Commune de Dori : La grande mare agonise

La réalisation du dalot a été un échec.

La grande mare de la commune de Dori, chef-lieu de la région du Sahel, se meurt. Pour faire face à l’ensablement dû à l’action anthropique et la fréquence des crues de cette ressource en eau, le projet « Dragage, assainissement et développement du bassin hydrographique de Dori (DRABHYD) » a été mis en œuvre en 2017. Contre toute attente, les ouvrages hydrauliques (dragage, dalot, périmètre irrigué…) qui devraient être réalisés à plus de 1 milliard FCFA pour une durée de 6 mois sont toujours inachevés. Comment est-on arrivé à cette situation ? Quelles sont les chances de survie de cette importante retenue d’eau pour le Sahel ? Enquête.

Le mercredi 3 avril 2019, la commune de Dori, située à 268 km de Ouagadougou publiait sur sa page officielle Facebook, ce message: « Aménagement de la mare de Dori : le processus d’aménagement de la mare de Dori est en bonne voie. Sur initiative du maire, le coordinateur du projet Dragage, assainissement et développement du bassin hydrographique de Dori (DRABHYD) et l’entreprise présélectionnée pour l’exécution des travaux ont échangé avec les représentants de la communauté et les services techniques déconcentrés sur les étapes dudit processus ».

Toujours dans cette publication, on pouvait lire : « Pour cette phase des travaux, il y aura un sur-creusage de 75 000 m3, un aménagement de 20 hectares pour la production maraîchère, la réalisation d’un ouvrage de franchissement à la sortie juste avant la déviation vers la ville de Gorom-Gorom, un canal d’abreuvement des animaux et un ouvrage d’évacuation d’eau en cas de nécessité. Le délai d’exécution des travaux est de 6 mois à partir de la notification des engagements ».Cette « bonne nouvelle » a recueilli « 217 j’aime », « 48 partages » et « 66 commentaires ».

Les internautes ont manifesté leur euphorie à travers des réactions sur la toile. Yacouba Ouédraogo: « Félicitations. La qualité des ouvrages reste et demeure notre souhait le plus ardent. Vivement que le patriotisme et l’intérêt supérieur de la population soient le souci primordial du réalisateur de l’ouvrage ». Hamidou Amadou Cissé, un autre internaute : « Vivement cette réalisation, car la population en a grandement besoin et félicitations au maire et tout le conseil municipal pour le travail abattu ». 34 mois plus tard après cette publication, la joie a fait place au désespoir au sein des populations. La mare de Dori est investie par les maraichers.

Tarie, polluée, sans eau par endroits, elle est aussi devenue une zone de confection des briques et de pâturage pour le bétail. A ce tableau sombre, il faut ajouter l’ensablement qui menace les milieux aquatiques et la biodiversité. En effet, les ouvrages hydrauliques prévus dans le cadre du projet pour donner un nouveau visage à cette importante ressource en eau pour les populations de Dori sont restés inachevés. A la date du 31 décembre 2021, les travaux d’aménagement de la grande mare de la commune de Dori qui portaient essentiellement sur des interventions à caractère hydraulique pour résoudre la problématique liée aux inondations de la ville par les eaux du bassin pendant la saison pluvieuse et au tarissement précoce de cette ressource en eau au cours de la saison sèche n’ont pas été réalisés et d’autres mal exécutés.

Sélectionnée à la suite d’un Avis d’appel d’offre ouvert (AAOO) lancé par le ministère de l’Agriculture et des Aménagements hydro-agricoles, le mercredi 26 septembre 2018, l’entreprise « Burkina Décor » a été retenue par la commission de dépouillement le 26 octobre 2018. Son dossier a été jugé conforme par rapport aux autres postulants dont les entreprises ECODI Sarl, Groupement GCA SA/ESICO BTP et EGF Sarl.

Incapacité de l’entreprise

Après l’obtention de l’Avis de non objection (ANO) en fin juillet 2019, l’entreprise a été

L’ex-maire de Dori, Aziz Diallo : « L’entreprise a failli à sa mission ».

notifiée par l’Agence italienne pour la coopération au développement (AICS) de débuter les travaux, le 31 août 2019, avec un délai de 6 mois hors saison pluvieuse. Mais 28 mois plus tard, à la date du 31 décembre 2021, le constat est désolant. La réalisation du dalot est inachevé, seuls quelques tas de terre sont déposés pour une tentative de déviation afin d’entamer les travaux sur le pont qui mène vers Wendou, secteur 7 de la ville.

Ce système devait servir à faciliter l’écoulement des eaux et une protection contre les inondations. Pire, ce dépôt de terre pendant la saison des pluies écoulée a eu pour conséquence, l’aggravation de l’ensable-ment de la mare. Elle est de nouveau remplie de terre et de sable. Cette action entraine également une dégradation de la biodiversité, du paysage urbain et une imperméabilisation des sols par les déchets plastiques pouvant conduire à une insuffisance de recherche de la nappe phréatique. En outre, le dragage, l’une des préoccupations des populations, n’a jamais vu le jour.

