Conflits de succession : ces belles-familles qui spolient les veuves

Mariées légalement ou non, nombreuses sont les veuves qui sont dépouillées par leur belle-famille. Sans soutiens, démunies, elles broient du noir avec leurs orphelins. Afin de préserver la vie privée de nos interlocuteurs, nous avons eu recours à des noms d’emprunts.

Chaque nuit, le défunt Issaka Koné, trouble le sommeil de son ex-épouse. Assise sur un escabeau et adossée au mur d’une maison de 20 tôles, Kadi Koné, a l’air angoissé. Le 14 mars 2018, fut un jour inoubliable pour elle. Son bien-aimé Issaka Koné, éleveur, la cinquantaine bien sonnée, transporté d’urgence au Centre hospitalier universitaire Yalgado-Ouédraogo (CHU-YO), rend l’âme, à la suite d’une courte maladie. Un choc pour dame Koné, la quarantaine, mère de quatre enfants, qui fait face dorénavant au veuvage et ses exigences. Son seul souci: se battre pour garantir l’avenir de ses enfants, tous mineurs. Mais, c’est sans compter l’attitude spoliatrice de sa belle-famille qui vient en rajouter à sa douleur. « Doua » du 7e jour, c’est le début de ses malheurs. Après le cérémonial, sa belle-famille commence à la dépouiller. Sans état d’âme, les biens de leur fils Issaka Koné sont arrachés les uns après les autres. « Ils sont d’abord venus prendre tous les porcs que mon mari élevait. Ils les ont vendus, sans me remettre un seul centime. Pourtant, ses frères savent bien que j’ai des enfants à prendre en charge », fulmine-t-elle. Cependant, la veuve et le regretté se sont dit « oui », sous le régime de la « monogamie biens communs », le 5 juin 1999 à l’hôtel de ville de Saaba, une commune rurale à la sortie Est de Ouagadougou. Malgré ce régime matrimonial, elle dit avoir des difficultés pour faire valoir ses droits face à la répression de son beau frère, Issa Koné, qui serait le cerveau de la spoliation. « Mon mari est mort en me laissant dans des problèmes. Nous sommes dans une société où la femme, quelle que soit sa légitimité, n’a pas le droit de jouir des privilèges de son mari en présence de sa belle-famille », s’alarme-t-elle. Elle regrette le comportement de son beau-frère. De son avis même si, la veuve est rejetée, la belle-famille doit veiller à la protection des enfants mineurs du défunt. Les velléités de son beau-frère de faire main basse sur ses biens ne s’arrêtent pas à là.

Des veuves traumatisées et spoliées

Pour la responsable de la clinique juridique de l’AFJ/BF, Christiane Zaï, s’emparer des biens du défunt, c’est une injustice.

Il liquide clandestinement la cour de son frère, d’une superficie de 300 m 2. « Un jour, j’ai reçu la visite d’une belle-sœur. Pour moi, c’était une visite de courtoisie ou de réconfort compte tenu de ma situation. Quelques minutes après nos échanges, elle m’a tendu une somme d’argent dans une enveloppe, me signifiant que la cour a été vendue », explique-t-elle, les yeux embués de larmes. Le mépris et la colère de sa belle-famille la plonge dans le désarroi. La situation de la veuve Koné est pitoyable. Son droit parental lui est contesté. Son premier fils lui est retiré par Issa Koné. Pourtant, selon l’article 741 des droits successoraux du conjoint survivant du Code des personnes et de la famille au Burkina Faso adopté, le 16 novembre 1989, le conjoint survivant (…) est appelé à la succession, même lorsqu’il existe des parents. A l’instar de Kadi Koné, plusieurs veuves sont « traumatisées et spoliées » par leur belle-famille.

