Construction du CSPS de Mouviélo : un chantier sans fin

La construction du Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) de Mouviélo dans la commune de Diébougou est à l’arrêt depuis 2017. Village pourtant reconnu en 2005 par le ministère en charge de l’administration territoriale, Mouviélo se trouve cependant dans le périmètre de la réserve partielle de faune de Bontioli créée trois années avant l’indépendance de la Haute-Volta (actuel Burkina Faso), respectivement par l’arrêté N°3147 SE/EF du 23 mars 1957 et celui N°3417 SE/EF du 29 mars 1957. Depuis cinq ans, l’infrastructure sanitaire est ainsi à cheval entre finition ou délocalisation, au grand dam des habitants.

Le maire de Diébougou, Alphonse Somda : « Si nous avions su que Mouviélo était dans la forêt, nous aurions mis le CSPS ailleurs ».

Nous sommes dans la région du Sud-Ouest sur l’axe Diébougou-Gaoua. Le panneau indique Navielgan sur la piste cahoteuse. 25 km à parcourir et apparaissent en retrait de la piste, des constructions en dur perdues parmi les grands arbres de la savane : karité, néré et le silence. Le temps semble s’être arrêté au Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) du village de Mouviélo, un des 27 villages de la commune de Diébougou (province de la Bougouriba). Pas une seule blouse blanche, pas de malades, seul un silence de cimetière règne sur les lieux. Une bâtisse principale attend encore quelques travaux de finition. Elle devait abriter l’infirmerie et la maternité. Plus loin, sur la droite, les logements du personnel. Eux aussi attendent de finir. Tout autour, des restes d’agrégats, des ouvertures encore intactes gisent là attendant le maçon ou l’ouvrier qui ne viendra peut-être plus jamais. Tout a commencé à la faveur de la célébration tournante de la fête de l’indépendance dans la région du Sud-Ouest en 2017.

Ceci explique cela…

A cette occasion, la mairie de Diébougou avait prévu d’ériger là une infrastructure socio-sanitaire au profit des populations. Les travaux commencent. Mais dès le 11 septembre 2017, la direction régionale de l’Environnement sonne la fin. La raison ? Mouviélo, bien que reconnu depuis 2005 par le ministère en charge de l’administration territoriale, est en fait un village illégalement installé dans le périmètre de la réserve partielle de faune de Bontioli. La réserve a été créée en 1957, respectivement par l’arrêté N°3147 SE/EF du 23 mars 1957 et celui N°3417 SE/EF du 29 mars 1957.

Pour le directeur régional en charge de l’environnement, Sayouba Evrad Kirsi Ouédraogo, l’intérêt du classement de la réserve est la protection du fleuve Bougouriba qui la traverse pour aller se jeter dans le Mouhoun. Le Code forestier en son article 96 prescrit l’interdiction de toutes les activités incompatibles avec la conservation des réserves telles que le pâturage, le défrichement, l’exploitation agricole, forestière ou minière, le dépôt des déchets, les activités polluantes, les feux incontrôlés et en général toute activité. Cela, l’ex- maire de Diébougou, Alphonse Somda, ne l’a su que lorsque les activités du Programme d’investissements forestiers (PIF) ont commencé, en fin 2017, tout comme il a su que Mouviélo se trouve à l’intérieur de la forêt classée. C’est lui qui a eu l’initiative de cette construction. Le CSPS le plus proche, celui de Dankoblé à environ 8,5 Km en amont, est inaccessible pendant l’hivernage lorsque le fleuve Bougouriba sort de son lit. De ce constat est née l’idée d’implanter un centre de santé. «A Mouviélo, il y a entre 5 000 et 6 000 habitants obligés d’aller se soigner au CSPS de Dankoblé en amont. En hivernage, le village devient totalement enclavé. Il y a un vrai problème pour l’accès aux services de santé à Mouviélo », explique l’ex- maire. Sauf qu’aux termes du décret n°2015-1187, les travaux devaient faire l’objet, en fonction de l’ampleur des impacts, soit d’études d’évaluation environnementales stratégiques, soit d’études d’impact environnemental et social, soit bénéficier d’une notice de prescription de l’Etat du site choisi.

