Entrepreneuriat agricole : Ces jeunes diplômés devenus agrobussinesmen

Dans les brousses de Diarradougou, Karim Yéré est bien installé dans ses champs, malgré sa licence en marketing.

Des jeunes diplômés burkinabè s’intéressent de plus en plus à l’entrepreneuriat agricole. Ils n’hésitent plus, en effet, à se lancer dans l’agrobusiness, malgré leur niveau d’études supérieures. Gros plan sur quelques-uns de ces intellectuels qui préfèrent les champs au «confort» des bureaux.

C’est le retour à la terre qui s’opère au Burkina Faso. De plus en plus, de jeunes diplômés ne rêvent plus de devenir fonctionnaires de l’Etat, ou cadres dans une entreprise privée. En dépit de leur niveau d’études supérieures et leurs «gros» diplômes, ils ont choisi de retourner à la terre. Ils sont appelés entrepreneurs agricoles ou encore agro-businessmen. Sory Yacouba Traoré fait partie de ces jeunes.

Titulaire d’un DEUG II (Bac + 2) en droit, il décide en 2015, pendant qu’il est admis en 3e année, d’abandonner les études au profit de l’agriculture. Les terres de ses ancêtres à Houétiara/Kapofara, village situé à 36 km au Nord-Est de Banfora, sont le lieu idéal pour lancer son business. Un choix qui passe difficilement au sein de la cellule familiale. Maman, sœurs et frères posent leur véto. Néanmoins, il a un allié de taille dans cette «folie» : son père. Ce dernier veut voir son fils vivre sa passion.

Juché sur sa monture dans la matinée du 26 septembre 2019, il nous conduit dans une de ses exploitations agricoles. Vêtu d’un polo, bottes aux pieds dans lesquelles le pantalon est fourré, son air est détendu en cette matinée. Personne n’ose croire que ce jeune de 34 ans a fait le «Boileau» (apprendre par cœur) en droit à l’Université de Ouagadougou. «C’est un de mes champs qui est là», nous confie-t-il, sourire aux lèvres. Au total, 7 hectares de maïs ont été emblavés pendant cette campagne agricole par ce jeune agro-businessman. «La pluie nous a fait peur.

C’est l’installation tardive de la campagne qui explique cette faible superficie», explique M. Traoré. Les rendements attendus se situent entre 2,5 à 3 tonnes à l’hectare. Toute la récolte est presque destinée à la vente, fait savoir l’ex-étudiant de Zogona (quartier de Ouagadougou qui abrite l’université Pr Joseph-Ki-Zerbo). Après environ 4 ans d’investissement, Sory Yacouba Traoré ne regrette pas son choix. «J’arrive à gagner le double de l’argent que j’investis, voire le triple.

Chaque année, je peux investir au minimum 400 000 à 500 000 F CFA et mon gain s’élève au minimum à 2 000 000 F CFA», a-t-il fait savoir. Aussi, son rêve de produire toute l’année est en train de se concrétiser. Il vient en effet de bénéficier de l’appui du Projet d’amélioration de la productivité agricole et la sécurité alimentaire (PAPSA). «C’est un financement à hauteur de 24 000 000 F CFA. Le promoteur devrait apporter 4 500 000 FCFA», soutient le jeune diplômé, devenu paysan.

«Le champ, c’est mon entreprise…»

Hier étudiant en droit à l’Université de Ouagadougou, Sory Yacouba Traoré est aujourd’hui entrepreneur agricole à Houétiara/Kapofara, dans la région des Cascades.

Ce montant va lui permettre d’installer un château d’eau. A l’entendre, c’est déjà une avancée significative. Dans sa jeune expérience, les difficultés majeures rencontrées depuis 2015 sont liées à la main-d’œuvre. «Les jeunes préfèrent les sites d’orpaillage, et refusent de travailler dans les champs. Je suis obligé souvent d’aller chercher des ouvriers à Tangoura, un petit village situé au Sud de Banfora.

