COVID-19 : «Ces derniers jours, son impact négatif se sent sur nos recouvrements », le DG des impôts, Moumouni Lougué.

Le directeur général des impôts, Moumouni Lougué : « Nous avons déjà repoussé des délais de paiement de certains impôts sans pénalités de retard ».

Mise en quarantaine des villes, confinement des populations, arrêt ou ralentissement des activités économiques, etc. Telles sont les mesures prises pour contrer la propagation de la maladie à coronavirus. Quelles pourraient être les conséquences d’une telle situation sur la mobilisation des recettes fiscales ? Le directeur des impôts, Moumouni Lougué, apporte des éléments de réponses, dans cet entretien.

Sidwaya (S.) : Quel peut être l’impact des mesures prises contre le coronavirus sur la mobilisation des recettes fiscales par la Direction générale des impôts (DGI) ?

Moumouni Lougué (M.L.) : Je voudrais vous remercier pour l’intérêt que vous portez à la DGI dans un contexte marqué par la pandémie du COVID-19. Le monde entier vit une crise économique due à cette pandémie si bien que les agents économiques notamment les ménages, les entreprises sont aussi affectés.

Pourtant, ce sont ces agents économiques qui doivent contribuer aux charges publiques à travers le paiement des impôts et taxes. Si les entreprises ne créent pas de richesses, il y aura moins de bénéfices et moins d’impôts à reverser. Si les ménages ne consomment pas, il n’y aura pas assez d’impôts comme la TVA qui est un impôt sur la dépense. Il y a bien d’autres exemples. Bref, la pandémie impactera fortement la mobilisation des recettes fiscales.

S. : Quels sont les types ou catégories de recettes fiscales qui seront les plus touchés ?

M. L. : De mon point de vue, toutes les catégories d’impôts seront touchées, de l’impôt sur les bénéfices à la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) en passant par l’Impôt unique sur les traitements et salaires (IUTS), les prélèvements sur les billets d’avion….

L’impôt sur les bénéfices comme son nom l’indique est dû lorsque l’entreprise a réalisé un bénéfice. Mais si celle-ci est déficitaire, il va sans dire qu’elle paiera juste le minimum forfaitaire prescrit par la loi fiscale. Le secteur de l’hôtellerie et des transports internationaux sont sérieusement affectés déjà du fait de fermeture des frontières dans le monde entier. En conséquence, des impôts comme les prélèvements sur les billets d’avion, la Taxe de développement touristique (TDT) seront impactés.

La Taxe sur la valeur ajoutée (TVA), l’impôt leader chez nous, sera impactée car la consommation va baisser. La baisse du chiffre d’affaires entraîne la baisse de la contribution des patentes dont le droit fixe est indexé sur le chiffre d’affaires réalisé. L’IUTS n’est dû que lorsqu’il y a paiement de salaires.

Mais vous constatez que des sociétés de transport et certaines entreprises commencent à réduire leur personnel. La contribution des microentreprises qui est l’impôt des activités du secteur informel prendra un coup avec la fermeture des marchés tandis que le couvre-feu va sans doute jouer sur les activités commerciales de nuit, etc.

S. : Comparativement aux années précédentes (2019, 2018, 2017), cette crise a-t-elle déjà impacté négativement la mobilisation des impôts au titre du premier trimestre de 2020 ?

M. L. : Le premier trimestre 2020 n’étant pas encore échu, il sera très hasardeux de vous donner des chiffres. Mais d’ores et déjà, je peux vous dire que les réalisations des mois de janvier et février 2020 sont très satisfaisantes. Nos services ont pu mobiliser au cours des mois de janvier et de février 147 180 992 469 FCFA sur une prévision de 147 054 484 000 CFA, soit un taux de réalisation de 100,9%.

La prévision du mois de mars est de l’ordre de 57 milliards F CFA et nous espérions atteindre nos objectifs. Mais il faut noter que la grève des syndicats pourrait impacter ce résultat, car les services ont fonctionné au ralenti. A cela, vient se greffer l’effet du COVID-19. Comparativement aux années antérieures dont vous faites cas, aux premiers trimestres 2017, 2018, 2019, le recouvrement était respectivement de 138 682 851 827 FCFA, 161 662 186 076 FCFA et 184 492 684 921 FCFA.

La tendance actuelle sur les deux mois où nous avons dépassé nos prévisions avec un recouvrement de 147 180 992 469 nous rassure et montre que pour le moment, nous ne pouvons pas dire que le COVID-19 a eu un effet sur le niveau de mobilisation des recettes fiscales au Burkina Faso.

