Droits politiques de la femme : La région du Sahel, réfractaire à la loi sur le quota genre

La loi N°010/2009/AN portant fixation de quota de 30% au profit de l’un et de l’autre sexe aux élections législatives et municipales au Burkina Faso a été adoptée, le 16 avril 2009 et relue le 22 janvier 2020, pour favoriser la participation des femmes aux instances électives. Malgré les efforts de l’Etat, le positionnement de la femme tant prôné par cette loi n’a pas été respecté lors des élections législatives du 22 novembre 2020, dans la région du Sahel. Onze ans après l’adoption de la loi, quels sont les obstacles qui empêchent la femme ‘’sahélienne’’ de profiter de ses droits politiques ?

Le taux d’accès des femmes aux postes électifs dans la région du Sahel reste faible, selon les statistiques de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). En effet, lors des élections municipales de 2016, sur un effectif de 1 464 sièges de conseillers, seulement 29 femmes ont été élues, ce qui représente 1,4% des élus des 26 collectivités territoriales. Au niveau du conseil régional du Sahel, le constat est le même. Une seule femme figure parmi les 50 conseillers, soit un taux de 0,5%. La même année, aucune femme n’a été élue maire dans la région du Sahel, sur les 26 bourgmestres que compte cette zone. Outre ces résultats aux élections municipales de 2016, les chiffres étaient restés quasiment invariables aux législatives de 2015.

Ainsi, sur les huit postes de députés de la région du Sahel, aucune femme n’a été admise à l’hémicycle. Ce n’est que le 19 décembre 2019 que Djénéba Aya, la suppléante du député-maire de Djibo, province du Soum, Oumarou Dicko, a pu siéger à l’Assemblée nationale, à la suite de l’assassinat de ce dernier, le 3 novembre 2019, par des hommes armés non identifiés. Elle devient par conséquent, l’unique femme députée du Sahel pour la mandature 2015-2020.

Au vu de tous ces résultats, le directeur régional des droits humains et de la promotion civique du Sahel, Zakaria Bayoulou, qualifie de « non-reluisant », l’état des lieux des droits politiques de la femme ‘’sahélienne’’.
Pourtant, les textes existent et permettent à l’autre moitié du ciel de prendre part à la gestion publique de sa cité, sa collectivité ou son pays. Le 16 avril 2009, la loi N°010/2009/AN portant fixation de quota de 30% au profit de l’un et de l’autre sexe aux élections législatives et municipales au Burkina Faso, a été adoptée.

Des explications du Directeur général (DG) des libertés publiques et des affaires politiques, Bruce Emmanuel Sawadogo, l’adoption de cette loi a visé un double objectif. Primo, il s’agissait de respecter des engagements du Burkina Faso en matière de protection des droits politiques de la femme et secundo, de favoriser la participation effective et équitable des femmes et des hommes à la vie politique, de façon générale. Onze ans après l’application de la loi, selon M. Sawadogo, le bilan est mitigé, pour trois raisons essentielles.

La première repose sur le fait que bon nombre d’acteurs des partis politiques se plaignent de ne pas pouvoir copter la gent féminine au niveau des instances. Ils estiment, de son avis, qu’être militante dans un parti politique a
« beaucoup » d’exigences. Et M. Sawadogo de pointer du doigt les pesanteurs socioculturelles : « Quand une femme veut s’engager en politique dans notre contexte socioculturel, elle a besoin de l’autorisation de son époux. Lorsque le mari refuse, il est difficile pour elle de s’y engager ».

Corriger les insuffisances

Puis, il évoque le caractère non contraignant de la loi : « Quand on prend le quota de 30%, il ne permet pas automatiquement à la femme de se positionner en tête de liste. En 2012 et 2015 par exemple, les partis politiques ont aligné 30% de femmes comme suppléantes », déplore-t-il.
Compte tenu des insuffisances constatées dans ces textes, la femme ne jouissait pas d’une certaine liberté pour faire valoir ses droits sur la scène politique burkinabè. Ainsi, dans le souci de corriger ces imperfections, a justifié le DG Sawadogo, la loi sur le quota genre a été révisée le 22 janvier 2020.

