Centre Ste Anne de Bokin : Le refuge des « indésirables »

Le Centre de Bokin dispose de 24 chambres et accueille une trentaine de victimes.

Dans le Passoré, une allégation de sorcellerie vaut une exclusion de la communauté. De nombreuses femmes ont été bannies, accusées d’être des « mangeuses d’âmes ». Répudiées, sans abris et sans soutien, elles ont trouvé refuge chez de bons samaritains.

Mardi 2 mars 2021. Le soleil se lève peu à peu sur la commune rurale de Bokin, localité située à une cinquantaine de kilomètres de Yako dans la région du Nord. Les populations vaquent paisiblement à leurs occupations. L’harmattan y dicte sa loi avec des vagues de poussières. Au Centre Ste Anne, situé au sein de la paroisse, la plupart des pensionnaires ont déjà quitté leurs couches. Seules les plus âgées sont encore dans les dortoirs. Les plus jeunes s’adonnent aux activités journalières, certaines s’occupant à nourrir les porcs qu’elles élèvent, d’autres arrosent les plants du jardin, composés d’oseille, de haricot, de salade… Les plus solides font du mil germé, qui sera, par la suite, vendu aux dolotières du village ou utilisé pour préparer leur boisson locale à base de mil à l’occasion des grandes fêtes (Noël, Pâques, etc.).

Venues de villages environnants de Bokin, ces femmes qui partagent désormais leur quotidien ont une histoire commune : accusées de sorcellerie, elles ont été chassées de leurs familles. Lydie Ouédraogo vit dans ce centre depuis 28 ans. Originaire de Arbollé, à seulement quelques kilomètres, elle a été chassée par sa belle-famille après le décès d’une de ses coépouses. Jugeant la mort de cette dernière suspecte, la famille de la défunte fait recours au « siongo », un rite traditionnel en pays moaga où le « macchabée », doté de pouvoirs surnaturels, désigne son « meurtrier ». Après quelques concessions, le cortège transportant le cadavre s’arrête devant la case de Lydie Ouédraogo.

Il cogne la porte à plusieurs reprises. Cet acte est synonyme de preuve de sa culpabilité, selon les croyances locales. Ses pleurs ne parviennent pas à prouver son innocence. Elle est chassée, illico presto, du village. Abattue et désorientée, dame Ouédraogo rejoint sa famille, mais elle est répudiée aussi par les siens qui estiment ne pas être en mesure d’accueillir une « sorcière » bien qu’étant leur fille. Ne sachant plus à quel saint se vouer, elle se réfugie au centre Ste Anne de Bokin. Ici, les prêtres lui offrent gîte et couvert.

Une seconde famille

En plus de Lydie, le centre Ste Anne accueille 29 autres femmes victimes d’exclusion sociale pour allégations de sorcellerie. Bernadette Sama est la dernière arrivée au centre, en avril 2020. Sa vie a basculé le jour où les autorités traditionnelles de Pilimpikou ont fait appel au « siongo » pour, disent-elles, « purifier » le village des « mangeuses d’âmes ». Elle et plusieurs autres dames tombent sous le coup accusateur du « siongo ». Les présumées sorcières sont sommées de quitter le village dans les plus brefs délais. Pour avoir la vie sauve, Bernadette Sama prend ses jambes à son cou. Elle rejoint, dans un premier temps, sa famille. Par peur de représailles et par mesure de sécurité, son frère aîné la confie aux prêtres de Bokin. Depuis lors, elle séjourne dans ce centre qui est devenue sa deuxième famille.

Le Centre Ste Anne de Bokin a été créé en 1983 par les pères missionnaires d’Afrique. « Dans la zone ici, il y a beaucoup de femmes qui sont accusées de sorcellerie et rejetées par leurs familles. Comme la plupart d’entre elles ne savent pas où aller, la mission a jugé nécessaire et urgent de leur offrir un lieu de refuge », fait savoir l’abbé Jules Ouédraogo, curé de la paroisse de Bokin et responsable du centre. Ici, les victimes sont nourries, logées, et soignées. Leur prise en charge est totalement assurée par la mission catholique qui tente, tant bien que mal, de les mettre dans de bonnes conditions. Le centre dispose de 24 chambres dotées chacun d’un lit, d’un magasin, d’une cuisine et d’un hangar.

