Dr Smaïla Ouédraogo, Secrétaire permanent du CNLS/IST : « L’élimination du SIDA en 2030, sera une réalité »

Selon Dr Smaïla Ouédraogo, les principales difficultés portent sur le nombre réduit des partenaires dans la lutte contre le VIH.

Demain 1er décembre sera commémorée la 33e Journée mondiale de lutte contre le SIDA. A cette occasion, le Secrétaire permanent du Conseil national de lutte contre le SIDA et les infections sexuellement transmissibles (SP/CNLS-IST), a accordé une interview à Sidwaya. Dans l’entretien, il évoque, entre autres, l’organisation de l’évènement au niveau national, les actions de lutte et les perspectives.

Sidwaya (S) : Le thème de la journée mondiale de lutte contre le SIDA cette année est : « Mettre fin aux inégalités. Mettre fin au SIDA. Mettre fin aux pandémies ». Quel sens revêt ce thème ?

Smaïla Ouédraogo (S.O.) : Avant d’entamer cette interview, je voudrais tout d’abord vous remercier pour l’intérêt que vous accordez aux questions relatives à la lutte contre le SIDA. Effectivement, cette année la commémoration de la Journée mondiale de lutte contre le SIDA est placée sous un thème très évocateur et très ambitieux, à savoir : « Mettre fin aux inégalités. Mettre fin au SIDA. Mettre fin aux pandémies ».

Ce thème tire son fondement de la stratégie 2021-2026 de l’ONUSIDA et de la Déclaration politique sur le VIH et le SIDA adoptée en juin 2021 par l’Assemblée générale des Nations unies. Il est une invite à l’ensemble de la communauté internationale à œuvrer pour une élimination de la pandémie du SIDA sans discrimination ni stigmatisation. Cela veut dire que toutes les couches sociales, sans aucune exclusion pour quelque raison que ce soit, doivent avoir accès aux services offerts dans le cadre de la lutte contre le VIH/SIDA.

En d’autres termes, personne ne doit être laissé de côté dans le cadre de la riposte au VIH/SIDA. Ce thème nous rappelle qu’une seule personne infectée, quelle que soit son origine sociale, peut être vectrice d’un rebond de l’épidémie du fait des interrelations entre les différentes couches sociales. D’où la nécessité d’œuvrer à mettre fin aux inégalités dans la lutte contre le SIDA pour espérer atteindre l’objectif de son élimination d’ici à 2030.

Aussi, les effets néfastes de la pandémie de la COVID-19 sur les efforts de lutte contre le SIDA nous ont enseigné que nous ne pourrons pas mettre fin au SIDA de manière isolée. Autant il faut travailler à mettre fin au SIDA autant il faut se préparer pour riposter à d’éventuelles pandémies.

S : Au niveau national, l’événement sera commémoré sous le thème : « Faire de l’égalité d’accès aux services VIH, le socle de l’élimination du SIDA ». Expliquez-nous pourquoi vous avez retenu ce thème.

S.O. : Au niveau national nous avons choisi un thème qui s’inscrit étroitement dans le thème mondial et qui tient compte de nos spécificités. Des efforts considérables ont été consentis par l’Etat burkinabè depuis des années pour offrir des produits et services de prévention, de soins et de traitement du VIH à tous ceux qui le souhaitent. Le défi majeur aujourd’hui, c’est de garantir l’égalité d’accès à ces services disponibles. C’est-à-dire, faire en sorte que tous ceux qui sont dans le besoin puissent en bénéficier. C’est du reste dans cette optique que le gouvernement a adopté récemment la mesure de gratuité des examens biologiques des PVVIH dont l’incidence budgétaire annuelle est évaluée à environ 5 milliards F CFA. Pour nous, et cela est valable pour toute la communauté internationale, le fondement sur lequel doit reposer notre ambition d’élimination du SIDA, est indéniablement l’égalité d’accès à tous les services VIH.

S : Confirmez-vous que les ARV sont disponibles au Burkina pour tous ceux qui en ont besoin ?

S.O. : Les ARV et plus globalement les intrants de lutte contre le VIH sont disponibles dans les 121 sites de prise en charge médicale des PVVIH. Il convient de préciser que les ARV sont entièrement gratuits pour les PVVIH. En fin 2020, les 70 156 PVVIH suivies dans les structures de santé étaient tous sous ARV.

Néanmoins, avec la pandémie de la COVID-19 et les difficultés liées à la gestion de la chaîne d’approvisionnement, quelques ruptures et tensions mineures de stocks ont été relevées sur des molécules dans certains sites.