La loi N°003-2020/AN du 22 janvier 2020 portant fixation de quota et modalités de positionnement des candidates et des candidats aux élections législatives et municipales au Burkina Faso comporte trois innovations majeures, aux dires de Bruce Emmanuel Sawadogo. La première porte sur le positionnement en tête de liste des 30% du quota genre. La deuxième est axée sur l’introduction du positionnement alterné ou les 2/3 supérieurs. « Lorsqu’ un parti politique positionne un homme, la personne suivante doit être une femme et ainsi de suite.

Le 4e vice-président de l’UPC, Amadou Diemdioda Dicko, estime qu’il faut inscrire et maintenir la jeune fille sahélienne à l’école jusqu’à la fin de son cursus.

Mais l’autre aspect c’est quand un parti politique positionne un homme en tête de liste et ce dernier est titulaire, le suppléant doit être forcément une femme et vice-versa », déclare-t-il. Le troisième changement porte sur la
« sanction positive ». De l’avis de M. Sawadogo, ce changement consiste à récompenser les partis politiques, ayant respecté la loi, d’un surplus de 20% du montant alloué par l’Etat pour la campagne électorale. Ainsi, insiste-t-il, ceux qui enfreignent à la loi, perdent une partie de cette subvention. Dans la pratique, a constaté Emmanuel Sawadogo, « de nombreux partis se disent prêts, à perdre une partie du soutien étatique que d’aligner beaucoup de femmes et ne rien gagner ».

La relecture en 2020 de la loi sur le quota genre comporte toujours des faiblesses, à en croire la coordinatrice régionale des organisations féminines du Sahel, Sabine Ouédraogo. Elle fustige le fait que la
« sanction positive » n’empêche pas les grands partis politiques de « violer allègrement la loi ». La loi, suggère-t-elle, devrait plutôt « être stricte », en invalidant la liste des partis politiques qui l’enfreignent. C’est également l’argument avancé par la société civile, bien avant la tenue du dialogue politique du 15 au 22 juillet 2019, dont la relecture de la loi sur le quota genre a été l’une des recommandations.

Qu’en est-il au Sahel ?

Pour ce qui est de l’effectivité ou non de la loi sur le quota genre dans la région du Sahel burkinabè, lors des élections législatives du 22 novembre 2020, nous nous sommes limité aux trois partis politiques qui y sont les plus influents : le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) et l’Union pour le progrès et le changement (UPC). Au constat, aucune femme n’a été placée en tête de liste du CDP. Elles sont toutes des suppléantes, avec deux femmes pour la province du Yagha et une dans chacune des provinces de l’Oudalan, du Séno et du Soum. Il en est de même pour le parti du « Soleil levant », le MPP, actuel parti au pouvoir, où la femme est écartée des premières places. Les provinces de l’Oudalan, du Séno et du Yagha ont respectivement une femme suppléante.

Au Soum, aucune femme n’a été représentée sur la liste du MPP. Pour sa part, le parti du « lion », l’UPC, a fait mieux en positionnant une femme, comme deuxième titulaire dans la province du Soum. L’Oudalan et le Yagha disposaient respectivement d’une suppléante sur leur liste tandis que le Séno n’enregistrait aucune candidate.
Les résultats de ces élections législatives donnent trois députés pour le MPP dans la région, contre zéro pour le CDP et un pour l’UPC. Même si on y ajoute les députés des autres partis comme le Nouveau temps pour la démocratie (NTD) avec deux députés, le Mouvement agir ensemble (Agir) et le Parti pour la démocratie et le socialisme (PDS), avec un député chacun, on constate qu’aucune femme ne va représenter le Sahel à l’Hémicycle, pour les cinq années à venir.

Zéro femme du Sahel à l’Assemblée nationale

A la lumière de toutes ces données, le constat est patent. Aucun, de ces partis influents dans la région du Sahel n’a respecté la loi sur le quota genre, pour les législatives du 22 novembre 2020.
Pourtant, les partis politiques ont, dans leur ensemble, salué l’adoption de la loi sur le quota genre. La responsable nationale chargée de la mobilisation des femmes au sein de l’ancien parti au pouvoir, Cathérine Ouédraogo, estime que le CDP a toujours eu des problèmes à mobiliser les femmes dans le Sahel. Elle qualifie alors la région de « Zone d’exception », du fait de l’insécurité. Dans la même logique, l’unique députée du Sahel, Djénéba Aya, en fin de mandat, dit avoir décliné une offre de candidature de son parti, le CDP, dans le Soum lors des législatives passées, à cause du contexte sécuritaire difficile. « Je préfère soutenir une candidate ou un candidat en battant campagne de sorte que la personne soit élue. Je me sens mieux dans le rôle de sensibilisatrice et de mobilisatrice des militants de mon parti », confie-t-elle.

