Entrepreneuriat agricole dans le Tuy: les exploits des personnes en situation de handicap

Agé de 43 ans, Lohoua Dibiko, handicapé moteur à Kari, exploite 5 ha de coton.

De plus en plus, dans la province du Tuy (Houndé), région des Hauts-Bassins, des personnes en situation de handicap s’intéressent à l’agriculture et encore plus, à l’agrobusiness. Ils démontrent qu’agriculture et handicap peuvent faire bon ménage. Gros plan sur quelques-uns.

A Karaba, secteur 1 de la ville de Houndé, dans la province du Tuy, région des Hauts-Bassins, les travaux champêtres de la campagne agricoles 2022-2023 sont presque à terme en cette 2e semaine du mois de novembre 2022. C’est la moisson. Lamoussa Sieza, handicapé visuel, marié et père de 5 enfants dont 2 en âge d’aller à l’école, a le sourire aux lèvres. Et pour cause, ses greniers sont pleins après ses récoltes. « Nous avons eu de bonnes récoltes », dit-il, visiblement satisfait du fruit de son labeur.

Malgré son handicap, il se refuse tout repos. Ce jeudi 10 novembre 2022, il est occupé à labourer un lopin de terre, à la périphérie de Karaba, pour des cultures de contre-saison. A l’issue du labourage, il confectionne des planches afin d’y repiquer des pieds d’oignon, de tomate, de chou, d’aubergine … Depuis belle lurette, le handicap du natif de Karaba ne l’empêche pas de s’investir dans l’agriculture. L’homme excelle dans la culture de rente.

Le coton, le maïs, le sésame, le niébé, sont entre autres, ses spéculations de prédilection durant la saison agricole humide avec un hectare de superficie emblavée par spéculation. Après la moisson, il compte palper au moins 1 040 000 F CFA parce que son hectare de maïs a produit 1,5 tonne, celui du soja, 10 sacs de 100 kg, l’hectare de riz, 20 sacs et environ 900 kg de coton (non encore pesé) comme l’année dernière.

La quarantaine bien sonnée, M. Sieza est désormais cité en exemple parmi les agrobusinessmen de Houndé. Il y a 20 ans (fin des années 90), raconte-t-il, il s’est lancé dans l’agriculture après avoir perdu la vue. En 2001, il décide de diversifier son activité en s’occupant pendant la saison sèche. Il opte pour le jardinage. Un choix difficile mais « éclairé », même s’il est obligé de s’attacher les services de tierces personnes pour arroser les plantes.

« Comme je ne vois pas bien, il est difficile de puiser l’eau dans un puits qui n’a pas été creusé en ma présence, au risque de tomber dedans », fait savoir l’agriculteur. A la fin de chaque récolte de contre-saison, le chou peut lui rapporter environ 250 000 F CFA, la tomate, 300 000 F CFA et l’oignon, 600 000 F CFA, « si les récoltes sont bonnes », insiste-t-il.

A la sueur de son front

Une vue d’un trou des orpailleurs dans le champ de Lohoua Dibiko aujourd’hui menacé par ces chercheurs d’or.

Comme Lamoussa Sieza, Mabalera Fankani est aussi une personne en situation de handicap. Malvoyante, dame Fankani a commencé à cultiver il y a de cela 9 ans. Dans la matinée de ce jeudi 10 novembre 2022, à 10 km de Karaba, le calme règne. Mabalera Fankani sèche son mil à la maison sous un soleil torride avant l’entreposage. Cette année, elle a cultivé le maïs, le sorgho, l’arachide et le soja sur un terrain d’un hectare et demi. Il est difficile, dit-elle, d’estimer la récolte, mais visiblement, elle en est satisfaite. « Vu mon handicap, mon mari m’a donné une portion de terre pour que je puisse me débrouiller », nous confie-t-elle avec fierté.

Pour elle, la terre peut nourrir son homme et elle invite les personnes en situation de handicap à s’investir dans l’agriculture au lieu de mendier. A Kari, village rattaché à la commune de Houndé, à 43 ans, Lohoua Dibiko, lui, est un handicapé moteur. Assis devant sa hutte dans un hameau de culture, il assiste les femmes qui récoltent son coton. M. Lohoua exploite cinq hectares d’or blanc depuis 2006. Il estime sa récolte entre 3 à 5 tonnes de coton par hectare.

En plus du coton, il cultive le maïs, le mil, l’arachide et le soja. Marié et père de 4 enfants, Lohoua Dibiko dit arriver à exploiter son champ grâce à sa femme qui lui est d’une « aide inestimable », en plus des services de saisonniers, surtout au moment des récoltes. « Nous sommes mariés, il y a 15 ans. J’aide mon mari dans l’exploitation de son champ. Très souvent, je l’aide à appliquer les pesticides sur les plantes », soutient Adjara Dibiko, son épouse.

Un terreau fertile

Handicapé visuel, Lamoussa Sieza (premier plan), repique lui-même ses plants d’oignon.

Malvoyante, la présidente de l’association Senimi (Entraide en langue bwamou), Pierrette Noélie Kaziemo, connait bien Lamoussa Sieza. C’est d’ailleurs grâce à ce dernier qu’elle a eu le courage de se lancer dans l’agriculture. « Quand j’ai su qu’il avait un champ et qu’il faisait le jardinage malgré son handicap, je lui ai demandé une portion de terre pour cultiver l’oignon moi aussi, vu que nous vivons le même mal », fait- elle savoir.