Considérées comme une famille, les pensionnaires sont organisées en sept groupes pour la préparation quotidienne de leur repas. Les vivres sont stockés dans le magasin et c’est le groupe chargé de la cuisine du jour qui prend la quantité nécessaire pour la préparation de la nourriture. « Nous ne mangeons jamais l’une sans l’autre. Nous préparons chaque soir et nous ramassons les plats de toutes les pensionnaires pour les servir », confie la responsable des femmes, Jacqueline Ouédraogo.

De bonnes volontés

Aux dires de l’abbé Jules Ouédraogo, curé de la paroisse de Bokin, l’église catholique ne croit pas en la sorcellerie.

Pour le curé de la paroisse, le centre fait ce qu’il peut, grâce à l’Organisation catholique pour le développement et la solidarité (OCADES) qui les satisfait dans la mesure de ses moyens. Des efforts très appréciés par l’ensemble des pensionnaires qui ne tarissent pas d’éloges à l’endroit de leur bienfaiteur. « Depuis que nous sommes ici, nous n’avons jamais dormi le ventre creux », rassure Mme Ouédraogo. Dans sa mission caritative à l’endroit des exclues sociales pour allégations de sorcellerie, la paroisse de Bokin bénéficie souvent de l’appui de certains partenaires.

« Nous formulons certaines demandes. Il arrive de temps à autre que des partenaires nous fassent des dons », apprécie l’abbé Ouédraogo. En outre, le centre de Bokin est appuyé par l’Etat burkinabè. Malgré ces soutiens, il reste confronté à d’énormes difficultés. La plus difficile d’entre elles est la prise en charge psychologique des victimes. Traumatisées, la plupart d’entre elles arrivent au centre, déboussolées et désorientées. « Il y en a qui font trois à quatre jours sans manger », déplore
« l’homme de Dieu ». La première tâche des religieux est donc de leur remonter le moral et leur faire comprendre que malgré ce qu’elles ont vécu, la vie doit continuer. Ils essaient à travers des causeries-débats de leur faire voir la vie autrement. A côté du soutien psychologique, les hôtes des femmes exclues doivent assurer leur prise en charge alimentaire et sanitaire.

Une pratique à la peau dure

Ce qui n’est pas toujours aisé, la mission ne disposant pas de moyens conséquents, selon les confidences du curé. Pourtant, ces femmes étant pour la plupart d’un âge avancé (la plus âgée ayant 90 ans et la plus jeune, 47 ans), elles souffrent de certaines maladies de vieillesse telles que l’hypertension artérielle. A côté de ces difficultés, il y a le règlement des factures d’électricité et la maintenance du matériel.

La commune de Bokin est l’une des plus concernées par le phénomène de l’exclusion sociale pour allégations de sorcellerie dans la province du Passoré, selon la directrice provinciale de la Femme, de la Solidarité nationale, de la Famille et de l’Action humanitaire par intérim, Zénabou Ouédraogo. Actuellement, on y dénombre 46 personnes exclues dont 30 prises en charge dans le Centre St Anne. Les villages les plus touchés sont Samba, Yimigou, Léleska, Badogo et Pilimpikou. Dans le dernier village cité, 80 femmes ont été exclues à la suite des allégations de sorcellerie en 2016.

A côté de la commune de Bokin, il y a celle de Yako où de nombreuses femmes sont également accusées chaque année d’être des « mangeuses d’âmes ». Selon les statistiques de la direction provinciale, 77 femmes ont été victimes d’exclusion sociale de 2018 à 2020. Si la plupart d’entre elles ont trouvé refuge au Centre Ste Anne de Bokin, d’autres ont frappé aux portes de la paroisse St Jean-Marie Vianney de Yako. Elles y sont logées dans deux blocs de bâtiments constitués de deux chambres chacune et d’un salon. Là-bas, elles sont prises en charge par la paroisse qui subvient à leurs besoins les plus élémentaires.