Une procédure escamotée

Dans le cas du CSPS de Mouviélo, aucun de ces documents n’existe. «Généralement, lorsque que le conseil municipal bénéficie d’un appui financier pour la construction d’un centre de santé, il implante l’ouvrage avant de solliciter des agents auprès du ministère de la Santé pour la mise en service. Nous avons procédé ainsi pour le CSPS de Konsabla et celui de Diébougou communal 2», affirme Alphonse Somda. Le choix du site a été fait de concert avec les villageois, témoigne le président du Conseil villageois de développement (CVD), Bobaïkoun Pooda. Mais là, nous sommes sur une zone protégée et pour le directeur régional en charge de l’environnement, aucune étude ne pouvait valider ce choix : « La Bougouriba est juste à côté et les risques de pollution sont réels par les déchets biomédicaux.

Le président du CVD, Bobaïkoun Pooda: «Nous sommes prêts à partir si on nous trouve un endroit où nous pouvons nous installer ».

Comment voulez-vous soigner les populations si vous polluez l’eau qu’elles vont boire ?  », s’interroge-t-il. A Mouviélou, on ne comprend pas et un sentiment de révolte transparait dans les propos : «Après des renseignements auprès du maire, nous avons appris que notre CSPS est dans la réserve et que les travaux ne peuvent pas se poursuivre. Ce qui nous écœure est que l’infrastructure est presque finie. On nous refuse notre droit à la santé», fulmine le président du CVD. «On veut nous faire du mal. Sinon pourquoi l’Etat continue d’affecter des enseignants dans l’école du village et nous refuse les autres choses comme le CSPS et le forage », se lamente M. Pooda. Le village avait en effet réuni la même année 250 000 FCFA pour se faire construire un forage. Là également, le projet est à l’arrêt pour les mêmes raisons. Le fait est que la multiplication des installations a pu alerter les responsables de l’environnement sur les risques de perte de contrôle sur cet espace vital.

Plusieurs options

Pendant ce temps, les parties se renvoient la balle. Pour l’ex- maire et les habitants de Mouviélou, il faut terminer le chantier et ouvrir le CSPS, quitte à le rétrocéder au ministère en charge de l’environnement. « Il faut ouvrir le CSPS pour nous permettre de nous soigner et après on verra », renchérit le président du CVD. L’ex- bourgmestre préconise de profiter de la mise en service du CSPS pour obtenir l’adhésion de la population pour la protection de la forêt. La direction régionale du Sud-Ouest en charge de l’environnement, elle, reste intraitable. Tout d’abord l’autorisation de construire dans la réserve est conditionnée par celle de déclasser la partie concernée, délivrée par le ministre en charge de l’environnement.

La chose ne peut être envisagée : « L’Etat a choisi 133 700 hectares pour en faire des forêts sur une superficie totale de près de 13 000 km2. Ensuite, si on déclassifie les forêts, même avec de grandes campagnes de reboisement, il y aura la sécheresse, car tous les éléments du milieu naturel sont interdépendants », explique-t-il. Par ailleurs, le Burkina a signé des conventions internationales pour la préservation des forêts. Ainsi, la commune de Diébougou a été financée, par le projet d’investissement forestier (PIF), dont la porte d’entrée est la forêt. A ce titre, elle a bénéficié de 190 millions pour son plan communal de développement et d’autres financements à hauteur de 1,215 milliard FCFA entre 2018 et 2021 dans le cadre du Projet de développement intégré communal. Voilà ce à quoi conduit un projet mené à la hussarde. Pour tout dire, le CSPS de Mouviélou est condamné si ses initiateurs persistent à le maintenir sur son site actuel.

La délocalisation, seule option viable

Pour la direction régionale de l’Environnement, la seule possibilité est de faire une évaluation environnementale et d’élaborer un plan de réinstallation de la population hors de la forêt. Cette solution a été déjà expérimentée dans la forêt de Koulbi. « Si vous y allez, vous verrez des écoles dont on a enlevé les toits et planter des arbres pour que la nature retrouve ses droits», explique l’inspecteur des eaux et forêts. L’ex-bourgmestre de Diébougou se dit favorable à la délocalisation, dans la mesure où les habitants ne vivent pas dans la quiétude, alors que son souci est d’améliorer les conditions de vie de ses administrés. «Nous sommes prêts à partir si on nous trouve un endroit où nous pouvons nous installer. A quoi sert-il de rester dans un village sans accès aux soins de service de santé à proximité», se demande pour sa part, le président du CVD de Mouviélo. Un accord pourrait donc être trouvé. Mais à ce jour, aucun site de relocalisation n’a été identifié. D’ailleurs, qui doit faire le premier pas pour sa désignation ? Quant à la population, elle attend, mais pour combien de temps encore ?

Nadège YE

NB : Ce reportage a été réalisé avec le soutien du Projet de gouvernance économique et de participation citoyenne et de l’Association des journalistes du Burkina (AJB)

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