S : Y a-t-il une raison particulière pour le choix de la ville de Réo pour la cérémonie commémorative 2021 ?

S.O. : Il n’y a pas de raisons particulières liées au choix de la ville de Réo. En effet, depuis 1998 le Burkina Faso a opté pour une célébration tournante de la JMS afin de susciter une meilleure mobilisation de la population. Ces commémorations se sont déroulées successivement de 1998 à 2009 dans les chefs-lieux de régions administratives. A partir de 2010, nous avons opté d’aller dans les autres provinces tout en suivant le cycle tournant déjà établi dans les régions.

Ce nouveau cycle a commencé par Yako, province du Passoré, région du Nord. Boulsa, chef-lieu de la province du Namentenga est la ville qui a accueilli la JMS 2020 et c’est dans cette ville que le gouverneur de la région du Centre-Ouest a reçu le témoin, conférant du même coup, la commémoration de la JMS 2021 à Réo qui marque la fin de cette phase tournante. Nous reprendrons le troisième cycle avec la région du Nord en 2022 à Gourcy.

S : En plus de Réo, chacune des douze autres antennes du SP/CNLS-IST organisera une cérémonie commémorative dans sa région. Cela ne va-t-il pas disperser les énergies ?

S.O. : La JMS est une occasion de mobilisation sociale. Elle permet à tous les acteurs de la lutte de marquer une halte pour faire le bilan des actions passées afin de décliner les perspectives pour les prochaines années. Dans notre pays, la lutte est multisectorielle et décentralisée. Nous avons 13 antennes qui coordonnent les interventions au niveau régional sous la présidence des gouverneurs de région.

Cela permet d’être plus efficace en termes de proximité avec les populations et d’assurer un meilleur suivi des actions sur le terrain. La commémoration régionale permet aussi à ces acteurs au niveau décentralisé de se retrouver autour des premiers responsables de la région pour faire le point des acquis engrangés dans leur région et surtout renouveler leur engagement pour les nouveaux défis en lien avec le thème.

S : Qu’est-ce que les objectifs « 95-95-95 », qui semblent nouveaux dans le jargon de la lutte contre le SIDA ?

S.O : Afin d’atteindre le but ultime qui est l’élimination de l’épidémie du SIDA à l’horizon 2030, le Programme conjoint des Nations unies pour le VIH-SIDA (ONUSIDA) a mis en place des objectifs intermédiaires « 90-90-90 » et « 95-95-95 » à implémenter dans les pays entre, respectivement, 2016-2020 et 2021 et 2025.

Les objectifs 95-95-95 signifient qu’à l’horizon 2025, 95% des personnes vivant avec le VIH devront connaître leur statut (accélération du dépistage), 95% de ceux qui connaissent leur statut devront être sous traitement (amélioration de la couverture en traitement ARV), 95% des personnes sous traitement ARV devront avoir une charge virale indétectable (évaluation de la qualité du traitement à travers la suppression de la charge virale).

S : Pensez-vous que l’objectif d’éliminer le SIDA d’ici à 2030 est réaliste au Burkina Faso ?

S.O. : L’élimination du SIDA comme problème majeur de santé publique est un objectif réaliste et possible au Burkina Faso au regard des résultats de la mise en œuvre des 3×90. Pour le 1er 90 relatif au dépistage, nous avons un taux de 77,9% de personnes qui connaissent leur statut sérologique.

Pour le 2e 90, 86,3% ont été mis sous traitement et enfin, le dernier 90 fait état de 18,3% de ces personnes qui ont une charge virale indétectable. Ce dernier résultat n’est certes pas reluisant mais nous avons espoir qu’avec l’adoption du décret de gratuité des examens biologiques qui coûtent excessivement chers et qui étaient entièrement supportés par les personnes vivant avec le VIH, nous pourrions relever le niveau de cet indicateur et si nous arrivons à maintenir le cap de progression des deux premiers, nous avons espoir que l’objectif 3×95 sera une réalité en 2025 et l’élimination du SIDA comme problème de santé publique en 2030 sera une réalité.

S : De moins en moins on parle maintenant du SIDA. Cela est dû à quoi selon vous ?

S.O. : Effectivement, on nous reproche d’avoir baissé la garde en matière de communication sur le VIH. En effet, cela est dû à une réorientation des interventions. Au début de la pandémie, il y’avait ce besoin urgent d’informer et de sensibiliser la population aux mesures de prévention et aux comportements sexuels à risque car il s’agissait d’une nouvelle maladie peu connue de la population. Aujourd’hui, nous ne faisons plus ce tapage médiatique car nous estimons avoir gagné ce pari.

