Dr Daniel Kéré, enseignant-chercheur : « En 2020, le Burkina Faso a relevé un grand défi politique »

Crises sanitaire, sécuritaire, élections couplées, grogne sociale, 2020 aura été l’année de tous les défis. Dans cet entretien, le politologue, enseignant-chercheur en sciences politiques à l’Université Thomas-Sankara, Dr Daniel Kéré, par ailleurs, directeur exécutif du Cercle d’études Afrique-monde (CEDAM), analyse les faits marquants
de l’actualité nationale de l’année qui s’achève. 

Sidwaya (S) : L’année 2020 s’achève avec l’investiture du président du Faso et l’installation de la VIIIe législature, à l’issue des élections couplées. Que peut-on retenir de 2020 sur le plan politique ?

Dr Daniel Kéré (D.K.) : Au Burkina Faso, sur le plan politique, l’année 2020 a été marquée par les élections couplées présidentielle et législatives du 22 novembre. Avec la pandémie de la COVID-19, il y avait des interrogations sur la possibilité de pouvoir organiser ce scrutin. Nous sommes également dans une situation de crise sécuritaire assez difficile. La conjugaison de ces deux facteurs faisait craindre un possible report des élections. Des rapports ou des personnalités avaient même demandé ce report.

Mais les efforts conjugués de la Commission nationale électorale indépendante, du ministère de l’Administration territoriale et de la majorité des acteurs de la classe politique ont permis la tenue des élections à bonne date. C’est un grand défi que le Burkina a pu relever dans la paix et le calme. La seule tâche noire de ces élections, est la perte d’une dizaine de soldats tombés à Tinakoff. Dans l’ensemble, les élections se sont bien déroulées. Il y a un motif de satisfaction, surtout dans un contexte sous régional où les processus électoraux ne sont pas les plus apaisés. Je ne dirai pas que les résultats des élections ont été acceptés au forceps mais c’est finalement le verdict des urnes qui a été accepté par les différents acteurs politiques. Ces élections ont redéfini une nouvelle cartographie politique au Burkina Faso avec une nouvelle majorité plus confortable que celle de 2015 et une nouvelle configuration au niveau de l’opposition politique qui, vraisemblablement, pourrait avoir un nouveau chef.

On pourrait dire qu’au sortir de ce scrutin, le Burkina Faso a davantage renforcé son processus démocratique qui n’est pas encore achevé.

S : L’année 2020 reste marquée par la persistance des attaques terroristes contre le Burkina Faso. Quel bilan peut-on faire de l’année sur le plan sécuritaire ?

D.K . : Sur le plan sécuritaire, la situation est encore plus difficile pour le Burkina Faso. Depuis le début de l’année 2016, le pays a été confronté à la forme la plus brutale des actes terroristes. La situation a continué à s’aggraver dans la région du Sahel et dans des parties des régions de l’Est, du Centre-Nord, du Nord et de la Boucle du Mouhoun. En début novembre 2020, on dénombrait plus d’un million de déplacés internes du fait de la crise sécuritaire. Au moins 2500 écoles étaient fermées en mai 2020, ce qui impacte la scolarisation d’au moins 350 000 élèves. Lors des dernières élections, on n’a pas pu ouvrir 926 bureaux de vote dans 15 communes. La question sécuritaire est un grand défi qu’il faudrait travailler à relever pour le grand bonheur de la population dans son ensemble mais plus particulièrement pour les régions concernées et les populations directement affectées.
La relative accalmie que l’on observe vers la fin de l’année, s’explique par le fait que nous sortons de la saison hivernale. Généralement, à cette période, il y a un certain ralentissement des attaques. Il se peut aussi que des processus de négociations ou de règlements sous diverses formes visant à juguler cette crise sécuritaire puissent exister. Mais la crise est toujours là. Il faudrait travailler à redéployer l’Etat sur l’ensemble du pays.