Ces derniers m’aident à faire le traitement et à semer», regrette-t-il. A cela s’ajoutent les aléas climatiques. Sory Yacouba Traoré montre que le paysan commence à avoir un nouveau profil au pays des Hommes intègres. Et ils sont nombreux comme lui. Il y a des aînés qui l’ont devancé dans l’agrobusiness. Karim Yéré, rencontré le 12 septembre 2019, met également en valeur, les terres de son défunt père, Lancina Yéré. D’ailleurs, à la mémoire du regretté, la ferme, installée à Diarradougou, village réputé pour son potentiel agricole et situé à 22 km de Bobo-Dioulasso, porte son nom.

Cet agroéconomiste de formation, et entrepreneur agricole de profession, est âgé de 44 ans, marié et père de trois filles. Après le Bac en 1997, il s’inscrit au Centre polyvalent de Matourkou (CAP/M), pour l’obtention du Brevet de technicien supérieur en pédologie. Titulaire d’une licence en marketing, depuis 2008, il prépare un Master en management de projet à l’Université catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO/Bobo-Dioulasso). A la question, que venez- vous chercher dans l’agriculture, avec ces diplômes? La réponse est sans ambages : «Tout est une question de vision dans la vie.

La terre, le champ pour moi, c’est mon lieu de travail, mon entreprise, à l’image de quelqu’un qui a une savonnerie, une huilerie, et autres. Et je n’ai pas fait les formations de façon hasardeuse. Après, le CAP Matourkou, je me suis rendu compte que je détenais les moyens techniques pour la production. J’ai jugé nécessaire de faire des études en marketing», précise M. Yéré. Car, poursuit-il, dans une ferme, quand on produit, il faut vendre. «Ce n’est pas moi-même qui vais aller vendre.

Mais si en tant que chef de ferme tu as des notions, tu peux aider tes agents à vendre la production. C’est ce qui m’a motivé à faire la licence en marketing. Je me suis rendu compte que c’est bien de produire et vendre, mais la ferme doit être une organisation, une entreprise. C’est pourquoi j’ai décidé de faire le Master en management des projets».

Le succès se prépare !

L’entrepreneur agricole, Brahima Fofana: «Que tous les diplômés sachent qu’ils ne peuvent pas tous intégrer la Fonction publique».

Tout succès, à écouter M. Yéré, a son histoire. Tout commence pour lui au cours de la campagne agricole 2000-2001. Période à laquelle il décide de se lancer dans la production agricole. A cet effet, il emblave 1,5 hectare de coton à Tondogosso, village situé à 15 km à l’Est de Bobo-Dioulasso. Après deux campagnes successives, les résultats sont probants. C’est ainsi qu’il décide d’élargir sa base de production avec l’ouverture du site de Diarradougou.

L’appétit vient en mangeant, a-t-on coutume de dire. Cet adage va se concrétiser chez notre producteur. En effet, les bons résultats enregistrés pendant la campagne agricole 2002-2003 vont attiser chez le jeune entrepreneur, le désir de faire carrière dans l’agriculture. Ce qui a valu son inscription au CAP/M, pour le cycle de formation de techniciens supérieurs en Pédologie/promotion 2003-2005. Cette formation va occasionner l’abandon du site de Tondogosso.

Aussi, l’activité de Karim Yéré va connaître un ralentissement pendant cinq ans. Durant cette période, il est engagé dans une ONG, comme chargé de programme agriculture. Il était chargé, entre autres, de donner des conseils aux producteurs des communes rurales de Satiri et de Léna. Mais, en février 2018, il décide de retourner dans sa ferme. «Aujourd’hui, je ne regrette pas de me retrouver dans mon champ», nous fait-t-il savoir.