Des contraintes socioculturelles

Le 4e vice-président de l’UPC, chargé des stratégies électorales, Amadou Diemdioda Dicko, explique la situation par le fait que certaines d’entre-elles ont préféré soutenir leurs époux dans d’autres partis politiques. « Pour elles, il y aura une perturbation dans le foyer. Le milieu sahélien n’est pas éduqué politiquement pour concevoir le mari et la femme sur deux listes différentes. A Dori, cela nous a empêché d’avoir une femme candidate. C’est du fait de ces pesanteurs socioculturelles, que beaucoup de femmes ne veulent pas s’engager politiquement au Sahel », explique M. Dicko. Pour lui, il s’agit d’une analyse fondée sur le féodalisme dans la zone sahélienne. « Lorsque mon parti positionne une femme, immédiatement, la base conteste et refuse de la soutenir », martèle-t-il.

Quant au président de la fédération du Sahel du MPP, Moukayla Hamado Maïga, il confie que la situation est spécifique à la région, vu que les femmes ne se sont pas présentées. Qu’à cela ne tienne, lance-t-il, il est difficile de mettre les femmes en tête de liste. « C’est une concurrence. La capacité managériale est un atout mais la capacité financière compte énormément. Un candidat ou une candidate qui n’a pas les moyens financiers ne peut pas se baser uniquement sur les fonds de son parti pour se faire positionner en tête de liste et se faire élire », avertit M. Maïga qui trouve « difficile » de faire des listes qui ne peuvent pas gagner.

Alphabétiser la femme adulte

Djénéba Diallo, une fille de la région du Sahel, dans une communication, lors de la rencontre annuelle de la direction régionale des droits humains et de la promotion civique du Sahel avec les associations féminines, sur les préoccupations relatives aux droits des femmes, tenue le 17 septembre 2020 à Dori, a cité d’autres obstacles. Il s’agit des barrières sociales, culturelles et religieuses, des perceptions négatives de la politique comme une affaire ne convenant qu’aux hommes.

« Il y a la méconnaissance par les femmes de leurs droits humains, politiques et légaux, résultant du faible niveau d’éducation des filles et des femmes au Sahel », explique-t-elle. Pour dame Diallo, elles ne sont pas maintenues dans le système scolaire jusqu’à la fin de leur cursus parce qu’elles sont victimes de mariages précoces. Leurs parents également se sont désengagés de toute idée liée à l’éducation. Aussi, poursuit-elle, les femmes ne manifestent pas un intérêt pour la politique. Elles n’ont pas confiance en elles-mêmes. Djénéba Diallo a également relevé le manque d’indépendance économique et l’absence de solidarité entre les femmes, ainsi que la société civile. Un fait qui accentue à nouveau, le désengagement de la gent féminine au Sahel en politique.
En guise de solutions, elle préconise des actions stratégiques à réaliser dont : le renforcement des capacités de la femme sahélienne en leadership, l’éducation des filles, l’alphabétisation de la femme adulte et une autonomisation financière de celle-ci.

 

Souaibou NOMBRE
snombre29@yahoo.fr


Seulement trois députées dans l’histoire du Sahel

Depuis la quatrième République instaurée par le referendum du 2 juin 1991 et les premières élections législatives de 1992, la région du Sahel n’a été représentée que par trois de ses filles à l’Assemblée nationale. Il s’agit d’abord de la défunte Dr Bana Ouandaogo née Maïga, native d’Arbinda dans la province du Soum. Militante du CDP, elle est élue députée en 1997, puis réélue en 2002. A la suite de la pharmacienne, C’est Kadidiatou Boye de la Convention des forces démocratiques du Burkina (CFD/B) qui a été élue en 2012 au compte de l’Oudalan. Enfin, il y a Djénéba Aya née Damé du CDP qui a intégré l’hémicycle à la suite de l’assassinat de l’ex-député maire de Djibo, Oumarou Dicko, en novembre 2019.

SN


Tableau du rapport hommes/femmes à l’hémicycle de 1992 à 2020

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