Avec un volume d’eau estimé à 75 000 m3 de déblai, son excavation allait permettre de développer une capacité d’eau supplémentaire qui puisse compenser les pertes d’eau par évaporation, afin d’avoir une disponibilité d’eau permanente pour l’agriculture, l’élevage et la pêche. La mauvaise réalisation du dalot a compromis l’opération de dragage et l’exécution du lot 1 du projet DRABHYD. Les effets collatéraux sur le plan économique sont visibles. Les populations sont confrontées à une hausse de prix des produits maraichers. Un renchérissement accentué par la fuite des maraicheculteurs des zones de production comme Yakouta, Goudebo, Oulo, du fait de la dégradation sécuritaire.

Au regard de ces conséquences désastreuses, l’ex -maire de Dori, Aziz Diallo, rencontré, le 17 décembre 2021, pointe du doigt la mauvaise volonté de l’entrepreneur Alain Zagré dans la conduite des travaux telle que prévue. Les différentes interpella-tions de la mairie sont restées lettre morte. Ce projet, soutient-il, est une initiative de son géniteur, l’ex- député maire de Dori, Hama Arba Diallo, décédé le 30 septembre 2014. Or, au regard de la dégradation sécuritaire dans la région du Sahel, la réalisation des ouvrages aurait pu permettre aux Personnes déplacées internes (PDI, 1 423 378 enregistrées à la date du 31 août 2021 sur le territoire national) de pratiquer des activités socio-économiques, aux dires de l’ex- bourgmestre.

« L’incapacité de l’entreprise à déployer les moyens humains, techniques et matériels a eu pour conséquence la stagnation des taux d’exécution restés très faibles à la date du 31 décembre 2021, malgré les prorogations réalisées en 2019, 2020 et 2021 pour tenir compte des difficultés indépendantes de sa volonté. Ils sont estimés à 8,47% pour le lot 1 », mentionne la note technique sur la situation du projet. Pour le lot 2 qui concerne l’aménagement d’un périmètre maraicher semi californien de 20ha, plus des réalisations d’ouvrages de protection antiérosive et de récupération de terres, son taux d’exécution a été évalué à 57,96%.

Pour le moment, cet espace présente des dégradations importantes au niveau de la clôture (grillages arrachés par endrois, poteaux cassés, rigoles causées par la pluie, etc.) et le canal n’a pas été relié à la cage de la pompe d’eau comme prévu dans les travaux. Toutes les tentatives pour rencontrer l’entrepreneur, Alain Zagré, par rapport au non- respect du délai d’exécution sont restées sans succès. La première tentative remonte au 10 janvier 2022, joint au téléphone, il disait se rendre à Tenkodogo mais a promis recevoir l’équipe de Sidwaya dès son retour à Ouagadougou.

A la suite d’ un deuxième appel le 12 janvier 2021, il s’est engagé à la mettre en contact avec son technicien. Mais, à notre grande surprise, il laisse croire que le spécialiste des travaux a effectué un déplacement hors du Burkina Faso. Relancé le 26 janvier 2022, quelques jours après la prise du pouvoir par le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), Alain Zagré prétextera « clairement » la situation politique du pays pour ne pas nous recevoir. Les messages via le réseau social WhatsApp envoyés à l’intéressé sont restés sans suite.

Vers un marché de gré à gré

Ce puits est le seul espoir des usagers de la mare, explique le président du GSV, Mohamed Ouédraogo.

Face au constat d’échec dans la mise en œuvre du projet en raison de l’incapacité  technique, logistique et organisationnelle de l’entreprise à achever les travaux, une concertation a eu lieu entre les responsables du projet et le partenaire financier (Agence italienne pour la coopération et le développement). La résiliation du contrat de l’entreprise « Burkina Décor » aurait été autorisée suivant les règles de procédures de passation des marchés, témoigne un responsable du projet. Et pour sauver la mare de Dori et par ricochet le projet de son aménagement, dont les objectifs initiaux demeurent très importants pour les populations du Sahel surtout dans le contexte particulier d’insécurité, ils ont décidé de passer dans l’urgence à un marché de  gré à gré . Cette étape serait intervenue après deux lettres de mise en demeure adressées au responsable de l’entreprise « Burkina Décor », mais restées sans effet selon l’article 159 du paragraphe 5 de la résiliation des marchés du décret N°2017-0049/PRES/PM/MINEFID, portant procédure de passation, d’exécution et de règlement des marchés publics et des délégations de service public.Pour ces différentes tâches du projet, la subvention du gouvernement italien s’élève à 1 313 781 130 FCFA pour un montant déjà décaissé de 636 666 854 FCFA. Et la contrepartie de l’Etat, à 131 378 131,3 FCFA, a servi à prendre en charge les sessions du comité de pilotage, du comité local de concertation, les équipements bureautiques, locaux, l’eau, l’électricité…