Les épouses sont dépossédées après le décès de leur conjoint. C’est le cas de la veuve Henriette Zio, la soixantaine révolue et mère de deux enfants. Nous la rencontrons, le vendredi 28 août 2020, dans la cour de la direction provinciale de l’action sociale du Kadiogo, parmi des femmes vulnérables assises, certaines sous le soleil et d’autres à l’ombre des manguiers attendant le soutien du service « Solidarité nationale et l’assistance humanitaire » du projet « Filets sociaux », dirigé par Harouna Simporé. Dame Zio se hâte vers le service famille avec son enfant. Troublée, elle estime que ce service, auquel elle s’adresse, a une compétence limitée. Après avoir reçu les conseils du responsable, Hamidou Zoungrana, elle nous confie : « Mon mari Bakou Zio est décédé. Je suis venue pour demander à l’Action sociale de me trouver un avocat. J’ai des soucis tous les jours à propos de l’héritage de mes enfants. Je veux que leurs droits soient rétablis sur les biens de leur géniteur car, mon beau-frère a tout monopolisé », lâche-t-elle. Le visage triste, elle estime qu’elle ne serait jamais humiliée par sa belle-famille, si son époux n’avait pas été rappelé par Dieu. Mais, les années de bonheur lui reviennent à l’esprit. En 1992, se remémore-t-elle, son époux et elle se sont mariés devant l’officier de l’état civil sous le régime de la « monogamie biens séparés ». « Nous travaillions les deux dans un établissement secondaire à l’époque. Moi, éducatrice principale et lui, professeur d’histoire-géographie. Par la suite, avec son charisme politique, il a été nommé à un poste important dans une région. Je suis restée dans le même lycée jusqu’à ma retraite en 2017 », relate-t-elle. Mais, le plus dur commence, lorsqu’en 2011, son mari l’a quittée pour toujours, due à un Accident vasculaire cérébral (AVC). Evacué au Centre hospitalier régional (CHR) de la dite contrée puis transféré par la suite au Centre hospitalier universitaire Yalgado-Ouédraogo (CHU-YO), son époux s’est éteint à jamais à l’extérieur du pays, en 2011.

« Depuis le jour du décès jusqu’aujourd’hui, je n’ai jamais eu accès à sa chambre où il résidait dans la région. Quelques jours après le décès de mon mari, son petit frère s’est rendu dans son lieu de résidence, pour fouiller la maison. Il a même ramassé des papiers importants le concernant. Des animaux et du matériel ont été emportés. Je n’ai reçu que ses pantalons », se lamente-t-elle. Rejetée, elle aussi, par sa belle-famille, la veuve Henriette Zio éprouve d’énormes souffrances avec la prise en charge de ses enfants. « Compte tenu du revenu modeste de ma pension, j’ai des difficultés pour scolariser mes enfants qui évoluent dans des établissements supérieurs privés. Tous les biens de mon mari sont dans les mains de son petit frère », avoue-t-elle. Et l’article 742 du Code des personnes et de la famille dispose que, lorsque le défunt laisse des enfants ou descendants d’eux, le conjoint survivant a droit au quart de la succession. Ce même calvaire « résonne » aux oreilles de Minata Sy, mariée « religieusement » à Salif Tou. Alors que sa « moitié », raconte-t-elle, s’apprête pour Niamey, la capitale du Niger, à la suite de son admission au concours professionnel en 1995, un panaris gâche son rêve. Il passe de vie à trépas. Derrière lui, la veuve Minata Sy et ses deux enfants sont dans l’amertume. Ils font face maintenant aux dures réalités de la vie. Rencontrée, le mardi 4 août 2020 au siège de la fondation Lucie Kaboré, à Ouagadougou, œuvrant pour la promotion des veuves et orphelins du Burkina, mine crispée, la quinquagénaire se confie, en présence de la responsable chargée de l’écoute des veuves, Denise Combari.

Dans ma tenue de deuil…

La veuve Kadi Koné : « Rien ne reste dans la porcherie. C’est déplorable de déposséder une veuve ».

« Le tourment a commencé quelques jours après son décès. Dans ma tenue de deuil, les beaux frères sont venus me demander la clef de la maison en location où nous vivions. Ils ont tout vidé. Rien n’est resté dans le local. Ils sont même rentrés en possession de tous les papiers », laisse-t-elle entendre. Elles sont nombreuses ces femmes qui vivent ces unions de fait. Malheureusement ce cas de figure n’est pas reconnu par la loi. De l’avis de la coordonnatrice de l’Association des femmes juristes du Burkina (AFJ/BF), Christiane Zaï, la veuve issue d’un tel mariage ne peut nullement prétendre à la succession. Elle n’hérite de rien. Les ayants droit sont les enfants (s’il en existe), qui héritent de la totalité des biens de leur défunt père. « Comme elle gère la tutelle, elle devient la tutrice des enfants. En ce moment, elle peut poursuivre au nom des enfants, la succession, afin de mieux gérer les biens », explique-t-elle.

