Cameroun : un crime d’Etat ?

Il y a des lueurs d’espoir dans l’affaire de l’assassinat du journaliste, Martinez Zogo, au Cameroun. Depuis la découverte du corps sans vie et en état de putréfaction du directeur de la radio Amplitude FM, le 22 janvier 2023, dans la banlieue de Yaoundé, les investigations pour retrouver ses bourreaux avancent à grands pas. La commission d’enquête mixte, composée de gendarmes et de policiers, mise en place sur instruction du président Paul Biya, a déjà procédé à des arrestations.

Les fins limiers ont mis le grappin sur plusieurs suspects, dont une vingtaine de membres des services de renseignements camerounais et pas des moindres, comme l’a attesté l’organisation, Reporters sans frontières (RSF). Le patron du service de contre-espionnage, Léopold Maxime Eko Eko et son adjoint, le directeur des opérations spéciales, Justin Danwe, figurent en tête de liste des personnes arrêtées. M. Danwe, qui aurait reconnu sa propre implication dans le meurtre, a livré aux enquêteurs, un récit glaçant du plan crimemacabre orchestré pour faire taire à jamais Martinez Zogo.

L’animateur vedette de l’émission quotidienne dénommée « Embouteillage » aurait été torturé à mort dans le sous-sol de l’immeuble d’un homme d’affaires et chef coutumier, connu comme le loup blanc au Cameroun, Jean-Pierre Amougou Belinga. D’après les confidences de Danwe, celui-ci aurait personnellement asséné des coups à la victime, avant de faire appel à un de ses proches, le ministre de la Justice, Laurent Esso, pour lui demander le sort à réserver à Martinez Zogo.

Le Garde des Sceaux lui aurait demandé de « finir le travail » pour ne pas laisser de traces. Ni Amougou Belinga, qui s’est même rendu en France ces jours-ci, ni le ministre de la Justice, n’ont encore été inquiétés dans cette affaire. Pourtant, l’apparition dans ce dossier du nom du sulfureux opérateur économique, Belinga, dont l’arrogance n’a pas d’égal selon les témoignages (plusieurs personnalités en ont pris pour leurs grades), n’est pas à prendre à la légère.

Il était bel et bien la personnalité à laquelle, Martinez Zogo s’en prenait ouvertement dans sa dernière chronique dans l’émission « Embouteillage ». Le journaliste dénonçait sa condescendance et ses accointances au sommet de l’Etat, promettant de donner les preuves de son implication dans le pillage des ressources de l’Etat. Martinez Zogo, ce combattant de la démocratie et de la bonne gouvernance, qui se savait menacer dans son travail de dénonciation des frasques des personnalités influentes, n’a pas eu le temps de jeter le pavé dans la mare.

Sa voix s’est éteinte à jamais, dans l’abime des fossoyeurs de la république. Si les aveux du directeur adjoint des renseignements camerounais sont vrais, il ne serait pas osé de dire que l’assassinat de Martinez Zogo relève du crime d’Etat. C’est bien pour cette raison, qu’il faut coûte que coûte aller au bout de cette affaire. Il y a de la matière pour permettre à la justice de situer les responsabilités et de condamner, au cas échéant, les coupables à la hauteur de leur forfait. Encore faut-il que l’affaire soit gérée en toute transparence au sommet de l’Etat camerounais, tant certains antécédents incitent à la méfiance, s’ils n’inspirent pas le pessimisme.

Le cas du lanceur d’alerte, Paul Chouta, agressé et laissé pour mort, en mars 2022, revient à l’esprit. Cet ardent défenseur a eu la chance, contrairement à d’autres, mais jusqu’à présent, le commando, qui l’a passé à tabac et pensait avoir mis fin à ses jours, n’a pas encore été identifié. Paul Chouta n’est d’ailleurs pas encore sorti de l’auberge, puisque son intégrité physique est toujours menacée. L’implication du président Paul Biya dans le dossier Martinez Zogo rassure, tout comme elle inquiète, vu les réalités sociopolitiques au Cameroun.

Le chef de l’Etat a réaffirmé son attachement au respect des droits humains et à la bonne gouvernance, mais les pourfendeurs de son régime sont considérés comme des « ennemis ». A quoi bon alors leur rendre justice, si des individus instrumentalisés s’en prennent à eux ? Selon toute vraisemblance, des escadrons de la mort ont été formés au Cameroun pour attenter à la vie de tous ceux qui s’attaquent aux puissants du moment. Mais nous osons espérer, que justice sera rendue à Martinez Zogo, un digne patriote qui se souciait de la bonne marche de son pays.

Kader Patrick KARANTAO

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