Avec son association, elle est en train d’aménager un terrain de 2 hectares pour la nouvelle campagne. « Nous allons cultiver les spéculations de tous genres », indique Mme Kaziemo. Pour elle, l’agriculture peut être un terreau fertile pour l’épanouissement des personnes vivant avec un handicap. « Certes, nous sommes en situation de handicap, mais nous devons nous nourrir à la sueur du front.

La terre nous offre des opportunités », affirme-t-elle. Mathias Ouattara est agent d’agriculture à la direction provinciale de l’Agriculture du Tuy. Il conseille Lamoussa Sieza sur les nouvelles pratiques agricoles depuis 3 ans. Il décrit le producteur handicapé comme un « homme humble et travailleur, toujours présent aux rencontres au niveau provincial ». « Tout le monde le connait grâce à la qualité de son travail. Pour moi, son travail sort de l’ordinaire pour quelqu’un qui est aveugle », affirme Mathias Ouattara.

Personne ne tarit d’éloges sur l’agrobusinessman. « Malgré qu’il soit aveugle, son champ dépasse ceux de certaines personnes non handicapées. Quand je vois son travail, cela dépasse l’entendement. Lamoussa n’attend personne avant de travailler. Il est capable de planter lui-même ses pépinières », renchérit Sylvain Damoué qui travaille avec lui depuis plus de 4 ans. Moctar Ouelogo, agent technique de coton dans la localité de Kari, encadre Dibiko Lohoua depuis trois ans.

A l’entendre, Dibiko Lohoua est un producteur exemplaire qui applique les conseils reçus. « Dès les premières pluies, cet handicapé commence les semis. Il est capable de faire tout le travail sauf le traitement phytosanitaire », raconte Moctar Ouelogo. Dibiko Lohoua travaille mieux que certaines personnes dites « normales », ajoute-t-il. Grâce à son travail, confie M. Ouelogo, le producteur handicapé a pu s’acheter une moto et scolariser ses enfants.

L’orpaillage, une menace des champs

Pour Moctar Ouelogo, agent technique de coton, Lohoua Dibiko est un producteur exemplaire.

Pour Dibiko Lohoua, le handicap n’est pas une fatalité parce qu’une personne vivant avec un handicap peut exceller dans l’agriculture. Toute chose qui peut favoriser sa réinsertion sociale. Pour sa part, Lamoussa Sieza encourage les personnes en situation de handicap à ne jamais désespérer et à travailler dur pour se faire une place au soleil. « Même si c’est difficile, il ne faut jamais baisser les bras. Le handicap, c’est dans la tête », se convainc-t-il. Sauf qu’aujourd’hui, dans la zone de Kari, les champs sont menacés par l’orpaillage. Dibiko Lohoua n’en est pas épargné.

D’un air triste, il craint que les terres que lui a cédées son grand-père ne soient « englouties » par des chercheurs de la pierre précieuse. « J’ai appris qu’à chaque fois qu’ils font des recherches et qu’ils trouvent des traces d’or dans un domaine, ils arrachent le champ à la personne sans aucune forme de procès. Ce que je sais, c’est qu’un jour, ils vont prendre mon champ parce qu’ils disent y avoir trouvé des traces d’or », se lamente-t-il.

D’ailleurs, certains, à notre passage ce jeudi 10 novembre 2022, ont commencé à installer leur quartier dans le lopin de terre de M. Lohoua. Ils ont même commencé à y creuser des trous pour des recherches. « Je les ai interpelés en vain », raconte-t-il avec amertume. Pour son encadreur, si cette terre lui est arrachée, ce sera un désastre pour lui et toute sa famille.

Boudayinga J-M THIENON


Pierrette Noélie Kaziemo, présidente de l’association Senimi : « Avec la situation des PDI, les personnes en situation de handicap sont oubliées »

« Nous demandons de l’aide afin de pouvoir travailler. Présentement avec la situation des Personnes déplacées internes (PDI), les personnes en situation de handicap sont oubliées. Nous appelons les autorités à revoir notre cas. Nous les interpelons également à revoir la loi n°012-2010/AN du 1er avril 2010 portant protection et promotion des droits des personnes handicapées. Dans cette loi, nous avons par exemple la carte d’invalidité qui a du mal à être appliquée. Cette carte n’est même pas considérée alors qu’elle devait aider les personnes handicapées, notamment pour le transport, la santé et d’autres choses. Elle n’a pas de valeur et même pour avoir cette carte, c’est difficile. Nous constatons que nous sommes oubliés ».

B J-M T


Gassi Lougué, DP agriculture/Tuy : « Nous comptons plaider leur cause auprès des partenaires »

« Dans la province du Tuy, nous avons plus de 30 personnes en situation de handicap qui sont des producteurs agricoles. Elles sont réparties dans les localités de Founzan, Koumbia, Bereba, Koti et Houndé. En la matière, je n’ai pas connaissance d’une politique spécifique pour les personnes vivant avec un handicap. Cependant, les actions du ministère tendent à prioriser les producteurs vulnérables. Elles ne spécifient pas explicitement cette catégorie de personnes. Une chose est sûre, ces personnes contribuent pour l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire et à l’amélioration des revenus des ménages. Au regard de leur nombre limité, leur contribution à l’échelle provinciale est négligeable mais à l’échelle de leur famille, elle est importante. Cela permet à leur famille d’éviter la mendicité. Nous les encourageons à poursuivre leurs activités car leur contribution, aussi infime soit-elle, est un plus au développement du pays. C’est pourquoi, nous comptons plaider leur cause auprès des partenaires afin qu’elles soient plus intégrées dans les cibles prioritaires des projets ».

B J-M T

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