A notre passage, ce sont 2,5 hectares de bananiers, 0,60 hectare de papayers, 1,5 hectare de maïs, 300 buttes de patates, qui sont logées dans la dense végétation de Diarradougou. A cela s’ajoutent 3 hectares de semences de base de niébé pour une entreprise semencière. Depuis 2014, il est producteur semencier. Concernant le rendement, «pour le moment nous n’avons pas encore atteint le niveau souhaité.

Dans tout système de production, il faut aller avec les moyens de bord dont on dispose. Pour la banane, le régime varie actuellement de 13 à 15 kg en moyenne. Cette moyenne peut aller de 22 à 25 kg. Je n’ai pas atteint le seuil de rentabilité. C’est un processus et nous sommes en train de travailler pour l’atteindre. Le rendement d’un hectare par an commence à partir de 3 millions F CFA», a souligné M. Yéré. Sans donner de chiffres sur ses gains, il nous rassure néanmoins qu’il ne se plaint pas.

Cependant, l’entrepreneur agricole nourrit de grands projets. Ils se résument, entre autres, à l’extension de ses exploitations. «En fin 2019, l’idée est d’atteindre 3 hectares de bananeraie. En janvier 2020, créer un centre de mûrissement dans la ville de Bobo-Dioulasso. Pour la papaye, l’idée est d’atteindre 2 hectares en début 2020. Ce sont les projets à court terme.

A long terme, c’est de travailler à mettre en marche mes deux tracteurs, afin de commencer les prestations de mécanisation agricole. Sur les 10 hectares de Yéguérésso, l’idée est de mettre en place un centre de développement rural. Je compte y produire et former des stagiaires de façon pratique», précise-t-il.

45 tonnes par hectare

En plus d’être producteur agricole à Dramadougou/Sounougou, dans la région des Cascades, Djakaridja Ouattara est le 2e adjoint au maire de Tiefora depuis 2012.

Même lieu, même son de cloche, sommes-nous tentés de dire. Dans cette même végétation dense au long de la rivière Kou, se trouve l’exploitation agricole de Brahima Fofana, âgé de 43 ans, marié et père de trois enfants. Après son échec au Bac G2 en 1996 et un bref séjour en tant que vacataire dans une entreprise privée, il s’installe dans les brousses de Diaradougou en 2000. Aujourd’hui, il est propriétaire de 5 hectares de bananeraie, et un hectare de papayers «solo».

Pour cette campagne agricole, ce sont 7 hectares de maïs et 3 de riz qui ont été emblavés. Le rendement est acceptable comme tout travail d’ailleurs, fait savoir M. Fofana. «C’est un travail où si le suivi est bien, vous ne regrettez pas. Dans l’année, par hectare, le rendement va de 40 à 45 tonnes et la tonne fait 150 000 F CFA bord champ», révèle-t-il. Un petit calcul, et l’on se rend compte qu’un seul hectare de bananeraie rapporte à Brahima Fofana, entre 6 000 000 et 6 750 000 F CFA l’année.

«Ce montant au Burkina Faso ici ?», se demanderont certains. Pourtant, c’est ce qu’il gagne par hectare au minimum dans l’année. La terre n’est donc pas ingrate. Et ce n’est pas M. Fofana qui dira le contraire : «Je ne regrette pas d’être retourné à la terre. Ce que je gagne aujourd’hui me suffit largement pour subvenir à mes besoins. C’est par passion que je suis retourné à la terre. Dans toute chose, il faut avoir l’amour pour ne pas que ça devienne un regret».

Par ailleurs, ses difficultés sont liées aux aléas climatiques. «Il y a des vents violents à chaque début et fin de saison. En plus, il y a des périodes de mévente et le difficile accès à certains produits pour le traitement des champs contre certaines maladies», a-t-il dit. A Dramadougou/Sounougou, dans la commune rurale de Tiéfora Djakaridja Ouattara, 36 ans, niveau première, mari de deux épouses et père de 9 enfants, est un autre jeune producteur que nous avons rencontré, le 26 septembre 2019. Il a choisi d’être producteur agricole que d’être fonctionnaire.