S : La COVID-19 a bouleversé l’agenda du monde entier en 2020. Au Burkina Faso, que peut-on retenir de cette crise sanitaire ?

D.K : Du fait de son impact sur la santé humaine et la vie socioéconomique, cette crise sanitaire liée à la pandémie de la COVID-19 a reposé la question fondamentale du rôle de l’Etat. Quel acteur avait la responsabilité de juguler cette crise : l’Etat ou les particuliers ? Evidemment, la responsabilité incombe à l’Etat.
Nous sommes dans un monde dominé par l’idéologie néolibérale qui prône le retrait de l’Etat dans un certain nombre de secteurs sociaux tels que l’éducation, la santé, etc. Du fait de ce retrait de l’Etat, la question de la mobilisation des moyens matériels, financiers, humains pour répondre aux défis liés aux besoins sanitaires et alimentaires des populations se posait. Les Etats ont essayé, d’une certaine façon, de s’émanciper du poids de cette idéologie néolibérale. Même en Occident, l’Etat a dû investir massivement au niveau des hôpitaux publics. Pour tempérer les effets néfastes de cette crise sur le plan social, des programmes d’accompagnement ont été élaborés en vue de soutenir les populations et les entreprises. Le Burkina Faso, comme d’autres pays africains, a suivi cette dynamique.
Actuellement, on se rend compte de plus en plus que l’Etat doit réinvestir ces secteurs, jadis délaissés pour parer à cette crise qui pourrait se présenter sous diverses formes, dans le court ou moyen terme. La COVID-19 a mis à nu une certaine orientation du rôle de l’Etat. Avec l’idéologie libérale consacrant l’abandon de certains secteurs par l’Etat, on a assisté à des coupes budgétaires au niveau de la santé, de l’éducation, de l’agriculture. Cette crise met à nu les limites de cette idéologie en interpellant l’Etat par rapport à la réponse à apporter à ces enjeux.

S : Peut-on dire qu’avec cette crise, le néo-libéralisme en économie a atteint ces limites et qu’il va falloir imaginer un autre modèle de développement ?

D. K. : Exactement ! Même les premiers défenseurs de cette théorie que sont les pays occidentaux ont dû s’en affranchir pour réinvestir dans les secteurs sociaux. Face à une pandémie qui pourrait affecter la vie humaine de la population, l’Etat doit y répondre en dotant les structures publiques de moyens colossaux. Ce qui semble paradoxal au regard de l’idéologie libérale. Il en a été de même lorsqu’il s’est agi de répondre aux besoins sanitaires et alimentaires des populations confinées et qui ne pouvaient plus travailler pour se prendre en charge.

S : Face à de telles contraintes majeures, dans quel état se trouve notre économie ? Quelles sont les couleurs des indicateurs micro et macroéconomiques à la fin d’une si éprouvante année ?

D. K. : L’économie burkinabè, comme celles de la sous-région ouest-africaine, voire à l’échelle mondiale, a été durement impactée par cette crise. Au début de la crise, des mesures ont été prises, tels le couvre-feu, la fermeture des marchés, des maquis, l’interdiction des transports interurbains, qui ont impacté l’économie. Plusieurs acteurs participent à l’économie nationale à travers ces secteurs d’activités.
Sur le plan macroéconomique, le travail des économistes fait ressortir une baisse d’au moins 2% à 3,5% du taux de croissance, par rapport à ce qui était attendu. Sur le plan de la demande des biens et services, les mesures restrictives prises ont amené les ménages à réduire leur consommation. Cela affecte particulièrement le secteur agro-sylvo-pastoral car les débouchés où ces produits étaient écoulés sont perturbés, aussi bien sur le plan national qu’international

Les secteurs formel comme informel ont été affectés. La baisse de la demande des biens et services a également perturbé l’offre. Quand on est sorti du confinement et des quarantaines, on avait espéré que l’économie allait reprendre et que le rebond attendu allait créer de nouveaux emplois, de nouvelles richesses. Malheureusement, nous sommes dans une situation où la maladie est en train de revenir. Et cela est très inquiétant !