Elles dorment et défèquent dans la même cour

Toutefois, les pensionnaires de la paroisse de Yako font face à d’énormes difficultés allant de la vétusté des bâtiments à la stigmatisation. En effet, les deux bâtiments qui datent des années 1990 sont dans un état « déplorable ». Murs délabrés, toits troués, manque de serrure de portes, etc. « Nous devons nous tenir debout quand il pleut, car les toits sont percés et l’eau rentre en quantité », fait savoir Germaine Ouédraogo, une pensionnaire. En plus, les bâtiments ont une faible capacité d’accueil. Sept pensionnaires partagent une chambre, qui devrait accueillir trois à quatre personnes maximum.

« D’autres femmes sont obligées de dormir au salon, parce que les chambres sont surchargées. Sans compter que chacune a ses effets personnels», regrette-t-elle. En outre, les locaux ne disposant pas de toilettes, la cuisine a été transformée en WC. D’où l’odeur nauséabonde qui s’y dégage une fois que l’on y met le pied. En plus de toutes ces difficultés, la sœur Jacqueline Guiédem, chargée de la prise en charge des femmes, relève que la paroisse n’étant pas clôturée et au regard de la proximité des bâtiments avec la voie principale de la ville, les vieilles femmes sont souvent victimes d’agressions de tous genres, notamment sexuelles. « Les gens ne se disent pas que ce sont des vieilles femmes.

Il y a des hommes qui viennent souvent pour les agresser sexuellement », déplore-t-elle.
A Yako, les pensionnaires de la paroisse sont également victimes de stigmatisation. Difficile pour elles de tenir un commerce ou de trouver un emploi dans la ville. « Nous sommes proches du goudron et nous pouvions exploiter cet atout pour vendre ne serait-ce que des arachides pour subvenir à nos petits besoins, mais personne ne veut acheter nos produits de peur que nous ne prenions son âme », conte Suzanne Bamogo, une autre pensionnaire. Les seuls articles qui trouvent de potentiels clients sont les excréta de porcs. Ceux-ci sont achetés par les cultivateurs pour en faire du fumier pour leurs champs.

Dame Bamogo et ses compagnonnes ont donc fait de la collecte des excréta de porcs leur activité favorite. Au quotidien, elles parcourent la ville à la recherche d’éventuels excréta qu’elles emballent dans des sacs. Ils sont ensuite exposés au soleil pour être séchés et vendus. Ce petit commerce permet aux hôtes de la paroisse de subvenir à leurs petits besoins. « La paroisse fait de son mieux pour nous, mais elle ne peut pas tout faire. Comme nos familles nous ont tourné le dos, nous essayons de faire cela pour nos petits besoins », raconte-t-elle.

Une « hospitalité » qui dérange

Chassée de son village, Lydie Ouédraogo vit dans le Centre de Bokin depuis 28 ans.

L’hospitalité accordée aux victimes d’exclusion sociale par les religieux est mal perçue par les autorités coutumières de la région. Le chef de Yako, Naaba Guiguemdé, bien que présent à l’entretien au palais royal n’a pas voulu donner son avis sur l’exclusion sociale pour allégations de sorcellerie dans sa localité. Seuls les chefs coutumiers de son ressort se sont prononcés sur la question et n’ont pas caché leur « rage » vis-à-vis de l’Eglise catholique qui offre un refuge à ces indésirables. Pour eux, bannir les « mangeuses d’âmes » de la société est une loi coutumière. Le but étant de les amener à se repentir et à changer de vie. C’est pourquoi, notent-ils, dans leur localité, la personne désignée par le « siongo » ne subit pas de sévices corporels.

« Nous avons tout ce qu’il faut dans la tradition pour aider une sorcière à se débarrasser de ses pouvoirs et à arrêter de faire le mal », affirme l’un d’entre eux. Selon ses explications, ce sont celles qui, une fois détectées par le « siongo », refusent de se faire « exorciser » qui sont chassées. « Mais le « siongo » est-il à 100% fiable ? », demandons-nous. Cette question, les chefs coutumiers la perçoivent comme une provocation et une insulte à leur égard. Ayant une foi inébranlable en cette pratique, ils considèrent le « siongo » comme un héritage de leurs ancêtres qui ne peut pas trahir. « Nous sommes nés trouver que nos grands-parents utilisaient cette méthode pour détecter les mauvaises graines et cela a toujours marché. Je ne vois pas pourquoi aujourd’hui ça ne va pas être le cas », soutient un autre chef coutumier.