Comme papa n’est plus…

Une vingtaine d’années après la mort de Salif Tou, Minata Sy continue « d’errer » avec ses enfants. Pourtant, le regretté a laissé une parcelle non construite qui pourrait servir à sa famille. Malheureusement, elle a été vendue à un commerçant avec la complicité de son beau-frère, Issaka Tou. Accusée également d’être la responsable de la mort de son époux, dame Sy se retrouve plongée dans la solitude. « Après son décès, la belle-famille s’est réunie pour m’exiger le remariage selon la coutume. J’ai donc choisi le cousin de mon mari. Mais, mon beau-frère qui a vendu la parcelle est allé lui dire de ne pas accepter parce que je suis souffrante du VIH-SIDA. Pourtant, plusieurs tests ont signifié que je suis séro-négative », soutient-elle. Toutefois, Minata Sy et ses enfants, tous des majeurs, disent ne rien lâcher.

Abus de vol

Même si elle a pu entrer en possession de quelques biens, grâce à sa plainte déposée à la gendarmerie, elle tient toujours à la parcelle déjà mise en valeur au profit de sa progéniture. « Cela me ronge le cœur. J’ai entamé des poursuites depuis des années avant que la parcelle ne soit mise en valeur. Je déplore l’action de mon beau-frère. », affirme-t-elle. Pour son fils Kalifa Tou, les remords sont énormes. Si papa était là, dit-il, l’attitude « mélancolique » de son oncle n’allait jamais se produire. « Comme papa n’est plus, nous sommes devenus la bête noire de notre oncle paternel. Il est à l’origine de notre souffrance », déplore-t-il. Le chef du service de la solidarité nationale et l’assistance humanitaire de la direction provinciale de l’action sociale du Kadiogo, Harouna Simporé, condamne avec fermeté les violences faites aux veuves. Pour lui, la spoliation de la veuve et de l’orphelin traduit la perte des valeurs sociales.

La responsable de la clinique juridique de l’AFJ/BF, Christiane Zaï, qualifie, pour sa part, le fait de dépouiller la maison du défunt à l’insu de sa « petite famille », de vol. « C’est une infraction. La belle-famille n’a pas à soutirer les documents. Fouiller la maison en l’absence de la femme. Non ! Cette dernière, peut demander au juge, la liquidation des biens ou saisir un huissier de justice pour faire valoir ses droits », soutient-elle. Aussi, Christiane Zaï explique que le lévirat n’est pas une nécessité pour la veuve. Elle ajoute que le fait de vouloir l’obliger à se remarier pour des intérêts individuels, est un délit. « En cas de forcing, cela devient une violence. Et si, c’est une violence, nous déposons une plainte à la justice pour mariage forcé. Si elle se livre à vous, c’est du viol, un abus sexuel », s’insurge-t-elle. Pour elle, les veuves victimes de violences ont besoin de psychologue, une alternative que sa structure soutient dans sa mission de sensibilisation. « La veuve doit établir l’acte de décès, puis le procès-verbal du conseil de famille, et le certificat d’hérédité.

Aussi, le certificat de tutelle est capital. Si tous ces documents sont fournis, mon association s’adressera au président du Tribunal de grande instance (TGI) pour demander la liquidation des biens », conseille-t-elle. Le hic, déplore-t-elle, quand la belle-famille veut spolier, elle n’est pas prête à suivre toutes ces procédures. Quant au chef du service de la solidarité nationale et l’assistance humanitaire, il note que toute cette démarche explique le désengagement de la belle-famille à l’endroit de la veuve et de ses enfants. A ses dires, même lorsqu’il s’agit d’un mariage religieux, dans aucun livre saint, il n’est autorisé la dépossession de la veuve et l’héritage revient aux ayants droit. « Quand il y a des enfants dans un foyer, qu’il y ait mariage ou pas, lorsque l’un des deux parents rend l’âme, l’héritage revient prioritairement aux enfants », enseigne la responsable de la clinique juridique de l’AFJ/BF. Aussi, insiste-t-elle, la femme hérite à partir du moment où elle est mariée légalement. Traumatisées et rejetées par la belle-famille, de nombreuses veuves se demandent à quand la fin de leur cauchemar…

Oumarou RABO
oumarourabo657@gmail.com

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