S : Notre économie est-elle dans un état fragile ?

D.K. : L’économie nationale est toujours fragile car elle ne s’était pas encore totalement relevée. Et la résurgence de la maladie pourrait amener les autorités politiques à prendre de nouvelles décisions qui pourraient exacerber la fragilité de l’activité économique, déjà en difficulté.

S : Et sur les plans social, humanitaire…

D.K. : Sur le plan social, il y a des difficultés que les ménages rencontrent et qui ont été exacerbées par la COVID-19. Aujourd’hui, il y au moins 500 000 Burkinabè qui vont sombrer dans l’extrême pauvreté du fait de la maladie à coronavirus. Ce chiffre pourrait être doublé dans un an. La question des déplacés internes, l’éventualité de la résurgence de la pandémie et le contexte sécuritaire pourraient aggraver la crise humanitaire au Burkina Faso.

Au début de la crise de la COVID 19, il y a eu une sorte de tâtonnement dans la réponse à apporter. Il y a eu du flottement ou du chevauchement au niveau institutionnel quant aux structures qui devraient gérer le problème, avant qu’on ne trouve la bonne formule. Les mesures prises, soit pour aider les populations affectées, soit pour soutenir la relance économique ont-elles permis de résorber toutes les difficultés ? Vraisemblablement, pas tout à fait ! Il faudrait en tirer leçon pour résoudre cette crise une bonne fois.
Sur le terrain de la fronde sociale, 2020 a été une année difficile notamment avec l’application de l’IUTS. L’application de cette mesure a engendré un certain nombre de perturbation au niveau de l’administration, du fait des mouvements des grèves, des sit-in, etc. Cette parenthèse n’est pas encore refermée même si le gouvernement semble avoir repris la main. D’une manière générale, l’année 2020 fut beaucoup mieux appréhendée par les autorités par rapport à la grogne sociale que les autres années, où tout semblait leur échapper.

S : En résumé, que peut-on retenir de l’année 2020 ?

D.K. : Premièrement, 2020 fut l’année des grands défis des Etats du monde face à une crise sanitaire mondiale. Depuis la 2e Guerre mondiale, c’est la première fois que le monde entier est confronté à un phénomène d’une telle envergure. Deuxièmement, au niveau du Burkina Faso, le pays a pu relever un grand défi politique, notamment la tenue des élections du 22 novembre 2020.

S : Quels sont les grands défis du Burkina Faso en cette année 2021 qui s’annonce ?

D.K : En 2021, le grand défi est de renforcer la résilience de l’Etat burkinabè, d’une part, par rapport aux chocs endogènes et d’autre part, par rapport aux chocs exogènes. Nous sommes dans un monde de plus en plus agité sur le plan international, du point de vues économique et politique. L’Etat burkinabè devrait être assez dynamique et stratégique pour pouvoir anticiper ces crises. La crise sécuritaire et la pandémie de la COVID-19 sont également des défis endogènes à relever en 2021.

S : La réconciliation n’est-elle pas une priorité en 2021 ?

D.K. : La réconciliation est une question politique qui ne me semble pas être au premier plan comme la situation sécuritaire ou le contexte international agité. Si la réconciliation était une carte maîtresse, cela aurait pu impacter les résultats des élections. Les résultats du 22 novembre 2020 montrent que ni la situation sécuritaire ni la réconciliation n’étaient que des enjeux majeurs pour les électeurs. La preuve, les partis qui ont battu campagne sur ces sujets n’ont pas réalisé de très bons suffrages. Bien entendu, on peut se poser la question de savoir si la crise sécuritaire que nous vivons n’est pas un prolongement des rivalités politiques internes. Il s’agit d’une hypothèse que l’on ne saurait complètement écarter. Et dans cette perspective, la réconciliation nationale pourrait tempérer cette crise sécuritaire.

Interview réalisée par
Mahamadi SEBOGO

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