Conflit communautaire : Deux villages se disputent la rive droite de Bagré

Le haut-commissaire du Boulgou, Boukary Sawadogo, fonde l’espoir de mettre fin à la crise lors de la rencontre prévue en janvier 2021.

Des habitants de Ponga (commune de Zonsé dans le Boulgou) et de Dirzé (commune de Gom-Boussougou dans le Zoundwéogo) se sont affrontés le samedi 19 décembre 2020. Aucune perte en vie humaine n’a été relevée mais la tension demeure entre les deux villages qui revendiquent chacun la propriété de terres situées sur la rive droite du barrage de Bagré. Retour sur les faits.

Un conflit latent, opposant les habitants du village de Ponga (3695 âmes selon le Recensement général de la population et de l’habitat de 2006) dans la commune de Zonsé au Centre-Est à ceux de Dirzé (2277 âmes selon le RGPH 2006) de la commune de Gon-Boussougou au Centre-Sud, a dégénéré le samedi 19 décembre 2020. Des blessures à l’arme blanche, des traitements dégradants, des pertes de numéraires, des dégradations d’habitations et d’engins roulants, sont le bilan de cet affrontement communautaire né du fait d’une cérémonie festive organisée par un ressortissant de Ponga dans le village artificiel 1 de Bagré, communément appelé « V1 ».

A Dirzé, le fait est perçu comme la célébration de l’intronisation d’un chef coutumier à V1 par le chef du village de Ponga. S’estimant propriétaires coutumiers de V1, les habitants de Dirzé décident de réagir. « Nous avons envoyé une délégation pour interpeller le prétendu chef intronisé afin de l’écouter sur ses motivations réelles. La délégation ne l’ayant pas vu, elle est revenue avec quelqu’un de la cour », relate le chef de Dirzé, Naaba Yalamdinaam. En réaction, le village de Ponga entreprend des représailles.

Le chef de Dirzé souhaite que les terres leur appartenant leur reviennent.

« Nous aussi, avons pris 23 des leurs et les avons amenés ici, dans la cour royale, parce qu’à notre connaissance, aucune loi du pays n’autorise un simple citoyen à aller arrêter un autre citoyen qui décide de faire une fête chez lui », raconte le chef de Ponga, Naaba Komboumbou. Les habitants de Dirzé comme de Ponga reconnaissent que la désolation aurait été plus grande sans la réaction « rapide » des autorités, en l’occurrence, les maires de Gom-Boussougou et de Zonsé, les haut-commissaires du Zoundwéogo et du Boulgou ainsi que les services de sécurité. Leurs interventions ont permis le retour au calme et la libération des personnes séquestrées de part et d’autre. Mais la hache de guerre n’est pas encore enterrée.

« Le problème remonte à 1992… »

Les habitants de Dirzé accusent ceux de Ponga de duplicité. « Les habitants de Dirzé sont obligés de traverser Ponga pour aller dans leurs champs et les zones de culture de Bagré. Mais depuis le samedi, ils refoulent tous ceux qui empruntent la voie. Nos ressortissants qui sont dans les V (NDLR : Villages artificiels dans le périmètre de Bagré) subissent aussi des menaces ou sont sommés de prêter allégeance à des chefs locaux. Devant les autorités, ils paraissent conciliants mais tout juste après, ils reprennent leurs manœuvres », confie le chef de Dirzé, dans l’après-midi du 22 décembre 2020. A Ponga, l’on réfute cependant cette affirmation.

« Personne ne subit une quelconque exaction de notre part. Je défie quiconque de le prouver ou de traduire son bourreau devant les autorités compétentes », martèle le chef de Ponga. Au-delà des accusations mutuelles, c’est la cohésion entre les deux communautés qui s’effrite. Celles-ci s’observent désormais en chiens de faïence. Pourtant, Ponga et Dirzé partagent beaucoup de choses en commun. Les deux chefs portent le même patronyme, « Dabré ». L’histoire renseigne aussi que ces deux villages contigus ont été fondés par deux amis. Les liens matrimoniaux et les limites entre les deux villages sont d’autres points qui les unissent également.

Le chef de Ponga estime être dans ses prérogatives
en nommant ses représentants dans les V.

« Les relations entre nos deux villages ont toujours été cordiales », reconnaissent d’ailleurs les chefs de Dirzé et celui de Ponga. Aujourd’hui, ce temps de cordialité semble lointain. La crise entre Ponga et Dirzé est désormais ouverte. De l’avis des maires de Gom-Boussougou, Mohamed Maré et de Zonsé, Seydou Zampou, les expéditions punitives réciproques du samedi 19 décembre 2020 n’ont été en réalité que la goutte d’eau de trop dans le vase. « Le problème entre Dirzé et Ponga remonte à 1992, date de la mise en eau du barrage de Bagré. Il a été décidé, à l’époque, de créer des V. Les villages situés sur la rive droite, V1 à V8, étaient rattachés à la province du Zoundwéogo parce que c’était les champs des ressortissants de Dirzé.

Les enseignants qui se trouvaient dans les écoles construites dans ces zones traitaient même leurs dossiers administratifs au haut-commissariat du Zoundwéogo. Mais entre-temps, on nous a dit que ces V relèvent désormais de Bagré », explique M. Maré, maire de Gom-Boussougou. Le préfet du département de Bagré, Désiré Badolo, ajoute d’autres précisions : « Bagré a été érigé en département de la province du Boulgou. La Maîtrise d’ouvrage de Bagré ayant réalisé des infrastructures socioéconomiques sur la rive droite du fleuve Nakanbé, ils ont tranché pour le rattachement des V, de 1 à 5 au département de Bagré et de 6 à 10 à la commune de Zonsé ». En clair, les villages des 10 V de la rive droite passent entièrement sous la tutelle administrative des communes de Bagré et de Zonsé qui relèvent tous deux de la province du Boulgou.