Abandonner si …

Pourtant l’accusation de sorcellerie est punie par le Code pénal en son article 514-3 qui stipule que : « Est punie d’une peine d’emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 250 000 à 2 millions F CFA toute personne qui est déclarée coupable ou complice d’accusations de sorcellerie. La peine va de trois à cinq ans dans le contexte où l’accusation a donné lieu à l’exclusion sociale de la victime, à des coups et blessures, à des dégradations de biens et immobiliers ». Informés de cette disposition de la loi, les chefs coutumiers montent au créneau. Visiblement « irrités », ils ont exprimé leur « indifférence » vis-à-vis de cette législation notant que pour eux, les lois coutumières sont supérieures à celles étatiques. « C’est le Blanc qui est venu tout mélanger, sinon l’Etat est né trouver la coutume. Il n’est donc pas question que nous abandonnions nos traditions pour des choses de Blanc », déclarent-ils d’un commun accord.

Et de poursuivre qu’ils vont continuer à chasser les femmes déclarées sorcières. « Nous allons commencer à prendre le siongo dans la ville de Yako ici même », clame un coutumier, remonté. Toutefois, il s’est dit favorable à l’abandon de la pratique à la condition d’instaurer un tribunal pour juger les cas de sorcellerie comme c’est le cas dans certains pays, notamment le Cameroun où il y a des « juges sorciers ». « Lorsque nous les chassons, elles courent soit à la police soit chez les prêtes et ce sont eux qui les accueillent. C’est tout cela qui leur donne la force de continuer leur forfaiture », soutient-il.
Ces propos montrent le degré d’attachement à la pratique et la grande tâche qui est celle des acteurs locaux pour arriver à faire changer les mentalités. Pour dire que la lutte est encore longue et nécessite la mise en place de stratégies plus adaptées.

Nadège YAMEOGO


La sorcellerie, mythe ou réalité ?

Selon le Larousse illustré 2016, la sorcellerie est un ensemble de rites destinés à guérir, à nuire ou à faire mourir, propres à une société donnée. Dans le contexte africain, elle peut être définie comme une capacité à nuire à une personne grâce au pouvoir mystique. Le sorcier incarne ainsi ce personnage maléfique poussé à faire du mal sous influence de cette force de la sorcellerie. Selon Aleksandra Cimpric, il convient de faire une distinction entre la croyance à la sorcellerie et les accusations de sorcellerie. Le fait de croire en la sorcellerie ou aux pouvoirs extraordinaires de certains individus ne pose, en effet, aucun problème particulier. Selon l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, toute personne a droit à la liberté de penser, de conscience et de religion. Si donc la croyance en la sorcellerie peut continuer d’exister, les accusations de sorcellerie conduisant à l’exclusion sociale doivent en revanche cesser parce qu’elles posent non seulement de graves problèmes aux victimes, mais aussi aux défenseurs des droits de l’homme, à la société et aux instances étatiques.

N. Y.


Difficile communication sur le sujet

Parler d’exclusion sociale pour allégations de sorcellerie dans le Passoré relève parfois de la témérité. En effet, les populations, du fait de leur attachement à la tradition, voient d’un mauvais œil tout discours allant à l’encontre de leurs croyances. Selon des confidences que nous avons reçues de la part de certains acteurs de la lutte, ils sont souvent victimes de menaces par la population qui les considèrent comme des « avocats du diable ». Certains en arrivent à les assimiler aux « sorcières » convaincus que c’est parce qu’ils sont de la même nature qu’ils les défendent. « Il y a des acteurs à qui ils ont intimé l’ordre de ne plus aborder ce sujet au risque de faire long feu dans la localité », a confié une source qui a préféré garder l’anonymat.

N. Y.

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