Pourtant, son défunt père lui avait demandé de s’inscrire sur titre dans une Ecole nationale d’enseignants du primaire. Une idée qu’il va rejeter. «Je me suis limité à la classe de 1re à Toussiana, en 1997. Je suis allé en Côte d’Ivoire et le papa a voulu que je revienne être à ses côtés. A mon retour en 1999, j’ai décidé de m’installer carrément au village. En 2000, le coton me rapporte entre 1 900 000 et 2 000 000 F CFA. Depuis lors, je suis devenu un cultivateur à plein temps. L’exploitation a commencé à grandir. Le papa s’est retiré et j’ai pris les commandes. Après son décès en 2007, je suis devenu mon propre chef jusqu’à nos jours».

«La terre nourrit Ouattara très fort »

A Koro, Sini Isidore Sanou compte produire toute l’année avec l’installation de son château d’eau.

Cette campagne agricole, il a emblavé 25 hectares de maïs, 9 hectares de coton, 3 de sésame, et 3 de riz. En plus de ces spéculations, il cultive 2 hectares de soja, un de niébé ainsi que 12 hectares d’anacardiers. L’entretien des champs nécessite un gros investissement. Chaque année, c’est un crédit d’environ 5 650 000 F CFA que M. Ouattara injecte dans ses exploitations. Un montant destiné à la gestion de la main-d’œuvre, des frais de labour par la location de tracteurs, des frais de semences, d’engrais, d’intrants, de pesticides et d’insecticides.

«Comme bénéfice, je dirai que cela varie entre 3 et 5 000 000 de F CFA par an», a indiqué le producteur. A ce titre, M. Ouattara, convaincu du slogan selon lequel «la terre nourrit son homme», va affirmer que «la terre nourrit Ouattara très fort». A Kôro, village situé à quelques encablures de Bobo-Dioulasso, c’est un autre entrepreneur agricole que nous avons rencontré, le 13 septembre 2019. Agé de 40 ans, Sini Isidore Sanou a le niveau de la classe de terminale, et est père d’une fille.

En plus, il est technicien en énergie solaire. Cet agrobusinessman est installé sur un site de 10 hectares, appartenant à ses parents. Un château d’eau y est déjà installé pour la production pendant toute l’année. Pour l’instant, il ne produit que du vivrier. Ce choix, aux dires de M. Sanou, se justifie par le fait que c’est le besoin d’un Burkinabè qui a faim. «C’est ce qui est payé sur le marché. C’est pour nourrir le Burkina Faso. Je produis ce qui se vend facilement», a-t-il ajouté. Cette année, il a emblavé 5,5 hectares au total soit 3 pour le maïs, 1 pour le riz, le reste pour le haricot et l’arachide.

En plus de l’agriculture, il pratique l’élevage et l’apiculture. Pour Sini Isidore Sanou, aujourd’hui rien ne vaut la terre. «Les jeunes voient l’extérieur, la Fonction publique. Ils ne voient pas la réalité. Au Burkina Faso, c’est la terre qui peut mettre fin à la pauvreté. Il faut accepter de repartir à la terre. L’agriculture n’est pas difficile. Je pense qu’on peut la pratiquer et faire autre chose», clame-t-il.

C’est pourquoi, il invite le gouvernement à se tourner vers les jeunes, afin de les inciter à retourner à la terre. «Car, sans ça, le Burkina Faso ne pourra jamais s’en sortir. Nous avons des terres qui sont fertiles, mais nous avons assez de problèmes aujourd’hui», dit-il. Les jeunes, a poursuivi M. Sanou, ont besoin de soutien matériel, financier et de formation. A cet effet, il propose de mettre l’accent sur la formation et non vouloir donner de l’argent pour des projets.

Boubié Gérard BAYALA
gbayala@ymail.com

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