De graves conséquences

La population a rempli les caniveaux d’eau pluviale d’ordures notamment à  Mbandé Amirou  et  Mbandé Ladè , des quartiers du secteur 3 de la ville, faute de poubelles. Les eaux usées domestiques coulent directement dans la mare. Cette même eau est utilisée pour la consommation, la baignade et la lessive, bafouant ainsi les mesures élémentaires d’hygiène. La défécation ‘’ sauvage ‘’ est aussi pratiquée, notamment par les occupants des concessions construites sur les berges de la mare. Pendant la saison des pluies 2021, des

Pour le président des maraichers de Dori, Karim Bandé, le périmètre aménagé est distant de la ville et ses camarades préfèrent rester sur ce site.

habitations ont été envahies par l’eau, obligeant les occupants à faire des monticules de terre autour de leurs maisons. C’est pourquoi, il est mentionné dans le rapport final de mise en œuvre des activités qu’à travers les ouvrages hydrauliques du projet DRABHYD, une « bonne réalisation » de l’ouvrage de vidange de fond en aval va faciliter l’évacuation rapide des eaux de la mare en cas de survenue de pluie entrainant une inondation de la ville de Dori. Cet aménagement de la mare permettra d’assurer la vidange du ‘’ trop-plein ‘’ d’eau avant la remontée des eaux qui est l’une des causes des inondations de la cité, indique la même source.

« Un seul puits qui nous sauve »

Compte tenu de la baisse de la pluviométrie au cours de  l’année 2021 dans la région du Sahel, les exploitants de la mare, rencontrés, le samedi 4 décembre 2021, se sont montrés soucieux de l’avenir de ce patrimoine économique. Le président de l’association du Groupe Sahel verdure (GSV), Mohamed Ouédraogo, explique que seul un aménagement réussi va permettre de sauver ce cours d’eau et tous ceux qui en dépendent pour faire vivre leurs familles. « L’aménagement de la mare est bénéfique pour nos activités quotidiennes. Sans eau, il est difficile pour les pépiniéristes, les maraîchers, les éleveurs et les pêcheurs de mener leurs activités.

Il y a un seul puits qui nous sauve. Nous sommes obligés de modérer la consommation d’eau», déclare-t-il. Le président des maraichers, Karim Bandé, dénonce pour sa part la faible implication des maraichers dans la mise en œuvre du projet. Par ailleurs, à ses dires, le site retenu n’est pas celui choisi par le défunt député, ex- maire, Hama Arba Diallo.

« Le nouveau périmètre de 20 ha ne répond pas aux normes souhaitées et risquerait d’être inexploité du fait de sa distance avec la ville. Certains responsables du projet ont même soutenu que les travaux ne sont pas conformes aux réalités que vivent les populations », témoigne-t-il. Les populations de Dori souffrent du manque d’eau pour les activités socio-économiques et des inondations. Le retard d’exécution des travaux de finition des ouvrages hydrauliques accentue les peines des Sahéliens, déjà sous le choc de la recrudescence des attaques terroristes.

En attendant que des solutions soient trouvées pour résoudre les différentes équations liées à l’aménagement de la mare de Dori, un responsable des services techniques du projet recommande des machines flottantes dans l’eau pour les travaux, quelle que soit la période pluviale de l’année. En effet, pour des projets d’une telle envergure au bénéfice de la population, il propose d’écarter les entreprises non spécialisées dans les domaines d’activités des marchés, mais également d’assurer un suivi régulier de l’exécution des marchés et anticiper sur les sanctions (mise en demeure et résiliation des travaux), s’il y a lieu. Des activités de sensibilisa-tion sur l’occupation du lit de la mare par les producteurs, aux dires du directeur provincial de l’Agriculture du Seno, Boureima Dango, doivent être une arme de guerre afin d’endiguer certaines pratiques désastreuses.

Oumarou RABO 


Une ressource pour plusieurs localités

La grande mare ceinture la ville de Dori, en allant du sud (provenance de Ouagadougou) jusqu’à l’est . Elle borde l’ensemble des secteurs et ses eaux coulent du sud à l’est. La mare est coupée en deux par une digue routière bitumée qui traverse la ville et mène vers l’intersection des voies de Djibo et Gorom-Gorom. Cette ressource en eau est aussi entourée par plusieurs autres localités dont Selbo  (3 km), Torodi (6km), Diomga (à moins de 2 km), etc. Son bassin versant s’étend sur une superficie de 244,53km2 et un périmètre de 80,73km. Au regard de son importance pour le Sahel, des actions urgentes doivent être menées pour qu’elle ne ‘’ succombe ‘’ pas.


Refus de signer les états contradictoires

Le rapport final du projet indique que le responsable de l’entreprise « Burkina Décor », Alain Zagré, a refusé de signer les états contradictoires pour cause de non- prise en compte des déblais qu’il a réalisés en dehors de la zone de dragage définie dans le lot 1. Aussi, il a estimé que les moellons collectés pour le perré maçonné n’ont pas été pris en charge. C’est pourquoi, note la source, il est nécessaire de trouver un terrain d’entente pour permettre d’avoir la situation financière restante du projet et programmer conséquemment les activités (dans la limite des fonds restants) avec une autre entreprise, sous entendu.

 

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