Cependant, au cours de ces derniers jours, l’impact négatif se précise et se sent sur nos recouvrements.

S. : Au titre de 2020, les prévisions de mobilisation des recettes fiscales assignées à la DGI étaient de neuf cent soixante-six milliards huit cent soixante-seize millions cent cinquante-trois mille (966 876 153 000) FCFA. Avec le ralentissement de l’activité économique, cet objectif est encore réalisable ?

M. L. : Nous avons bien entamé l’année 2020 à la suite de notre rentrée fiscale tenue à Bobo-Dioulasso en début d’année. L’élan est bien pris et je suis rassuré par les performances de nos services.

C’est l’occasion pour moi de féliciter tous mes collaborateurs pour ces performances et les inviter à redoubler d’effort pour la suite de l’exercice fiscal. Avec le ralentissement de l’activité économique, des inquiétudes subsistent quant à la réalisation de ces objectifs, car quand les contribuables ne se portent pas bien, les recettes fiscales ne peuvent pas se porter mieux.

Notre souhait est que le contexte économique revienne à la normale afin que les contribuables soient au mieux de leur forme pour accomplir leur honorable obligation.
Le ministre de l’Economie, des Finances et du Développement nous a instruit de faire le point sur les pertes probables de recettes au regard de la situation. Des mesures sont en train d’être prises pour accompagner sur le plan fiscal, certaines entreprises au regard des difficultés qu’elles traversent à la suite des mesures liées au couvre-feu, au confinement, à la quarantaine de certaines villes, etc.

S. : Au cas où la crise se prolonge sur plusieurs mois, la DGI ne sera-t-elle pas obligée de revoir ses ambitions à la baisse ?

M. L. : Les ambitions de la DGI sont fixées par le peuple à travers le vote de la loi des finances qui affecte les prévisions de recouvrement à chaque régie de recettes. Si la crise se prolonge, c’est aux mêmes représentants du peuple de trouver les voies d’ajustements des prévisions qui pourraient se faire à travers une loi de finances rectificative. Notre souhait en tout cas est que la crise ne se prolonge pas. Mais, l’option semble déjà prise par l’autorité pour réviser les prévisions.

S. : Est-ce que la DGI pense à des alternatives pour amoindrir le choc du coronavirus afin de permettre à l’Etat de continuer à faire face à la maladie et à ses différents engagements quand l’on sait que les pays donateurs sont eux-mêmes frappés par ce désastre sanitaire, économique et financier ?

M. L. : Il y a un véritable dilemme, car l’Etat a plus besoin de ressources alors que les entreprises, principales pourvoyeuses de recettes, sont en difficulté et ont même besoin de l’accompagnement de l’Etat. Que faire ?

Je suis d’accord avec vous que les pays donateurs sont aussi éprouvés par la pandémie que les pays comme les nôtres. Nous en sommes conscients. Pour amoindrir le choc, nous avons renforcé les procédures de paiement en ligne qui existaient via la plateforme eSINTAX qui permet aux contribuables de déclarer et payer en ligne les impôts et taxes. Le Mobile payement aussi est disponible pour tous les segments de contribuables.

Nous avons repoussé déjà des délais de paiement de certains impôts sans pénalités de retard. Nous comptons encourager les contribuables dans le respect des textes communautaires en matière fiscale tout en maintenant notre niveau de mobilisation qui est toujours intéressant malgré la pandémie. Nous comptons également engranger des gains de productivité au niveau organisationnel. Nous allons améliorer l’assiette et le recouvrement des impôts.

S. : Au niveau du secteur privé, des voix s’élèvent déjà pour demander des mesures d’accompagnement. Sur le plan fiscal, qu’est-ce qui peut être fait pour ces acteurs économiques dont l’activité est au ralenti, voire à l’arrêt ?

M. L. : Vous constaterez déjà qu’il y a eu des communiqués de la DGI reportant les échéances de déclarations et de paiement de certains impôts et taxes. C’est déjà un pas en attendant les orientations que l’autorité législative et exécutive voudrait bien nous donner.

Tout est dans la loi fiscale et dans pareille situation, il faut que la loi fiscale soit modifiée par l’Assemblée nationale par des dispositions spéciales afin de faciliter l’accompagnement des contribuables. L’exécutif se chargera de les mettre en œuvre diligemment dès lors que le volet législatif est réglé.

Interview réalisée par
Mahamadi SEBOGO

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