Des « nominations » qui exacerbent les tensions

Dirzé étant situé dans la province du Zoundwéogo, ses habitants estiment avoir perdu des terres qui leur reviennent coutumièrement, dans le redécoupage administratif. Mais le chef de Ponga conteste même la souveraineté coutumière de Dirzé sur les terres de la rive

Des blessés à l’arme blanche ont été enregistrés du côté
de Dirzé…

droite de Bagré. Il revendique aussi un droit coutumier sur le même espace et souhaite y entreprendre des rites, surtout que lesdites terres se rattachent à la province dont relève son village. Outre les paroles, certaines actions du chef de Ponga ébranlent davantage Dirzé où le chef et ses populations souhaitent se réapproprier leurs terres.

En 2019, alors que la région du Centre-Est accueille les festivités du 11-Décembre, des frictions naissent entre Ponga et Dirzé à la suite de l’intronisation de chefs locaux dans les V par le chef de Ponga. « Au cours d’une rencontre, j’ai fait comprendre que l’administration ne s’immisce pas dans les affaires coutumières mais qu’elle est obligée de réagir lorsque les questions coutumières portent atteinte à la paix. J’ai alors pris un arrêté interdisant la nomination de chefs et toutes les parties se sont engagées à respecter cela. Le chef de Ponga a même accepté de rendre caduque toutes les intronisations qu’il a effectuées », explique, à ce propos, le haut-commissaire du Boulgou, Boukary Sawadogo.

En novembre 2020, en pleine campagne électorale, le chef de Ponga est de nouveau indexé pour être passé outre les décisions de l’autorité administrative en intronisant des chefs dans les V. « Ce ne sont pas des chefs que j’ai intronisés. Ce sont des représentants que j’ai nommés. Pour des cas de décès par exemple, je suis appelé à procéder à des rites, mais je ne peux plus me déplacer beaucoup maintenant, ces représentants font le travail et me rendent compte », insiste le chef de Ponga. L’explication convainc peu à Dirzé. Les populations sont persuadées que lesdits représentants sont en réalité des couvertures pour masquer les velléités d’accaparement des zones par Ponga.

Des accords pour discuter

De part et d’autre, chaque communauté s’estime donc être dans son droit de revendiquer et défendre son droit foncier sur les terres en cause. Mais certaines actions posées au nom de ce droit sont des manquements à la loi de l’avis du haut-commissaire du Boulgou. L’autorité administrative dénonce notamment la séquestration des personnes, la justice par soi-même et le non-respect des décisions de l’autorité étatique. « Les terres que les deux villages se disputent actuellement ne relèvent même pas de leur circonscription administrative puisqu’elles appartiennent au département de Bagré », fait remarquer Boukary Sawadogo qui préconise aussi bien pour les populations que pour les entités administratives la voie de la justice pour régler les litiges fonciers.

…comme de Ponga, lors des affrontements.

En tous les cas, le haut-commissaire du Boulgou annonce que tous les acteurs seront réunis à la même table en janvier 2021 pour trancher définitivement le problème. Les responsables des villages, ceux de Bagrépôle, les propriétaires terriens, les personnes-ressources, les maires des communes, les hauts commissaires et les gouverneurs plancheront sur le problème et prendront des décisions consensuelles définitives. « Nous attendons impatiemment une telle rencontre pour qu’on puisse régler définitivement le problème, parce que maintenant, la situation est assez grave et peut dégénérer à tout moment », soutient le chef de Dirzé. Son homologue de Ponga se dit également impatient pour la tenue du conclave qui viendra départager tout le monde « une bonne fois pour toute ».

En attendant, les uns comme les autres sont invités à garder de la mesure. « Je souhaite que les gens aient de la retenue et ne cherchent pas à se donner raison ou à se venger. Il y a des procédures administratives et judiciaires qui peuvent résoudre le problème sans qu’aucune goutte de sang ne soit versée », a déclaré la gouverneure du Centre-Sud, Josiane Kabré, actrice aussi de la résolution de la « crise du samedi 19 ». Le préfet de Bagré, Désiré Badolo, abonde lui aussi dans le même sens, estimant que si, pour l’heure, la crise n’a pas impacté gravement les activités économiques dans la zone de Bagré, la résolution définitive du conflit pourra taire à jamais les disputes et favoriser le renforcement du tissu économique dans la localité.

Mamady ZANGO
mzango18@gmail.com


Des villages sans panneaux d’indication !

Dans le répertoire des villages administratifs du Burkina Faso, Dirzé et Ponga y figurent noir sur blanc. Sur le terrain cependant, des panneaux servant d’indication des limites desdits villages sont absents. Des confidences, il ressort que ces balises existaient mais ont été aussi victimes de la dispute des habitants des deux villages sur la propriété des terres. « Les panneaux ont été arrachés », apprend-on.


La parenté à plaisanterie, cette bonne vieille cure 

Dans l’entretien que nous avons eu avec les habitants des villages parcourus, la parenté à plaisanterie s’est révélée une fois de plus, être une bonne thérapie face aux tensions. En effet, malgré la colère et la crispation qui se lisaient sur les visages des hôtes, il a juste fallu qu’un membre de notre équipe décline son nom et passe au jeu des « piques » pour que tombe la pression et que les rires et les taquineries remplacent le silence de plomb.

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