le chirurgien que suis-je», confirme le Dr Vallian. Il les exhorte donc à respecter les prescriptions des produits antidouleur et antibiotique et à revenir pour les consultations externes avec les radiographies de contrôle. C’est pourquoi, en termes de doléances, le souhait le plus ardant de Jean Baptiste Vallian est le renforcement du plateau technique et du personnel soignant au niveau du bloc de chirurgie et post opéré.  Même si les manifestants blessés ont bénéficié d’une prise en charge médicale gratuite, certains chefs de famille ne savent plus à quel saint se vouer pour subvenir aux besoins quotidiens de leurs familles du fait de leur blessure. De ce fait, ils appellent à une solidarité agissante. «Aujourd’hui, je suis devenu un handicapé. Je suis une PDI sans champ agricole ici pour subvenir aux besoins alimentaires de mon épouse et mes 6 enfants dont 3 écoliers. Je suis conducteur de tricycle. Et, je  travaillais avec une association. Avec cette blessure, j’ai fini de consommer le peu d’argent que j’avais réservé. Je suis vraiment à terre…», s’alarme Saidou François Sawadogo.

Emil Abdoul Razak SEGDA

Segda9emil@gmail.com

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