Nous avons réussi à insérer ces modules dans les curricula des formations scolaires et même professionnelles. Nous faisons donc des interventions ciblées, sur des thématiques précises et surtout à l’endroit des groupes- cibles où la prévalence est élevée. Ce choix s’explique aussi par la réduction progressive de l’enveloppe financière allouée à la lutte contre le SIDA dans notre pays, notamment en ce qui concerne les ressources extérieures au regard de la prévalence en population générale qui est de 0,7%.

S : Avez-vous toujours l’accompagnement nécessaire des partenaires techniques et financiers dans vos programmes de lutte ?

S.O. : La lutte contre le VIH bénéficie depuis plusieurs années et ce, jusqu’à nos jours, de l’appui des partenaires techniques et financiers. La mobilisation des ressources extérieures est orientée vers les partenaires bilatéraux, multilatéraux et ONG internationales. A titre d’exemple, la contribution en termes de mobilisation des ressources dans la lutte contre le VIH pour les trois prochaines années est de l’ordre de 54 milliards F CFA dont 55% représentent les ressources internes et 45% les ressources externes.

Les principales difficultés portent sur le nombre réduit des partenaires dans la lutte contre le VIH. On note par ailleurs l’existence des cadres de concertation mis en place pour la coordination des Partenaires techniques et financiers notamment l’équipe conjointe sur le VIH/SIDA (UN joint team- UNJT), le Groupe thématique ONUSIDA (GT).

S : La prévalence est de 0,7% au Burkina Faso avec des pics dans certains groupes spécifiques. Que faites-vous pour que ces cibles ne continuent pas de ramer à contre-courant de l’élan national ?

S.O. : Le CSN-SIDA 2021-2025, document national de référence en matière de lutte contre le VIH prend en compte ces groupes spécifiques comme cibles prioritaires. La priorisation des cibles tient compte de leur niveau de prévalence, leurs connaissances sur le VIH, leur vulnérabilité face au VIH et leur couverture par les interventions. Trois groupes de populations sont retenus : les populations-clés, les populations vulnérables et les populations passerelles.

La mise en œuvre des interventions est organisée selon une approche basée sur la multisectorialité, la décentralisation, la contractualisation des interventions et les approches différenciées autour d’un cadre institutionnel impliquant les différents acteurs de la réponse nationale au VIH. Au-delà de la prise en compte de ces groupes comme prioritaires dans le CSN SIDA, des plans spécifiques d’interventions sont élaborés à l’endroit de certains de ces groupes en vue de mieux cibler les interventions.

On note, entre autres, les plans d’intervention auprès des détenus, des PH en vue d’accentuer les interventions en leur faveur. En outre, des études bio comportementales sur le VIH sont réalisées périodiquement (chaque deux ans) par le SP/CNLS-IST pour apprécier l’évolution de la prévalence du VIH dans ces sous-groupes.

S : Etes-vous optimiste quant à la découverte, les années à venir, d’un vaccin contre le SIDA ?

S.O. : Les progrès rapides enregistrés dans le développement du vaccin contre la COVID-19 vont certainement impacter positivement la recherche sur le vaccin anti VIH. L’utilisation de la technologie d’ARN-messager pourrait accélérer le rythme de développement du vaccin anti VIH.

S : Quel message clé avez-vous pour la population burkinabè à l’occasion de cette Journée internationale de lutte contre le SIDA ?

S.O : Mon message à l’endroit de la population burkinabè, c’est de rappeler, notamment aux jeunes et aux adolescents que le VIH/SIDA existe toujours et qu’il faut donc œuvrer à respecter les mesures de prévention. Aussi voudrais-je inviter la population à faire siens les services VIH disponibles dont l’accès est garanti pour tous. Je voudrais rassurer que le CNLS-IST, sous le leadership du président du Faso, président du CNLS-IST, ne cesse d’œuvrer pour l’amélioration de la qualité des services et leur accessibilité. C’est dans ce sens qu’il a été adopté la mesure de gratuité des examens biologiques.

A l’occasion de la commémoration de cette 33e Journée mondiale de lutte contre le SIDA, je voudrais lancer un appel à une mobilisation sociale plus accrue afin qu’ensemble nous puissions parvenir à mettre fin au SIDA au sein de toutes les catégories sociales de notre population. Je souhaite une bonne commémoration de la Journée mondiale de lutte contre le SIDA à tous les acteurs de la riposte au VIH, tout en précisant que pour cette année, au regard du contexte national, la cérémonie commémorative de la JMS qui devrait se tenir à Réo le 1er décembre a été reportée à une date ultérieure.

Interview réalisée par la Rédaction

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